Il vit là, royal, au sommet de la montagne orange, quelques prairies à ses pieds. Au loin se dessine, comme un aplat de pixels perdu dans un fin brouillard (c’en est un, de fait) le château de la princesse. Comment s’est-il retrouvé là, au sommet de la montagne ? Bien sûr le Roi Bob-Omb, enorgueilli de sa belle moustache blanche et de sa belle couronne jaune, ne le sait pas. On ne voit même pas de quelle façon, gros comme il est, il a pu arpenter le long chemin étroit qui mène désormais à lui. Mais qu’importe après tout, puisqu’il y est.
Le roi Bob-Omb est fier de son royaume, quoiqu’il ne règne après tout que sur quelques bob-ombs, goombas et koopas circulant au rythme d’une musique MIDI. Mais peut-être sait-il un peu, au fond de lui, que ce royaume est le premier, le tout premier, d’un nouveau genre de royaumes. Des royaumes qui s’étendent maintenant de tous les côtés. Des royaumes où l’on peut aller là et venir ici. Des royaumes où l’on vole vers des îles flottantes à coups de canon. Des royaumes où l’on pénètre en plongeant dans un tableau dont la toile est sensible aux remous. Peut-être comprend-il un peu, imperceptiblement, que nombreux seront ceux qui se souviendront de son royaume et de lui, même au bout de vingt ans. Ce n’est pas donné à tout le monde, pas même à tous les rois. Et sachant cela, même aussi peu qu’il le sache vraiment, le Roi Bob-Omb a peut-être le droit de se laisser aller à une forme de suffisance.
Que croyez-vous alors qu’il se produit quand lui parvient Mario, le petit homme à moustache en salopette bleue et casquette rouge qui s’est déjà maintes fois illustré ? Accompagné, de surcroît, d’un Lakitu filmant tout depuis son petit nuage, comme s’il y avait de quoi se vanter, comme si cela allait intéresser des gens. Au fond de lui, il doit l’admettre, le Roi Bob-Omb admire Mario : dieu sait par quel miracle, il a survécu aux crocs du chomp pourtant intelligemment installé en bas, près d’un chemin. (Mais peut-être sa laisse, comme l’avait suggéré le roi Bowser, était-elle trop courte.)
Enfin, qu’importe, aussi brave soit Mario, le Roi Bob-Omb va s’occuper de lui personnellement. Ça lui passera le temps, lui qui n’a rien à foutre de la journée à part admirer le paysage et s’enorgueillir de son royal fessier. Il en est d’ailleurs si fier, de ce fessier, qu’il ne peut pas s’empêcher de l’évoquer devant Mario : je suis le Roi Bob-Omb, seigneur des explosions, déclare-t-il tout-de go. Et de promettre une étoile de puissance, à condition que Mario le jette au sol. Es-tu capable de soulever mon royal fessier ? La réponse vient sans tarder : oui.
La première fois que le Roi Bob-Omb se trouve soulevé par Mario, il se dit que ce n’est pas possible, qu’il ne peut pas être si fort. Mario le jette à quelques mètres, ça fait très mal et des étoiles. Le roi s’énerve un peu. Il n’avait pas vu venir ce coup. Il va se tenir sur ses gardes mais voilà que Mario est repassé derrière et qu’il le soulève à nouveau et qu’il le rejette au sol. Un oumpf métallique lui échappe, il se relève. Cette fois c’en est trop. Il se déplace plus lourdement pour effrayer le plombier : peine perdue, celui-ci lui refait le même coup, pas loin du vide de surcroît.
Mario lance le Roi Bob-Omb vers le bord. Le roi ne peut rien voir d’autre que le ciel, il croit qu’il va tomber de cent mètres et s’écraser, se ratatiner en bas, ridicule sous les yeux de ses goombas qui en plus ne comprendront même pas ce qu’ils voient, la chute lui paraît infinie mais total non, au bout d’un instant son royal fessier a heurté le sol. Il est vivant mais trois humiliations, cela suffit. Mieux vaut accepter la défaite, quitte à qualifier l’adversaire de petit bonhomme de rien du tout, en lui promettant que cela ne sera pas aussi facile contre le grand Bowser.
Autant lui filer l’étoile. Et puis de toute façon, n’aura-t-il pas l’occasion de prendre sa revanche ? Il suffirait que Mario choisisse l’étoile sur l’écran du départ, il le sait si bien qu’il le lui dit. Mais le fera-t-il ? Au fond de son petit cœur de bob-omb le roi le souhaite ardemment, au moment de dire à bientôt. Puis d’éclater et de libérer l’étoile, la première de toutes, la plus belle sans doute, l’étoile originelle sans laquelle 119 autres n’auraient aucune raison d’exister, pas plus que d’autres royaumes, des royaumes de bateaux engloutis et de murènes géantes, des royaumes enneigés où règnent des pingouins amateurs de toboggans, des royaumes de nuages et de bateaux volants, des royaumes de champignons et de singes farceurs, des royaumes d’horlogerie et des royaumes de sable, des royaumes de lave et des royaumes fantômes, et d’autres royaumes plus tard sur d’autres planètes ailleurs.