La vie, c’est le plus important. Sans la vie, on peut dire qu’on serait tous morts (ok, ok, à quelques exceptions près, si vous voulez).
La vie, c’est ce à quoi les gens tiennent les plus mais ce à quoi il pensent le moins. En fait, on s’attache à la vie quand on sent qu’on va la perdre.
Comment s’attacher à la vie ? vous demandez-vous.
Comment faire pour ne pas se laisser surprendre par la mort quand elle arrive sans crier gare ? Ou, du moins, comment faire pour que la mort crie gare quand elle arrive derrière vous avec le dessein de vous empaler sur la lame aiguisée de sa faux meurtrière et sournoise ?
C’est simple.
Attachez-vous un panneau dans le dos, posant cette question fort simple : d’où partent les trains ?
La mort étant très joueuse, elle ne pourra s’empêcher de crier gare avant de vous pourfendre.
Voilà un problème astucieusement réglé, et à moindre frais.
La vie c’est donc l’essentiel ; il faut la sauvegarder. Ou plutôt, il faut sauvegarder sa vie. Si les gens arrêtaient de jouer les héros pour sauver des personnes en détresse et passer au JT ensuite, plus nombreux seraient les vivants.
La vie est marquée par un début, et une fin. Le début s’appelle la naissance ; la fin s’appelle la vieillesse.
Après la fin, c’est la mort. Après la mort, les thèses divergent : certains représentants en bonheur, que l’on appelle Eglises, donnent dans leurs modes d’emploi des avis très différents : pour La Bible™, si l’on a été sympa pendant toute sa vie, la mort sera du sympa puissance mille pour les siècledésièclamens ; pour Le Coran™, de jolies jeunes femmes peu farouches nous attendront afin de nous faire connaître les cimes du plaisir sexuel. Evidemment, d’autres modes d’emplois donnent d’autres versions.
Selon certaines personnes n’ayant manifesté aucun intérêt pour ces entreprises de bonheur sur Terre et dans l’Air, personnes que l’on appelle athées, la mort n’est suivie de rien. Que dalle. Cette perspective les réjouit au plus haut point, parce qu’elles pensent que se donner l’air de celui à qui on ne la fait pas, donc pessimiste et déjà roué aux dangers de la vie, les rend bien plus intelligentes aux yeux de ceux à qui elles s’adressent.
De la naissance à la vieillesse, le corps connaît une expansion sans limites pendant une vingtaine d’années, avant d’entamer une décrépitude qui peut durer cinquante années.
Contrairement à ce que l’on a pu vous dire pour vous tromper, la vie ne ressemble en rien à un fleuve, encore moins à une cigarette ou à n’importe quelle connerie. La vie ne ressemble en fait à rien ; la vie est abstraite. Elle est partout ; elle est nulle part. Elle est et n’est pas. Elle vit et meurt. La vie va, la viva, Aviva.
La vie est un long malheur entrecoupé de brèves phases de bonheur. On comprend moins alors pourquoi les gens s’y attachent tant.
Parfois, avec un peu de chance, plus belle peut-être la vie. C’est vrai qu’on n’est vraiment rien sans elle, qu’on soit noir, ou même blanc (ça peut exister, des gens blancs, faut juste être préparé avant d’en voir un). N’y allons pas par un, ni deux, ni trois, ni quatre, ni cinq, mais par six, oui, six, chemins : il faut habiter à Marseille, dans un quartier en carton-pâte, avoir le pouvoir de se diffuser sur France3, être un acteur de quatrième catégorie, et connaître en une journée ce qu’une personne normale connaît en une année, donc en clair, pour reprendre une phrase d’un Lou Reed sous amphés, pouvoir dire : « Ma semaine nique votre année ».
La première chose que l’on apprend, dès le début de notre existence, c’est qu’il faut gagner sa vie. Comment gagner sa vie ?
La vie ne se gagne pas au babyfoot ou sur Mario Kart ; la vie se gagne à la sueur du front. Car détrompez-vous : on ne gagne pas sa vie en naissant ; ce serait trop simple.
On peut considérer que l’on a gagné sa vie quand on meurt dans un lit.
On peut considérer qu’on a perdu la vie dans deux cas : premièrement, si elle a disparu et on ne sait pas où elle se trouve ; deuxièmement, si on meurt dans un caniveau ou dans une carcasse de voiture, ou à moins de soixante-dix ans, où dans une geôle, ou en tombant d’un vélo à l’arrêt, où en menant une grève de la fin pour faire comprendre la difficulté de sa situation.
Il est plus facile de perdre la vie que de la gagner ; il est encore plus facile de perdre la vie quand on cherche à la gagner.
Plus une vie a été dure, plus elle a de la valeur. Entre un homme qui a subi des violences de ses parents et un type choyé jusqu’à sa vingt-cinquième année par papa et maman avant de se trouver un poste de fonctionnaire, il y en a un qui est indubitablement meilleur que l’autre, parce que l’autre n’a pas eu la chance de vivre une expérience traumatisante dès son plus jeune âge.
Avoir eu une enfance difficile, c’est un véritable atout pour la vie future : à moins d’être devenu attardé mental à la suite des coup reçus, on peut écrire un bouquin pour raconter son calvaire. Notez que la barrière imposée par le retard mental peut être franchie ; de nombreuses personnes médiatiques ont réussi à outrepasser leur handicap pour accoucher d’ouvrages autobiographiques sur leur enfance malheureuse.
Il paraît que les hommes naissent et vivent libres et égaux en droits. On peut légitimement en douter. Moi, par exemple, je peux difficilement tolérer l’idée que Daniela Lumbroso soit mon égale et ait les mêmes droits que moi.
La vie est une affaire bien trop complexe pour que l’on puisse en parler sans avoir connu préalablement la mort. De même que si la nuit n’existait pas, nous ne saurions pas ce qu’est le jour, nous ne pouvons pas savoir ce qu’est la vie tant que nous n’avons pas expérimenté la mort.
J’ai à ce propos demandé à Martin Luther King, décédé notoire, ce qu’était la vie pour lui, maintenant qu’il pouvait la comparer à la mort. Sa réponse fut cinglante mais juste : «Etant donné le nombre de noirs morts en esclavage, j’en vois plus en une heure au paradis qu’en une vie sur terre. Donc ma vie était plutôt naze, oui ».
C’est sur cette phrase pleine de vérité que nous pouvons conclure.

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posted the 05/03/2006 at 10:29 PM by
franz
Ca je dis, c'est puissant
Je dois te dire que je prends un malin plaisir à lire tes textes.