Avant de devenir Shadow of the Colossus, le jeu a connu plusieurs titres de travail, témoins d’un développement en constante évolution. L’un des tout premiers noms envisagés était "NICO", une contraction jouant à la fois sur "Next Ico" et sur "Ni ICO" soit ICO 2 (ni signifiant "deux" en japonais) , suggérant une suite directe à ICO. Ce nom de code soulignait clairement la volonté initiale de prolonger l’univers du jeu précédent.
Par la suite, l’équipe proposa à Sony un titre plus abouti : "Nimrod and the Colossus". Le choix du mot Nimrod n’était pas anodin : dans la Bible, Nimrod est décrit comme un puissant chasseur, ce qui avait du sens avec le gameplay du jeu centré sur la traque de colosses. De plus, l’abréviation NiCo pouvait être conservée, maintenant un lien avec le nom de code d’origine. Mais Sony rejeta ce titre, estimant que Nimrod pouvait prêter à confusion dans les pays anglophones, où le mot est devenu une petite insulte signifiant "idiot", notamment à cause de Bugs Bunny qui l’employaient ironiquement face au chasseur.
Finalement, le jeu sortit au Japon sous le nom de "Wanda and the Colossus", en référence au nom japonais du protagoniste, puis fut renommé "Shadow of the Colossus" à l’international.
En clin d’œil, l'entité mystérieuse du jeu fut baptisée Dormin une anagramme inversée de Nimrod, conservant ainsi une trace de ce titre abandonné.
Au tout début du développement, Shadow of the Colossus était pensé comme une expérience multijoueur coopérative. L’idée était que plusieurs joueurs incarnent un personnage similaire à celui d’ICO, unissant leurs forces pour affronter ensemble les colosses gigantesques. Cette approche novatrice aurait offert une dynamique unique, où la coopération et la coordination étaient essentielles pour venir à bout des titans.
Cependant, malgré l’ambition du projet, les contraintes techniques de la PlayStation 2, combinées à une équipe restreinte d’environ 35 développeurs, rendirent ce concept irréalisable. La complexité de la physique avancée des colosses et la nécessité d’un monde vaste et vivant nécessitaient déjà des ressources importantes, même en solo.
Face à ces limitations, le studio fit le choix stratégique d’abandonner le multijoueur pour se concentrer sur une aventure solo, plus intime et immersive.
Avec Shadow of the Colossus, Fumito Ueda voulait profondément changer la perception des combats de boss, aussi bien du point de vue des joueurs que de celui des développeurs. Dans la plupart des jeux de l’époque, les boss étaient souvent traités comme des pics de difficulté ou des spectacles grandioses ponctuant un long enchaînement d’ennemis mineurs. Ueda, lui, voulait inverser cette logique.
Pour recentrer toute l’attention sur l’expérience que représente chaque affrontement, il prit une décision radicale : supprimer complètement les ennemis classiques et ne conserver que seize colosses, tous uniques. Mieux encore, le joueur ne pouvait les affronter qu’un à la fois, dans un ordre précis, sans possibilité de s’en détourner ou d’en croiser d’autres par hasard.
Cette contrainte avait un double objectif : obliger les développeurs à se concentrer sur la qualité de chaque colosse, en les pensant comme des puzzles vivants à part entière, et offrir au joueur une expérience plus intense, émotionnelle et méthodique, où chaque combat devenait une épreuve marquante. Ainsi, chaque colosse n'était pas juste un obstacle, mais une pièce essentielle d’un rituel tragique et solitaire.
Pendant le développement de Shadow of the Colossus, le producteur Kenji Kaido lança un défi majeur à l’équipe technique : créer une physique des colosses suffisamment réaliste pour que leurs mouvements aient un impact direct et dynamique sur le comportement du héros, Wander. Il ne s’agissait pas seulement d’animer des géants impressionnants, mais de concevoir de véritables créatures vivantes.
Kaido expliquait :
« Nous ne voulions pas simplement créer des géants à abattre, mais des êtres vivants avec lesquels le joueur devait interagir. Leur mouvement, leur équilibre, leurs réactions devaient être crédibles et affecter directement la manière dont Wander se déplace et combat. »
Par exemple, si un colosse commençait à trembler ou à perdre l’équilibre, le personnage devait réagir en temps réel. Il pouvait vaciller, perdre pied, glisser ou s’agripper avec difficulté. De plus, si un colosse possédait un membre horizontal, comme un bras ou une aile étendue, le joueur pouvait courir dessus comme sur une surface plane, avec des réactions physiques cohérentes.
