(Avec quelques mois de retards je découvre cette perle de série. J'ai vraiment bien aimé, tout est bon dedans, quand je dit tout c'est tout.)
« C’est Montréal qui appelle. » « Il faut satisfaire les désirs de Montréal. » Au fil des épisodes de la série Mythic Quest: Raven’s Banquet, le nom de la métropole prend un éclat impressionnant. C’est là que résident les patrons. Là que se brassent les gros sous. Là que les jeux vidéo règnent en rois. Et là que, par la bande, résonne la musique d’Arcade Fire.
Coproduite par Ubisoft et (web)diffusée dès le 7 février sur Apple TV +, cette émission humoristique a été imaginée par la bande de It’s Always Sunny in Philadelphia. Mais ici, les rires sont nettement moins grinçants et le ton, moins satirique.
« C’est une histoire qui vient du coeur », résume avec un soupçon de tendresse le producteur et acteur David Hornsby. Il est vrai que cette comédie de situation, présentée le mois dernier à Pasadena aux journalistes, dont Le Devoir, mise sur des personnages typés attachants, une histoire d’amour naissante, des clins d’oeil moqueurs à l’actualité et quelques, comment dire ? «blagues anatomiques ».
Un peu comme Big Bang Theory utilisait la science pour toile de fond, Mythic Quest fait des jeux vidéo son décor. Reste qu’en son centre, il s’agit d’une histoire de bureau. De collègues qui s’aiment et d’autres qui se déchirent. De conflits, de rapports de genres et de jeux de pouvoir.
« Nous souhaitions faire rire avant tout », raconte Megan Ganz, cocréatrice et productrice du feuilleton. Rire, même en abordant des thèmes sérieux. Comme les heures supplémentaires de fous demandées aux concepteurs de jeux vidéo ; les conditions de travail parfois nullissimes ; la sous-traitance en Europe de l’Est. Le tout, sans trop tomber dans le prêchi-prêcha. Surtout en ce qui a trait à la récurrente question de « la place des femmes dans l’industrie ». « Nous ne voulions surtout pas aller dans le tragique, dans le “woe to the women”, malheur aux femmes, précise Megan Ganz. Nous souhaitions plutôt présenter plusieurs expériences. Et des personnages vraiment différents. »
Comme cette fille à l’ego immense, « qui n’est pas rongée par le doute, et qui n’a jamais connu l’adversité que ses collègues ont pu connaître, ajoute la productrice qui, par le passé, a signé des textes pour Community et Modern Family. Ça nous semblait plus authentique. Et, honnêtement, plus rigolo. Nous ne voulions pas que tous les mecs au sommet soient des abrutis ».
Même si certains le sont quand même un peu. Notamment ce patron incarné par David Hornsby. Un leader mollasson, qui tente d’avoir un peu de prestance et de récolter du respect. Peine perdue. « Ce gars veut à la fois satisfaire les exigences des patrons de Montréal et être ami avec les artistes. Bref, il souhaite être aimé de tous, remarque son interprète. Théoriquement, il est responsable. En réalité, il est au bas de la chaîne en matière de reconnaissance de ses pairs. » Enchaînant gaffe sur gaffe, ce gentil perdant qui chantonne du Spin Doctors illustre, selon l’acteur, « la panique que certains hommes ressentent devant les changements culturels de notre ère ».
Quatre générations d’acteurs se retrouvent, du reste, rassemblées dans Mythic Quest. Parmi eux, la jeune comédienne Ashly Burch, que les amateurs du jeu Borderlands connaissent sous le nom de « Tiny Tina ». De l’autre côté du spectre : le comédien octogénaire F. Murray Abraham, un artiste célébré pour son incarnation oscarisée d’Antonio Salieri dans l’Amadeus de Milos Forman. Dans la série, une oeuvre à mille lieues de ce classique de 1984, le vénérable monsieur incarne un scénariste de jeux vidéo complètement dépassé par les événements. Et, avec un sourire, F. Murray Abraham avoue l’être aussi. D’ailleurs, à la question : « Quel est votre jeu vidéo préféré ? », il répond : « J’aime bien celui avec un bonhomme qui en mange d’autres. » Traduction : Pacman.
Jour d’indépendance
La série n’a pas encore commencé qu’Apple TV + a déjà annoncé l’avoir renouvelée pour une deuxième saison. Simple technique de marketing ? Non, assure Megan Ganz. « C’est une compagnie qui a une vision, et qui nous permet d’avoir la nôtre. Elle ne se plie pas nécessairement aux désirs du public. »
Le cinquième épisode semble cependant faire écho à la situation de ces créateurs. On y suit l’histoire d’un couple qui travaille de tout son coeur à un projet de jeu indépendant. Ils se font remarquer par une grande compagnie. Elle leur offre une coquette somme pour leur concept. Ils l’acceptent. Et le regrettent.
Une inquiétude que Megan et David avaient en travaillant avec un géant tel qu’Apple ? Que leur idée originale soit modifiée ? Vraiment pas, soutiennent les comparses. « L’idée de cet épisode, c’était de montrer à quel point le développement des jeux vidéo a changé au fil des années. On commence par les années 1990, qui étaient très concentrées sur la masculinité, sur le sexe et sur la violence. Puis, on arrive à aujourd’hui, où on reconnaît enfin que les femmes aussi s’intéressent à cet univers. »
Notons ici que les premiers épisodes de la série ont été réalisés, entre autres, par David Gordon Green. Soit le cinéaste qui a conduit le Pineapple Express emboucané de Seth Rogen. En une trentaine de minutes bien tassées, l’ensemble aborde notamment la toute-puissance de certains youtubeurs, qui ont peut-être juste 14 ans, mais également dix millions d’abonnés. Puis ce qui arrive lorsqu’un jeu est détourné. Et utilisé par des fans aux idées extrémistes. En fait foi ce dialogue :
« Mythic Quest est le jeu numéro un…
— Fantastique !
—… parmi les suprémacistes blancs.
— Oh. »
S’ensuit une opération visant à se débarrasser des joueurs mécréants « sans contrevenir au Premier Amendement ». Comme le remarque un responsable : « Nous avons créé la plateforme. Mais est-ce à nous de décider qui peut y rester et qui doit partir ? C’est le même problème avec lequel ont dû composer Facebook et Twitter. »
Souvenir de David Hornsby : « Nous avons beaucoup discuté de la manière dont les jeux vidéo et les réseaux sociaux tissent des liens entre les gens — pour le meilleur et pour le pire. À quel point ces entités peuvent faire ressortir les plus beaux côtés de l’humanité, tout comme les plus moches. » Le remède ? Difficile à trouver. Mais dans le cas de cette comédie, dit-il, c’est simple : « Il faut affronter la situation avec beaucoup de rires. Et pas mal de ridicule. »
wickette