C'est à Shin Yokohama, à environ une heure de train de Tokyo, que nous ont donné rendez-vous les développeurs du studio
Artoon pour un entretien inédit avec Naoto Oshima, le Président d'
Artoon, connu pour avoir dessiné de ses propres mains le plus célèbre des hérissons Sonic il y a plusieurs années chez
Sega. C'est en effet la première fois qu'
Artoon accueille un media étranger chez eux et c'est donc avec beaucoup d'honneur que nous avons pu déjeuner et discuter avec cet homme drôle, dynamique et fort sympathique, histoire de découvrir un peu mieux l'envers du décor de ce studio de développement qui a la côte en ce moment.
Blinx : The Time Sweeper sur Xbox,
Yoshi's Island DS sur
Nintendo DS, et dernièrement
Blue Dragon sur Xbox 360 (certainement leur plus gros projet avec
Mistwalker) sont des exemples de jeux développés par
Artoon pour le compte des éditeurs
Microsoft et
Nintendo notamment. On parle également du retour de
Blue Dragon sur
Nintendo DS, mais le sujet (toujours au stade de rumeur) reste top secret pour le moment. Interview.
Interview Naoto Oshima, Président du studio Artoon
JeuxFrance : Merci de nous accueillir ici dans vos studios à Shin Yokohama pour cette interview. Tout d'abord, que ressentez-vous lorsque vous voyez le personnage de Sonic, dont vous êtes le designer originel, se retrouver dans des jeux comme Mario & Sonic at the Olympic Games ou Super Smash Bros. Brawl ?
Naoto Oshima (Artoon) : [Rires] Ah… mes impressions à propos de Sonic ? Ca fait longtemps… Sonic… je lui ai donné naissance, puis ensuite il a grandi, et grâce à l'intervention de nombreux autres personnes, il a évolué. J'ai vraiment l'impression de l'avoir élevé comme mon enfant, je me sens donc un peu comme un parent vis-à-vis de Sonic. "Il a bien grandi, mon gamin !", pourrais-je dire [Rires].
Pourquoi avez-vous décidé de quitter la Sonic Team de Sega et de créer votre propre studio de développement Artoon ?
Principalement parce que j'ai voulu être libre et faire ce qui me plaisait vraiment. Vous savez, quand vous arrêtez un travail, c'est parce qu'il y a des choses qui vous déplaisent, et un jour, tout cela explose en vous, et vous décidez de passer à autre chose.
C'était peut-être pour développer des jeux que vous aviez envie de créer ?
Mais en réalité, je pouvais déjà le faire chez
Sega, ce n'est pas le problème. Le "Sega" de cette époque n'était pas en grande forme.
Mais alors quelle est la genèse du projet Artoon ? Pourquoi avoir voulu créer votre propre société ?
Plutôt que de suivre l'idée selon laquelle une entreprise doit toujours créer sans cesse de nouveaux jeux, en grande quantité, mon idée était qu'il est finalement préférable de travailler à petite échelle, en créant un jeu à la fois, afin qu'il soit encore meilleur. C'est véritablement dans ce but que j'ai créé
Artoon. Au Japon, dans le monde de l'animation par exemple, le plus grand créateur est sans aucun doute Hayao Miyazaki et son Studio Ghibli. Vous avez du certainement vous rendre compte que ce studio travaille en prenant tout son temps, et réalise au final peu de dessins animés mais met beaucoup d'énergie et beaucoup de moyens pour les concevoir, c'est la différence, et c'est dans cet esprit que j'ai donc créé
Artoon, pour devenir en quelque sorte le Ghibli des jeux vidéo.
Au passage, quel est votre film de Ghibli préféré ? nous sommes également de grands fans de Ghibli, leurs films d'animation sont très célèbres en France.
[Rires] C'est sûrement Laputa : Le Château dans le Ciel.
Aujourd'hui, en tant que développeur et créateur de jeux vidéo, quel est finalement votre champ de liberté au niveau de la création artistique, par rapport aux restrictions que vous donnent les éditeurs ?
Je pensais devenir libre en créant mon propre studio de développement, mais en réalité, cela ne se passe pas comme ça. Il n'y a pas toujours concordance entre ce que les éditeurs nous demandent de développer pour eux, et ce que nous, chez
Artoon, nous voulons réellement faire. Donc effectivement, nous ne sommes pas libres de ce point de vue là.