Durant la production de Shadow of the Colossus, Fumito Ueda et le producteur Kenji Kaido ont fait le choix de maintenir une équipe de développement restreinte, mais hautement qualifiée. Ce n’était pas un simple choix logistique, mais une décision en accord avec leur volonté de préserver une vision artistique claire, homogène et maîtrisée du début à la fin du projet.
Fumito Ueda, réputé pour son perfectionnisme, a ainsi rejeté l’immense majorité des candidatures d’artistes souhaitant rejoindre le projet. Sur environ 500 candidats, seuls un ou deux ont été retenus, non pas en raison d’un manque de talent, mais parce qu’il estimait que peu d’entre eux comprenaient ou incarnaient réellement sa direction artistique. Même les profils expérimentés devaient souvent revoir entièrement leur style pour s’aligner sur l’atmosphère épurée, mélancolique et silencieuse propre à son univers.
Cette exigence extrême s’est traduite par une cohérence visuelle rare, mais aussi par un rythme de développement lent et rigoureux, où chaque élément était repensé jusqu’à ce qu’il reflète fidèlement la vision de l’auteur.
Au cours du développement de Shadow of the Colossus, une fin alternative avait été envisagée pour enrichir l’expérience narrative du jeu. Cette conclusion secrète devait se déclencher uniquement si le jeu détectait la présence d’un fichier de sauvegarde d'ICO, sur la carte mémoire de la console.
Dans cette version alternative, Mono se serait réveillée plus tôt, effrayant le seigneur Emon et ses hommes. De son côté, Wander aurait ressemblé à une ombre humanoïde avec des cornes jaillissant de sa tête.
À l’origine, le générique de fin de Shadow of the Colossus devait offrir une perspective plus introspective sur les événements tragiques du jeu. L’idée était de montrer Mono prenant conscience de l’ampleur du sacrifice de Wander, grâce aux souvenirs des combats contre les colosses qu’elle aurait acquis par l’intermédiaire d’Agro.
Cependant, cette idée fut finalement abandonnée, car Agro n’avait pas accompagné Wander dans tous les affrontements.
Si la fin du jeu telle que nous la connaissons a marqué les mémoires, Fumito Ueda a déclaré vouloir une fin plus heureuse au départ. Dans celle-ci, il était prévu que Wander parvenait à sauver Mono tout en restant en vie et avec une part de Dormin en lui. Cependant, plus le développement avançait, plus il jugeait cette fin comme trop "facile" et assez éloignée du message qu'il voulait véhiculer à travers le jeu. La fin a donc été modifiée pour correspondre à celle que nous connaissons ou presque...
Depuis la sortie du jeu, certains joueurs ont théorisé une chronologie avec les jeux de Fumito Ueda. Et si ce dernier a confirmé que Shadow of the Colossus se passait dans le même univers et qu'il précède chronologiquement ICO, il reste ambigu sur le sujet en ne précisant jamais combien d'années séparent les deux histoires, ni s'il y avait une proximité géographique entre les deux jeux. Ce qui est sûr pour les fans, c'est que la fin de Shadow of the Colossus marque le début de la malédiction présente dans ICO et la naissance de la lignée aux enfants à cornes.
Si Agro semble parfois ignorer les commandes du joueur, ce n’est pas un bug ou un défaut de conception. Il s’agit d’un choix délibéré de Fumito Ueda, motivé par sa volonté de reproduire le comportement crédible d’un vrai cheval. Pour lui, un animal ne devait pas répondre aux ordres avec la précision mécanique d’un véhicule, mais avec sa propre logique, son instinct… Et de temps en temps sa désobéissance.
Ueda a donc demandé aux développeurs de trouver le bon équilibre entre jouabilité et réalisme : Agro devait rester fiable dans les moments clés, mais devait montrer aussi une part d’indépendance, comme un véritable compagnon vivant. Ainsi, il peut hésiter, ralentir ou même désobéir brièvement selon la situation.
Il est possible de s’accrocher aux oiseaux et aux poissons et de se laisser emporter.
Dans les fichiers de Shadow of the Colossus, les fans ont découvert un objet inutilisé au nom : d'Œil du Colosse (Colossus Eye). Bien que jamais accessible dans le jeu final, cet objet est présent dans les données internes, et partiellement fonctionnel dans la démo du jeu.
Lorsque activé dans cette version préliminaire, l’Œil du Colosse permettait au joueur de voir l’action à travers les yeux du colosse, offrant une perspective totalement inédite sur les affrontements.
