
L'offensive Sony
Sony, c’est un peu la force tranquille du microcosme du jeu vidéo. Des millions de PS2 vendues, un leadership incontesté depuis bientôt 10 ans, des consoles qui continuent à se vendre comme des petits pains alors quelles sont les plus chères…
Bref, de quoi aborder l’E3 2004 dans la plus grande des sérénités. Avec un line up présenté comme un des meilleurs jamais vu et l’assurance de découvrir sa nouvelle console, la PSP, Sony était déjà sous les feux des projecteurs, candidat annoncé à sa propre succession.
Et pourtant, depuis quelques semaines, quelques signes d’inquiétudes apparaissaient ci ou là : semi échec de la PSX, ventes de jeux en baisse, XBOX dépassant la PS2 aux Etats-Unis depuis le début de l’année. Dans un marché en régression, Sony est l’entreprise qui y a laissé le plus de plumes.
Coincé entre Microsoft, le challenger ambitieux, et Nintendo, l’ennemi historique mais toujours vivace, la conférence de presse de SONY promettait d’être agressive. Et elle le fut.
Les jeux n’étaient pas la priorité.
Depuis les débuts de la PS2, les jeux ont eu une part prépondérante dans le succès colossale de la machine de SONY. On s’attendait donc à voir présentés en long, large et travers des titres tels que Metal Gear Solid 3 , Final Fantasy XII ou Gran Turismo 4.
Sans avoir été totalement occultées, ces présentations n’ont cependant pas eu la mise en avant attendue. Les jeux sont-ils mauvais ? Oh non rassurez-vous, c’est même plutôt tout le contraire.
Seulement, Sony, toujours avide de nous surprendre, avait opté pour une autre stratégie. Lors de cette conférence, les jeux n’ont été qu’un support pour d’autres annonces bien plus stratégiques.
Sony, en effet, a placé sa conférence sous le signe de la technique. Trois grands thèmes ont ainsi été successivement abordés : le Online, la PSP et une présentation technique du futur processeur qui équipera la PS3.
Si vous avez lu le dossier sur la conférence Microsoft, vous pouvez immédiatement vous rendre compte de l’opposition totale de stratégies entre Microsoft et Sony. Ce dernier nous a gratifié d’une conférence très technique pour ne pas dire parfois, trop technique, tandis que la firme de Bill Gates s’est clairement orientée vers le jeu, rien que le jeu. Difficile à ce moment de vous dire qui a opté pour la meilleure stratégie.
En fait, il semble que le public visé ne soit pas le même. Microsoft est en phase de conquête. Il doit attirer de nouveaux clients et c’est principalement par les jeux qu’il peut y arriver. Pour Sony, la situation est quelque peu différente. Les joueurs viennent d’eux-mêmes et la société japonaise est face à un autre défi, convaincre les investisseurs et les actionnaires du bien fondé de sa stratégie pour les années à venir. En tout cas, c’est de cette façon que j’interprète cette conférence. Et voici pourquoi.
Un conseil d’administration en direct.
Sony a récemment annoncé une baisse de ses revenus. La situation n’est donc pas totalement tranquille pour cette société qui tire la majeure partie de ses bénéfices de la branche Sony Computer Entertainment.
Avec les petits problèmes présentés en introduction, Sony se devait de rassurer non pas les joueurs mais les décideurs sur sa capacité à réagir et à retrouver des profits confortables. C’est donc à un véritable conseil d’administration que nous avons assisté. Présentation très détaillée et très complexe de la stratégie Online, implication du Projet PSP au sein d’une stratégie plus globale de contenu – contenant et présentation, partenaires à l’appui, des futures utilisations du processeur cell.
Tout cela semble bien loin du jeu vidéo, et, de jeu vidéo, il a été finalement peu question. Je vous propose de revenir sur chacun de ces points.
Quand Sony s’évertue à défendre le jeu Online rentable.
Le principal problème du jeu Online aujourd’hui, c’est que c’est un modèle économique qui n’est pas encore rentable. C’est d’ailleurs une des raisons fortes pour laquelle Nintendo refuse pour le moment de s’investir sur ce créneau.
Sony a bien compris ce problème et a essayé d’apporter, grâce à de multiples diapositives la démonstration du potentiel économique du jeu en ligne.