Quel est le genre de relations que vous entretenez avec les éditeurs ? Est-ce que c'est vous qui leur proposez des projets ? Ce sont vos projets à vous, ou l'inverse, à savoir, est-ce que c'est plutôt l'éditeur qui vient vous solliciter afin de développer leur jeu ? Si vous proposez un projet à un éditeur par exemple, est-ce que vous restez toujours libre de continuer à développer ce projet comme bon vous semble, ou bien l'éditeur fixe-t-il ses contraintes ?
Concrètement, j'ai toujours voulu créer des jeux ayant l'air réalistes, un réalisme proche des films. Mais jusqu'à présent, nous avons réalisé pas mal de jeux au style "cartoon" comme vous le savez, et du coup, beaucoup d'éditeurs viennent nous voir en nous proposant des projets au style "cartoon", puisque nous sommes maintenant "connus" pour ce genre de production. Je ne dis pas que je n'aime pas ce style, bien au contraire, mais c'est un exemple pour vous expliquer le genre de limitations que nous pouvons avoir par rapport à ce que nous aimerions faire dans ce domaine.
Je précise ma question : par exemple dans le cas du jeu Blinx : The Time Sweeper, est-ce que c'est vous qui avez proposé le personnage du jeu, et le concept ? Est-ce que c'est votre bébé, et est-ce que Microsoft a donné ensuite son aval pour que vous le créiez, ou est-ce l'inverse ? Est-ce c'est plutôt Microsoft qui est venu vous voir pour vous demander de créer un jeu avec un chat qui remonte le temps ?
Dans le cas de
Blinx : The Time Sweeper,
Microsoft est venu nous voir en effet en nous disant : nous aimerions que vous réfléchissiez à un personnage qui pourrait devenir le Mario de
Microsoft, une mascotte tout simplement comme ce que Sonic est à
Sega. Suite à cette proposition de projet, nous étions libres de faire ce que nous voulions, et c'est donc nous, ici chez
Artoon, qui en sommes venus à imaginer le personnage de Blinx et tout le concept qui va avec. Ensuite,
Microsoft a accepté le jeu tel que nous lui avons présenté, voilà comment cela s'est passé.
Et à part Blinx : The Time Sweeper, avez-vous souvent cette liberté de faire un peu le jeu comme vous l'imaginez ? Ou bien était-ce un cas spécial ?
En réalité… c'est souvent le concept qui est le plus difficile à faire accepter. Une fois que le concept est accepté, les éditeurs, pour la plupart, ne se préoccupent pas des détails, et nous sommes donc ensuite assez libres au niveau du développement du jeu. Mais vous savez, jusqu'à présent,
Artoon a créé beaucoup de jeux assez bizarres ! Je vais vous montrer, par exemple [Naoto Oshima se lève et montre le poster du jeu
Ghost Vibration], ici vous pouvez voir qu'il s'agit d'un jeu de fantômes dans lequel des esprits malins sortent du mur [Naoto Oshima mime les fantômes qui sortent du mur !].
Ensuite, il y a
Pinobee, un jeu avec un robot-abeille, créé sur le modèle du célèbre Pinocchio. Dans ce jeu, le joueur peut écrire un journal (diary). Lorsque le joueur fait de bonnes actions, ce journal se met à raconter de bonnes histoires. Et vice-versa, si le joueur réalise de mauvaises actions, notre héros Pinobee deviendra un vilain personnage sans cœur, et l'histoire deviendra sombre. Il y a également
Blinx : The Time Sweeper, dont nous avons parlé, et dans lequel le joueur peut contrôler le temps. Il y a aussi
Vampire Rain, un autre jeu de fantômes, que nous avions eu envie de créer, comparable aux films d'horreur japonais. Voilà, donc comme nous créons toujours des jeux un peu spéciaux, qui ont chacun leurs particularités propres, il y a des gens qui nous disent que l'on fait des jeux intéressants, et d'autres qui ne comprennent pas trop où l'on veut en venir ! [Rires].
Quel est votre moment préféré dans le développement d'un jeu vidéo ?
C'est au début, lorsqu'il faut réfléchir à ce que nous pourrions bien créer, la phase de recherche d'idées.
Comment s'est passé le projet Blue Dragon sur Xbox 360 avec le studio Mistwalker par exemple ? Est-ce que M. Sakaguchi passait dans vos studios pour voir l'état d'avancement du projet ?
Sakaguchi-san est un vrai créateur. C'est une personne formidable. Oui, il passait souvent, surtout vers la fin du projet, nous travaillions main dans la main.
Il me semble que le compositeur Nobuo Uematsu s'est occupé des musiques du jeu, avez-vous également eu l'occasion de travailler avec lui directement ?
Oui en effet, Uematsu-san est lui aussi venu maintes fois ici chez
Artoon, c'était surtout pour discuter et se concerter, car pour faire ses musiques, il a besoin de tout son matériel, qui se trouve dans son propre studio.