Cet objet a probablement été mis de côté suite aux bugs que cette vue entrainait ou des limitations techniques de la console.
L’un des choix les plus intrigants de Shadow of the Colossus réside dans le fait qu'aucun des seize colosses n’a de nom officiel dans le jeu. Le joueur les affronte sans jamais connaître leur identité, leur histoire, ou même leur nature exacte. Un choix assumé par Fumito Ueda pour renforcer l’ambiguïté et le silence narratif qui entourent l’univers du jeu.
Les noms que les fans utilisent aujourd’hui, comme Valus, Gaius ou Malus, ne sont en réalité que des surnoms. Ils proviennent d’un guide officiel japonais et de documents internes, dans lesquels les développeurs utilisaient ces appellations uniquement pour les distinguer entre eux durant la production. Ces noms, jamais mentionnés dans le jeu, ont ensuite été adoptés par la communauté pour faciliter les discussions… mais ils ne font pas partie du canon officiel.
Ce flou volontaire alimente l’aura de mystère autour des colosses, présentés non comme des boss à vaincre, mais comme des entités anciennes, monumentales et presque sacrées, dont les origines restent inconnues, renforçant le sentiment que l’on commet peut-être un acte irréparable en les abattant.
À l’origine, Fumito Ueda avait l’intention ambitieuse d’inclure jusqu’à 48 colosses dans Shadow of the Colossus. Ce chiffre démesuré reflétait sa volonté initiale de créer un monde vaste, peuplé d’affrontements titanesques et variés. Cependant, au fil du développement, il devint évident que les limitations techniques, mais aussi les contraintes de temps et de ressources, rendaient ce projet irréalisable.
Le nombre fut alors revu à la baisse, d’abord à 24, puis finalement à 16 colosses, soigneusement sélectionnés. Il avait également été envisagé d’introduire des colosses optionnels que le joueur aurait pu choisir d'affronter ou non. Mais cette idée fut rapidement écartée : elle entrait en contradiction directe avec la structure narrative du jeu, où chaque colosse fait partie intégrante d’un rituel, et où chaque mort a un poids émotionnel et symbolique. Ajouter des combats facultatifs aurait dilué le message central du jeu et affaibli sa tension dramatique.
Ce choix de ne conserver que 16 colosses fut donc artistique autant que technique. Il a permis de concentrer toute l’attention sur chacun d’eux, en faisant non pas des ennemis à enchaîner, mais des étapes essentielles d’un sacrifice tragique, dont le joueur ressent pleinement les conséquences.
Parmi ces huit colosses retirés, plusieurs sont présentés dans l'Artbook avec des noms une nouvelle fois utilisés par les développeurs. Phoenix était un être de pierre et de magma, mi-phénix. Le joueur aurait dû éteindre ses flammes en le faisant tomber dans un lac pour monter dessus et dévoiler son point faible. Il a été retiré pour des raisons de difficultés pour le joueur, puisqu'il s'agissait d'un combat qui retirait bien trop de vie au joueur. Sirius, Devil, Roc, Yamori, Griffin, Saru et Spider, ces colosses sont mentionnés dans la liste des colosses retirés, mais n'ont pas de description sur l'emplacement ou sur la manière de les vaincre.
Lors du développement de la remastérisation HD de Shadow of the Colossus pour PlayStation 3, Fumito Ueda et son équipe ont sérieusement envisagé d’ajouter du contenu inédit, notamment certains des colosses abandonnés au cours de la production du jeu original, ainsi que d’autres éléments restés inutilisés dans les fichiers du jeu.
Cependant, malgré l’attrait évident de proposer de nouvelles expériences aux joueurs, Ueda a préféré faire preuve de retenue. Il craignait qu’en ajoutant du contenu inédit, cela crée des attentes encore plus grandes : si huit colosses étaient restaurés, les joueurs pourraient naturellement en attendre douze, voire les quarante-huit initialement prévus.
L’image de Shadow of the Colossus utilisée dans l’écran titre de la compilation HD devait être utilisée comme jaquette pour Nico.
Dans le remake de Bluepoint Games, il est possible de trouver un des tonneaux que le jeune garçon jette à Trico dans The Last Guardian, mais aussi la pastèque qu'Ico peut donner à Yorda.