L’objectif avouer de Sony est de réussir à fédérer une communauté de joueurs autour de différents titres faisant office de killer-application.
Sony a d’ailleurs insisté sur le soutien que la société apporte aux éditeurs pour les encourager à développer des projets Online.
Ce point sur le Online a duré environ un tiers de la conférence. C’est dire l’importance que voue Sony à cette nouvelle manière de jouer. J’étais loin de penser (et je pense certains observateurs également) que le Online faisait autant partie intégrante de la stratégie de Sony.
Des trailers des prochains jeux Online ont été présentés mais l’accent n’a pas été mis sur les jeux auxquels nous aurions spontanément pensé. Point de démonstration de Gran Turismo 4 Online mais une bien étonnante présentation du mode Online de Ratchet and Clank 3. Surprise totale que de voir ce titre, très orienté grand public, devenir Online. Avec un mode capture de flag et d’autres possibilités de match, on se retrouve en fait devant un UNREAL grand public.
Une partie de l’équipe de développement est d’ailleurs venue faire une présentation en live de ce mode de jeu.
Alors pourquoi avoir présenté les ambitions Online de Sony par un jeu finalement aussi peu impressionnant que Ratchet and Clank ? Tout simplement car ce jeu dévoile les véritables ambitions de Sony pour le Online. Sony veut faire du Online la norme du jeu vidéo. Conquérir les Hardcore Gamers n’est donc pas suffisant. C’est donc le grand public que vise la société et quoi de mieux que de passer par des jeux très « grand public » pour y arriver.
C’est très rusé de la part de Sony que de mettre en avant le Online par ce genre de jeu plutôt que par un FPS. Ici, la violence existe mais n’inquiétera pas les parents qui laisseront donc leurs enfants se familiariser avec le jeu en ligne. Les investisseurs doivent être rassurés.
La PSP : à l’assaut du monopôle de Nintendo.
Non seulement Sony attaque de plein fouet Microsoft et son XBOX Live sur tout ce qui concerne le jeux Online mais la société, très dynamique au cours de cette conférence, a présenté la console qui doit lui permettre d’entamer de manière assez profonde le monopôle dont jouit Nintendo sur les consoles portables.
Pour Sony, cette incursion sur le « portable » est cruciale et nous y reviendrons. Il est vrai que le marché est énorme car si l’on additionne les consoles, les téléphones portables, les PDA… ont trouve une base de plusieurs centaines de millions de machines. C’est donc une part de cet énorme gâteau que convoite Sony.
Nintendo n’est donc pas le seul concurrent.
Mais revenons quelques instants sur cette fameuse PSP. Le design de la machine n’a pas été une complète surprise puisque, de mémoire, nous l’avions déjà découvert depuis quelques mois.
Cette console est extrêmement plate, de couleur noire (pour le moment) et très longue. Personnellement, elle me rappelle un peu la Lynx d’Atari pour ceux qui connaissent (uniquement pour la forme, je vous rassure).
Cette grande longueur est due à un énorme écran 16/9 qui prend près des deux tiers de la console. Cet écran est réellement impressionnant est va, à coup sûr, devenir l’atout numéro un de cette console.
Pour le reste, rien que du grand classique si ce n’est que de nombreux branchements seront possibles à l’arrière de la console.
Pour en finir sur cette courte présentation, précisons, mais vous le savez déjà que les jeux tourneront sur des disques UMD (pouvant contenir autant d’informations que trois CD), que la mémoire de la console et de 32 Mo et que les possibilité de connectivité seront importantes puisque la console pourra échanger avec d’autres PSP, des PS2 et même les PC. On le voit bien, la PSP s’inscrit comme le terminal nomade de Sony, capable de communiquer avec différentes plates-formes.
Deux inquiétudes tout de même. L’écran est tellement grand que le risque de rayures est important. Espérons que Sony ait pensé à cela. De même, la console étant très longue, on peut se demander comment sera la prise en main. Il ne semble en effet pas évident de la tenir entre ses mains. Vivement que l’on puisse l’essayer afin de tester cela par nous même. Ah j’oubliais presque de vous parler de l’autonomie. Selon les dirigeants de Sony, celle-ci devrait être de dix heures grâce à la présence d’une batterie au lithium. C’est relativement peu mais dans la lignée des autres produits multimédia comme les lecteurs MP3, par exemple.