Pour compléter la Dream Team de Blue Dragon, qu'en était-il de Akira Toriyama, qui a travaillé sur le character design. Etait-ce difficile pour vous, en tant que président du studio Artoon, de coordonner tous ces grands talents sur un même projet ?
Bien sûr il y avait toutes ces personnes célèbres du monde du jeu vidéo réunies, mais cela n'était pas un problème au niveau gestion, au contraire. En réalité, c'est à partir du scénario proposé par Sakaguchi-san que tout a commencé. Pour lui aussi, l'esprit d'équipe était très important. Il y a bien sûr eu des cas où Toriyama-san a apporté ses conseils sur des points de scénario qu'il jugeait peu intéressants par exemple. Sakaguchi-san tient toujours compte de ce genre de remarques et conseils en provenance de ses collègues. Cela se fait souvent entre créateurs, il y a une confiance et un respect mutuel entre toutes ces personnes. Et de notre côté aussi, lorsque nous proposions des choses, Sakaguchi-san les écoutait attentivement et en tenait compte. En ce sens, ces relations de travail sur
Blue Dragon ont vraiment été très bonnes.
Vous êtes un développeur japonais qui travaille à la fois avec des éditeurs américains, européens, et japonais. Avec lesquels est-ce le plus agréable de travailler ?
Tout d'abord, c'est très différent selon l'origine de l'éditeur.
Microsoft est très différent de
Nintendo par exemple. Difficile de dire avec lequel on travaille le mieux, je dirais simplement que les deux ont des points positifs. Mais vous savez, chez
Nintendo, ils sont incroyables ! On dirait que chez eux, tous les employés ont des qualités de directeur. C'est un peu l'élite du jeu vidéo [Rires].
Selon vous, quelle est la console qui a le plus gros potentiel aujourd'hui ?
A cela, je ne peux pas répondre. Je les aime toutes ! Mes clients sont
Nintendo,
Microsoft et Sony, comment voulez-vous que je réponde à cette question ? [Rires].
Et en tant que joueur, à quel jeu vous jouez en ce moment ?
Wii Sports [Rires].
Justement, on remarque qu'en ce moment, beaucoup de jeux tournant autour du sport sont annoncés sur Wii (notamment les jeux de golf). Que pensez-vous de cette tendance ?
Vous savez, je pensais la même chose avec la
Nintendo DS au début, il y avait eu une période avec beaucoup de "non-jeux", ou de jeux faciles comme cela, mais par la suite, de nombreux jeux plus variés et plus classiques sont également sortis, et je pense que c'est la même chose avec la Wii.
Que pensez-vous du phénomène des Casual Games en général ?
Vous savez, au Japon, le nombre d'enfants a beaucoup diminué si l'on compare à il y a 10 ans. Si le marché des jeux vidéo ne s'adaptait pas à ce changement démographique, il serait voué à diminuer inéluctablement. De plus, au Japon, plus de 90% des enfants à l'âge de l'école primaire jouent aux jeux vidéo. Mais en entrant au collège et au lycée, beaucoup arrêtent de jouer, et on se retrouve donc avec une très grande majorité d'adultes qui ne jouent plus. C'est pour attirer, ou plutôt faire revenir toute cette population d'ex-joueurs que
Nintendo et d'autres créent maintenant ces fameux jeux "casual". Ce n'est pas fait pour des gens qui n'ont jamais joué, mais plutôt pour des adultes qui ont joué étant enfant, pour les ramener vers les jeux vidéo, même à l'âge adulte.
Est-ce que vous êtes plutôt Brain Training ou Final Fantasy ?
J'aime les "vrais jeux", avec des émotions [Rires].
Un dernier mot pour les lecteurs de JeuxFrance ?
Chez
Artoon, même si je pense que nous n'avons pas encore atteint le niveau des plus grands, nous faisons énormément d'efforts pour faire des jeux de qualité, nous travaillons ardemment et passionnément, et nous voulons continuer à créer des jeux qui plairont aux joueurs qui ont joué et aimé nos jeux. Donc j'aimerais dire à nos joueurs qu'ils continuent à nous supporter, et à attendre nos futurs jeux.
Merci beaucoup. Nous vous souhaitons en tout cas bonne chance, et nous avons été très honorés de vous rencontrer aujourd'hui. Domo arigatou gozaimashita.
Merci à vous.
Un grand merci à Guillaume Blanchard, développeur chez Artoon, pour avoir organisé cette rencontre, et à Grégory Schmitt pour la traduction.
mais tous les goût sont dans la musique !