Dans À cœur ouvert (Reign Over Me), Shadow of the Colossus occupe une place centrale dans la vie de Charlie (Adam Sandler), reflétant la tragédie qu’il a vécue. Sandler aurait même improvisé une scène dans laquelle il explique les commandes à Don Cheadle, et tous deux sont devenus très habiles au jeu pendant le tournage, témoignant de l’importance et de l’immersion que le jeu apportait à leur interprétation.
Pour conclure cet article, je souhaitais mettre en lumière Beyond the Forbidden Lands, un mod du jeu original visant à réimplanter les huit colosses supprimés avec de nouvelles mécaniques pour les affronter. Pour réaliser ceci, les modeurs utilisent les données disponibles dans les fichiers du jeu et explorent les concepts abandonnés dans les documents de développement afin de reconstruire les combats tels qu'ils auraient pu exister.
Cette année, je me suis donné pour objectif de découvrir la trilogie Ueda. Après avoir découvert ICO plus tôt cette année, j’avais longtemps repoussé mon aventure sur Shadow of the Colossus, craignant de ne pas l’apprécier. En lançant le jeu, j’ai découvert son rythme particulier et compris que l’objectif de Wander était de réveiller Mono.
J’étais curieux de découvrir les colosses, mais à chaque affrontement, je craignais pour Wander et ressentais une profonde peine, autant pour lui que pour ces immenses créatures. Pourtant, cette tension et cette émotion m’ont happé : la sensation du prix à payer pour le héros m’a donné l’envie d’avancer.
Ne connaissant pas la fin, j’en suis resté bouche bée : pour moi, elle est douce-amère. Une vie perdue, deux retrouvées, mais scellées à jamais dans un monde vide, tout en laissant une lueur d’espoir pour les personnages.
Shadow of the Colossus me laissera un souvenir impérissable, grâce à son ambiance unique, ses colosses impressionnants et cette fin émouvante sublimée par une musique parfaite.
Prochaine étape The Last Guardian dans les mois à venir. En espérant que cet article vous aura plu
Merci pour ces anecdotes. J'ai adoré shadow of the colossus et the last guardian sur ps4. Malgré des moments parfois frustrants, ça reste dans le top des meilleures expériences pour moi sur ps4.
J'attends son prochain jeu avec impatience (un jour :nerd
J'espère qu'on aura des nouvelles de son prochain jeu bientôt avec une date de sortie fixée si possible, mais bon, ça m'a l'air assez compliqué, j'espère que le développement du jeu se passe bien
5120x2880 Je ne sais pas si sa volonté d'ajouter les colosses abandonnés dans le remaster était sincère, mais c'est clair que ça aurait été une grosse plus-value. Pour le remake ça aurait pu largement être possible, je pense, à minima comme ce que propose le remaster de The Last of Us Part II, permettant de jouer dans les niveaux abandonnés en guise de bonus. Ça aurait été sympa
icebergbrulant Merci ! Très curieux de son projet, j'espère quelque chose au VGA ou une belle annonce pour l'année prochaine
J’étais curieux de découvrir les colosses, mais à chaque affrontement, je craignais pour Wander et ressentais une profonde peine, autant pour lui que pour ces immenses créatures. Pourtant, cette tension et cette émotion m’ont happé : la sensation du prix à payer pour le héros m’a donné l’envie d’avancer.
Ne connaissant pas la fin, j’en suis resté bouche bée : pour moi, elle est douce-amère. Une vie perdue, deux retrouvées, mais scellées à jamais dans un monde vide, tout en laissant une lueur d’espoir pour les personnages.
Shadow of the Colossus me laissera un souvenir impérissable, grâce à son ambiance unique, ses colosses impressionnants et cette fin émouvante sublimée par une musique parfaite.
Prochaine étape The Last Guardian dans les mois à venir. En espérant que cet article vous aura plu
J'attends son prochain jeu avec impatience (un jour :nerd
Hâte de voir enfin le nouveau projet de Ueda et surtout une date de sortie
J'espère qu'on aura des nouvelles de son prochain jeu bientôt avec une date de sortie fixée si possible, mais bon, ça m'a l'air assez compliqué, j'espère que le développement du jeu se passe bien
5120x2880 Je ne sais pas si sa volonté d'ajouter les colosses abandonnés dans le remaster était sincère, mais c'est clair que ça aurait été une grosse plus-value. Pour le remake ça aurait pu largement être possible, je pense, à minima comme ce que propose le remaster de The Last of Us Part II, permettant de jouer dans les niveaux abandonnés en guise de bonus. Ça aurait été sympa
icebergbrulant Merci ! Très curieux de son projet, j'espère quelque chose au VGA ou une belle annonce pour l'année prochaine