Le scénariste de comic-books le plus écouté à Hollywood décrypte les enjeux de la sortie du blockbuster de Warner pour l'ensemble de l'industrie.
À deux jours de sa sortie française, Batman v Superman : l'aube de la justice n'a toujours pas été dévoilé aux journalistes. Warner garde (jalousement ? nerveusement ?) le secret sur ce qui pourrait être le film le plus cher de l'histoire. Fans, producteurs, auteurs et éditeurs de comics, tous attendent fébrilement de découvrir si la rencontre des deux super-héros les plus célèbres au monde est un triomphe ou un fiasco. Car les enjeux sont colossaux, et pas uniquement pour Warner. Les résultats de Batman v Superman au box-office auront un impact sur l'ensemble de l'industrie super-héroïque, comme nous l'explique Mark Millar.
Scénariste signant chez DC comme chez Marvel, Millar est l'une des figures les plus connues du monde des comics et certainement l'auteur le plus influent à Hollywood. Depuis vingt ans, Marvel Studios puise largement son inspiration dans ses bandes dessinées hautes en couleur et politiquement incorrectes. Ses idées ont nourri les scénarios d'Iron Man, des Avengers et du futur Captain America : Civil War. Il est également à l'origine, avec Matthew Vaughn, des excellents Kick-Ass et Kingsman : services secrets. Chez 20th century Fox, on loue carrément ses services comme docteur ès super-héros.
À l'occasion du MAGIC festival de Monaco, il a accepté de livrer son analyse sur l'état actuel de l'industrie et sur l'avenir du genre super-héroïque au cinéma. Un avenir qu'il estime en partie lié à celui des plans de Warner autour de Batman v Superman. Millar nous livre ses craintes, sans filtre et avec une honnêteté rafraîchissante. Seul sujet écarté d'emblée : le terrible échec des Quatre Fantastiques l'an dernier. Une clause de confidentialité très stricte le lie à la Fox. Mais pour le reste...
Le Point Pop : Sept films de super-héros sortent sur les écrans en 2016. Cette fois, le public va vraiment saturer, non ?
Mark Millar : Pas forcément. C'est juste que ces films attirent beaucoup plus l'attention. En 2015, il n'y en a eu que trois (Avengers : l'ère d'Ultron, Ant-Man et Les Quatre Fantastiques); au même moment, huit gros films d'espionnage grand public sont sortis en salle, mais personne n'a parlé pour autant de saturation du marché. Le genre doit surtout faire attention à se diversifier. Si Deadpool a autant marché, c'est qu'il offrait quelque chose de neuf. En moins de deux semaines, il a déjà remboursé dix fois son budget, c'est ahurissant. Pour les films de super-héros, le jour où un très bon film fera un bide, là il y aura vraiment un problème.
Lepoint : Cette « bulle » super-héroïque finira tout de même bien par exploser...
Mark Millar : Veiller à la qualité est la seule solution pour délayer le plus possible cette bulle. L'appétit du public est là, mais il est de plus en plus difficile à satisfaire. 2016 est une année décisive. Captain America : Civil War et Batman v Superman sont plus importants que tous les films de super-héros sortis depuis dix ans. Sur le plan du box-office, ce n'est pas encore l'hémorragie chez Marvel, mais clairement le studio a connu un ralentissement de son ascension l'an dernier. Avengers : l'ère d'Ultron était supposé faire encore mieux qu'Avengers. Or, il a rapporté en gros 200 millions de dollars de recettes de moins au box-office mondial, et ce, alors que le prix des places a augmenté et qu'il y a plus d'écrans que jamais grâce au marché chinois. Ant-Man était un petit film drôle et malin, mais lui non plus n'a pas satisfait les attentes de Marvel en plafonnant à 500 millions. Tous les regards se portent maintenant sur Captain America : Civil War. Si le film fait moins que le précédent, il y aura clairement un problème.
Lepoint : Du côté de chez DC Comics/Warner, c'est aussi le grand stress avant la sortie de Batman v Superman !
Mark Millar : Si le film ne réalise pas ses objectifs, je n'ose imaginer ce qui va se passer. Warner fera sans doute un autre Batman, un truc « safe » plutôt que de se risquer avec des projets comme Aquaman ou Green Lantern. Leur planning sur cinq ans sera probablement entièrement remis en cause. Tout va dépendre de la rentabilité du film.
S'il plafonne à 600 millions de dollars de recettes mondiales comme Man of Steel, alors ce sera fini. Ils cesseront la mise en chantier des autres films, ils auront perdu trop d'argent. À partir de 1,2 milliard de dollars de recettes, là oui ils seront dans une zone de rentabilité. Au début, les budgets étaient traditionnellement autour de 150/200 millions. Maintenant, ils sont en train d'approcher des 400 millions, ça devient fou.
Lepoint : On parle même de 500 millions de dollars pour Batman v Superman...