Difficile d’émettre un avis sur cette console sans l’avoir en main. Pour ma part, il s’agit d’un très beau produit, très high-tech mais qui, comme tous les produits Sony, semble fragile. Il va également falloir racheter des Jeans avec des poches très larges.
L’esthétisme est un concept complètement subjectif et chacun se fera son avis sur cette nouvelle console. Une chose est sûre, cette console, bien qu’étant un bijou de High-tech, ne sera rien sans du contenu intéressant. Et du contenu, Sony en a présenté, et de toute sorte.
Un line up de lancement qui semble impressionnant.
Electronic Arts, qui aime faire parler de lui dans toutes les conférences, a officiellement annoncé préparer quatre titres pour le lancement de la PSP. Ne cherchez pas l’originalité et l’innovation dans ces titres car il s’agit de suites des grandes sagas maisons. Pour ceux qui auront lu mon dossier « La créativité en péril » vous comprendrez aisément mon désarroi quant à cette annonce. Aucune nouveauté réellement innovante à attendre du côté de EA.
A côté de ces titres qui seront assurément vendeurs, on retrouve, par l’intermédiaire d’un trailer, des images des futurs hits. Et là c’est la claque. Encore une fois ce n’est pas l’originalité qui frappe mais belle est bien la réalisation. Celle-ci est à couper le souffle et l’on est beaucoup plus près de la qualité PS2 que PSONE. Félicitations à Sony pour avoir réussi à créer une aussi bonne machine.
Parmi les jeux présentés, on trouve notamment, un APE ESCAPE, une simulation automobile (Gran Turismo ?), un jeu de formule un, un nouvel épisode de Médievil… et à mon avis nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
Imaginez un instant pouvoir jouer à tous ces jeux n’importe où. C’est un véritable tour de force que de permettre une telle gestion de la 3D sur une console portable.
Si la PSP confirme une telle qualité dans ses titres de lancement, la console devrait connaître un énorme succès.
Nous reviendrons bien évidemment sur tous ces titres dans les semaines qui viennent. Le contenu pour la PSP ne se limite pas uniquement au jeu vidéo. Et c’est là que la stratégie de Sony prend toute son ampleur.
Du son et de l’image sur la PSP.
A côté des jeux, Sony a également mis en avant le côté standard des disques UMD. Si l’on peut faire tenir des jeux sur ces disques, pourquoi ne pas également y faire figurer des films ou de la musique. Voilà donc la stratégie de Sony. Celle-ci n’est pas seulement de révolutionner le jeu vidéo mais tout simplement de révolutionner le côté nomade de l’individu. Pourquoi avoir plusieurs appareils (GBA, lecteur MP3, lecteur DVD portable) quand tout peut être regroupé dans un seul terminal ? Sony va donc tenter de définir le disque UMD comme nouveau standard d’une part pour tous ces produits (caméscope, appareil photo…) mais également pour le transport de données.
La démonstration de Sony a donc été réalisée avec l’aide précieuse des autres branches de la société. Sony Pictures tout d’abord avec la présentation sur une PSP de la bande annonce du prochain Spiderman et Sony Music ensuite avec un extrait d’un titre de INCUBUS passé directement par la PSP.
Sony fait jouer les synergies entre ses différentes branches mais il y a fort à parier que d’autres acteurs viendront se joindre à cette aventure passionnante.
Sony va-t-il réussir là où d’autres ont échoué (NOKIA, VIVENDI UNIVERSAL) ? Et surtout, Sony va-t-il réussir la fameuse synergie du contenu et du contenant ? Il est encore trop tôt pour le dire.
La seule chose que l’on peut souhaiter est que Sony ne délaisse pas trop le côté jeux vidéo pour se diriger vers les autres contenus multimédia.
Espérons également que les éditeurs prennent des risques et développent des concepts originaux et non des portages bêtes et méchants de jeux PSONE ou PS2. Là, pour le coup, c’est plutôt mal parti.
La PSP est une future bombe c’est indéniable. Toutefois, et après avoir vu la folle conférence Nintendo, on se rend compte que la palme de l’originalité ne reviendra pas à Sony qui semble tout de même ne pas mettre le jeu vidéo au même niveau que Nintendo avec sa Nintendo DS. Mais cela, seul l’avenir nous le dira.
