Plus que toute autre ponctuation, j'abhorre les guillemets.
Est-il un signe plus hypocrite, plus menteur, plus veule et plus lâche que les guillemets ?
La vue de ces petites accroches, hors du cadre d'une citation ou d'un dialogue, me plonge dans un énervement incontrôlable.
Les guillemets sont aux écriveurs ce que le viagra est aux débandeurs : un aveu d’impuissance.
Je ne supporte pas cette habitude qu’ont certains journaleux de bas étage de foutre des guillemets en tous sens sans raison particulière, juste parce qu’un mot les choque et qu’ils veulent signifier qu’ils n’y adhèrent pas, ou parce qu’ils ne connaissent pas l’équivalent français d’un anglicisme et qu’ils savent que des lecteurs chauvinistes à la con vont leur tomber dessus s’ils n’encadrent pas le terme trash avec des guillemets. Et si la langue française est infoutue de faire comprendre ce que le mot trash évoque, qu’y peut-on ?
Les guillemets sont la muselière que l’on pose sur les mots pour éviter qu’ils mordent.
Les guillemets sont l’aveu direct de la lâcheté de celui qui les emploie, et l’aveu indirect de la puissance que les mots peuvent avoir.
Les guillemets sont la formule magique qui met leur auteur hors de toute critique possible ; ils lui évitent d’avoir à se justifier ; ils lui évitent de prendre ses responsabilités.
Je ne veux pas avoir à foutre les mains dans la merde ? Alors je l’écrirai ’’merde’’, et personne ne me demandera de la remuer.
Entre un Arabe et un ‘’Arabe’’, il n’y a qu’une paire de guillemets qui signifie qu’on n’ose pas toucher au second, parce qu’il est dangereux.
Entre les jeunes et les ‘’vieux’’, il y a une paire de guillemets qui crée le plus grand gouffre intergénérationnel possible.
Mettre un mot entre guillemets, c’est mettre ce qu’il désigne en quarantaine.
Les guillemets sont le cafard de la langue ; il la décousent, la déconstruisent, l’enlaidissent, l’affadissent, et lui font perdre son sens profond. Existe-t-il au monde un texte plus moche, plus dépersonnalisé, et plus vide qu’un texte gavé de guillemets ?
Ces pincettes de petit chimiste de la langue sont l’aveu de notre infériorité face au vocabulaire. Celui qui utilise des guillemets concède qu’il est dépendant des mots, qu’il ne peut rien faire contre eux, et qu’il ne maîtrise pas son discours.
Plus insupportable que tout est l’utilisation des guillemets à l’oral, avec ces gens qui se sentent obligés de dessiner ladite ponctuation en plaçant leurs doigts crochus devant leur torse, comme pour se protéger du terme qu’ils emploient. Genre « je dis ce mot-là, mais je ne l’aime pas. » Bande de cons, pour que votre discours soit puissant, vous devez avant tout aimer les termes que vous employez, les sélectionner pour leur beauté, les agencer et les chérir parce que ce sont eux qui constituent à ce moment votre unique arme.
Pire que cette race, il y a celle des crétins qui dessinent des parenthèses en précisant « je dis ça entre guillemets ».
Les tréfonds de la connerie sont atteints par ceux qui inversent tout, et disent «entre parenthèses » pour désigner un terme qu’ils voulaient mettre entre guillemets, et qui généralement sont les mêmes à préciser « euh, entre guillemets » pour faire une parenthèse. Tout en dessinant de leurs mains la mauvais ponctuation, évidemment.
Les utilisateurs de guillemets sont les négationnistes du langage ; ils dénient l’existence de ce dont ils parlent.
Entre une chambre à gaz et une ‘’chambre à gaz’’, il n’y a qu’une paire de guillemets qui fait comprendre que l’on doute de l’existence de la seconde.
Les guillemets sont l’étoile jaune que l’on plaque sur les mots pour qu’ils ne sortent pas de leur ghetto.
Ils sont la plus obséquieuse des ponctuations ; ils sont le racisme appliqué au domaine du langage.
Ils sont la censure contre laquelle nous devons tous lutter pour que la langue reste une arme de destruction, d’humour et d’émotion massifs.
C’est pourquoi je vous demanderai de niquer tous les guillemets, y compris ceux que certains eussent voulu que j’apposasse autour de niquer.
Merci.

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posted the 03/28/2006 at 02:23 PM by
franz
Mais la guillemet permet également de faire l'apologie d'un mot dans une phrase, je te parle donc de la "guillemet", la grande la vrai, la puissante, elle permet également de mettre en valeur un mot, ou de préciser que le terme employé n'est qu'un terme de remplacement pour désigner quelque chose d'encore pire. Cela dit ton discourt n'en n'est pas moins faux pour autant.