Mark Millar : L'un de mes meilleurs amis est banquier. Il m'a dit : « Les films de super-héros commencent à sentir comme le secteur bancaire en 2007 »… Il est certain qu'après 16 ans de croissance quasi ininterrompue, le genre doit se remettre en cause. Que les choses soient claires : je VEUX que Batman v Superman marche. Pour le bien de mon industrie, je veux que Marvel et DC réussissent. Si l'un ou l'autre se plante, ce ne sera bon pour personne. Mais oui, je suis inquiet pour Batman v Superman et les projets de DC/Warner. J'ai peur que les personnages de l'univers DC ne soient trop vieillots, ils me donnent l'impression d'appartenir VRAIMENT au passé, à part Batman et Superman. Le génie de Stan Lee chez Marvel était d'avoir su nous connecter à un Dieu nordique, à un milliardaire portant une armure ou un super soldat avec un bouclier grâce à leurs alter ego. On ne pouvait pas s'identifier à Iron Man, mais on pouvait s'identifier à cet alcoolique notoire de Tony Stark. On ne pouvait pas s'identifier à Spider-Man, mais on pouvait s'identifier à Peter Parker.
Le seul auquel on peut vraiment s'attacher dans le cheptel DC est Bruce Wayne. Ce n'est pas une coïncidence si Batman est le personnage DC qui cartonne le plus au cinéma, alors que tous les autres galèrent. Les héros Marvel sont plus adaptés au cinéma. Les personnages de DC appartiennent davantage à une génération victorienne, ils ont été créés à une époque plus proche de Tarzan ou du Phantom, il vaut peut-être mieux les laisser au passé. C'est la dernière tentative pour les ramener à la vie et si ça ne marche pas, ils disparaîtront pour longtemps.
Lepoint : Mais Star Wars n'a-t-il pas volé la vedette à Marvel au sein de l'empire Disney ?
Mark Millar : Absolument. Disney qui achète Marvel puis Lucasfilm, c'est comme épouser deux personnes à la fois. Cela m'inquiète toujours quand une seule et même compagnie accumule tout. J'adore observer les réactions du public devant les bandes-annonces au cinéma, c'est vraiment révélateur. En allant voir Deadpool, j'ai vu les réactions pendant le trailer de Batman v Superman : rien, silence. Pendant Captain America : Civil War ? Rien, silence. Fascinant. Quelques mois plutôt, devant le trailer de Star Wars, les réactions étaient électriques. Au Disney Store à Noël, les rayons Marvel paraissaient bien chétifs à côté de Star Wars.
La science-fiction familiale va détrôner le super-héros
Il y a un changement dans l'air, j'ai l'impression que les projets davantage orientés sur la grosse science-fiction familiale ne vont pas tarder à détrôner les films de super-héros. Récemment, les projets que j'ai vendus le plus facilement sont des concepts de ce genre (Mark Millar nous fait dans la foulée trois révélations sur ces ventes sous le sceau du secret – on se mord la lèvre pour ne rien vous dire, mais c'est très excitant ! NDLR). Il y a une envie pour ce matériau-là : il est plus facile en ce moment de vendre à Hollywood un gros film de science-fiction pour toute la famille qu'un concept de super-héros.
Lepoint :Ça ne vous a pas empêché de vendre récemment aussi votre comic-book Jupiter's Legacy, un concept génial sur une dynastie de super-héros américains...
Mark Millar : J'ai pu facilement le vendre parce que c'est un traitement post-moderne du genre, un peu à la Deadpool. Pour les gens qui commencent à se lasser du genre, je pense que c'est la prochaine étape de l'évolution du film de super-héros. Les créateurs qui se borneront à répéter le même schéma depuis 15 ans (pouvoirs contre pouvoirs, gentils contre méchants) vont droit dans le mur. Jupiter's Legacy pourrait être Le Seigneur des anneaux des films de super-héros.
Lepoint : Le post-modernisme dans le western, avec Sergio Leone, fut le chant du cygne du western…
Mark Millar : On n'en est pas encore là pour les super-héros. Mais, encore une fois, il faut que le genre se radicalise. À cette condition, il a encore cinq bonnes années devant lui. Avengers 3 et 4 seront énormes, tout comme le nouveau Spider-Man, le Batman de Ben Affleck, Suicide Squad et Les Gardiens de la galaxie 2…. Mais pour les autres, on ne peut juste plus répéter la même formule éternellement.
Lepoint : Du premier Iron Man à Captain America : Civil War en passant par Avengers, Marvel a littéralement pillé vos scénarios de comic-books, sans jamais vous créditer aux génériques. Ça ne vous agace pas ?
Si, si, je dois être mentionné quelque part à la 375e place au générique de fin, regardez bien ! (rires). J'ai l'habitude de dire que si Stan Lee et Jack Kirby sont le père et la mère de l'univers Marvel, Bryan Hitch (dessinateur des Ultimates, NDLR) et moi pourrions être le beau-père et la belle-mère.
Ça pourrait me foutre en rogne si je n'avais pas créé mon propre label, Millarworld, qui m'assure une totale propriété de mes concepts et grâce auquel j'ai déjà vendu les droits cinéma de plusieurs créations récentes. Mon plan de toute façon, c'est de remplacer Marvel dans les cinq années qui viennent ! (rires) Sérieusement, sur le papier, Chrononauts, Starlight et Jupiter's Legacy pourraient être de très gros films qui pourraient dépasser les recettes des films Marvel d'ici 2018.
Pour etre considéré comme un succès commerciale , Batman VS SUperman doit faire environ 1 milliard de dollars . C'est assez énorme o_0