Pour en terminer avec la présentation de données multimédia hors jeux vidéo, citons le film FF7 Advent Children qui lui aussi a eu droit à une présentation sur la PSP. Mon petit doigt me dit qu’il devrait s’agir d’un des premiers films à sortir sur le support UMD.
Une présentation embryonnaire de la PS3.
La dernière partie de la conférence Sony était assez étrange. Je ne vais pas m’appesantir dessus car je crois que c’était le moment le plus barbant mais également le moins compréhensible des trois conférences.
Un représentant de Sony est venu présenter la collaboration de sa société avec IBM pour la création du fameux processus Cell qui doit révolutionner, si j’ai bien tout compris, la manière de créer des jeux mais également des films ????.
Ce qu’il faut simplement retenir c’est que ce processeur sera le cœur de la prochaine génération de Playstation et que, par définition, il devrait révolutionner les jeux vidéo comme l’Emotion Engine devait le faire en son temps.
Je me méfie énormément de ce genre d’annonces qui ne sont finalement que des chiffres. C’est par les jeux et uniquement par eux que se fera la différence. Et il me semble que Sony l’ait un peu oublié lors de cette conférence.
A moins que le but avoué de cette présentation très technique est d’en mettre plein la vue à Microsoft, réputé pour être techniquement très en avance avec sa XBOX.
Sony a également insisté sur le fait que plusieurs appareils devraient pouvoir communiquer entre eux pour profiter de la puissance du processus CELL. Mais tout ceci demande confirmation.
Une chose est sûre, cette présentation n’était pas faite pour les joueurs. Je ne pense pas d’ailleurs que les journalistes ou les éditeurs aient été plus intéressés. Les gens venus à cette conférence ont du revenir sur terre lors de cette partie très technique. Mais à qui alors était destinée cette présentation ? Mais à mes chers actionnaires et investisseurs bien évidemment. Ceux-ci rassurés sur la capacité de Sony à innover devraient financer sans craintes une grande partie des colossaux investissements que Sony doit mettre en œuvre dans les prochaines années.
Pour finir, j’allais presque oublier de mentionner l’information qui, pour nous les joueurs est la plus importante. Le prix de la PS2 baisse aux Etats-Unis et passe à 149$. On peut donc s’attendre à pareille baisse de prix en Europe, du moins nous l’espérons. Enfin une nouvelle que tout le monde comprend et apprécie.
Pour moi Sony a réalisé une excellente conférence en tant que … vendeurs de produits High-tech. C’est, et vous l’aurez sans doute deviné, plus le côté constructeur qui a été mis en avant lors de cette conférence. Le côté éditeur de jeu est quant à lui un peu passé à la trappe. Et cela est inquiétant.
Sony est une entreprise qui cherche la rentabilité et cela se sent. Malgré toute la contribution de cette société au jeu vidéo depuis 10 ans, je reste sur un sentiment amer. Le joueur va-t-il s’y retrouver ? C’est toute la question à l’heure actuelle. Et je n’ai malheureusement pas de réponses.
Sony conçoit de superbes machines, c’est un fait que la PSP ne fait que corroborer. Nous attendons maintenant de voir les jeux qui vont arriver sur ce support. Sur ce que nous avons découvert aujourd’hui, ceux-ci seront assez classiques mais techniquement au top.
Si je n’avais qu’un seul souhait, il serait que les éditeurs profitent de cette plate-forme très innovante pour nous concocter quelques titres complètement nouveaux.
En tout cas merci à Sony, pour prendre des risques. Lorsque l’on est un leader incontesté, il n’est parfois pas facile de se remettre en question et de lancer un nouveau produit, qui plus est innovant. Bravo donc à Sony. L’essai a été marqué, il ne reste plus qu’à le transformer.
Ces deux premières conférences sont assez étonnantes. Microsoft, plutôt orienté hardware, s’est tourné vers les jeux, alors que Sony, dont les jeux ont fait le succès a pris une orientation très hardware. Aucun de ces deux constructeurs n’a réussi à trouver le juste milieu. Et si Nintendo profitait de cette brèche entre les deux constructeurs pour effectuer un retour remarqué ? La suite dans notre prochain dossier.