(MAJ du 27 mars à 13 h 45 : Ajout de précisions sur les étudiants en informatique ; ajout de quelques éléments sur les manifestations.)
Partie III : L’étudiant
Une fois le bac en poche, le jeune a plusieurs possibilités, mais dans la majorité des cas il poursuit des études, parce que sinon, paraît-il, sa vie ne sera pas enviable pour un sou.
Il existe un bon paquet de races d’étudiants, toutes différentes voire opposées.
L’étudiant en lettres constitue le cliché même de l’étudiant dans toute sa splendeur. Il réfute les idées reçues selon lesquelles il serait toujours le premier à se mettre en grève pour un oui ou pour un non, mais il est toujours le premier à se mettre en grève pour un oui ou pour un non. Il suffit qu’un gouvernement, de gauche ou de droite, propose une petite réforme innocente, pour que l’étudiant de lettres se mette en branle et vienne défendre des acquis sociaux, la stabilité de son avenir, les droits du travail, ou même de l’homme – bref tout un tas de conneries. L’étudiant de lettres possède un seul et unique fantasme : il veut refaire mai 68. Peu importe qu’on soit en mars 2006 ; l’essentiel c’est d’avoir sa petite révolution perso, une petite action subversive pour dire qu’on ne se laisse faire par personne. C’est au nom de la démocratie qu’il prétend se mettre en grève ; c’est aussi au nom de la démocratie qu’il s’estime légitimé dans l’action de bloquer sa fac même si les autres n’en ont pas nécessairement envie. Afin toutefois d’éviter un véritable conflit ouvert au sein de leur propre université, ce qui serait quand même bien couillon, les étudiants s’entassent dans des assemblées générales où, par le biais d’un vote à main levée démocratique oxymorique, on décide si oui ou non le blocage est nécessaire. Au cours de ces assemblées générales, on apprend que le gouvernement fait dans son froc, que la démocratie est surpuissante et que rien ne l’arrêtera, que la liberté merde à la fin fait chier quoi, que les vingt élèves de troisième année en lettres classiques aimeraient bien aller en cours, que l’on va voter à main levée pour savoir si l’on votera par la suite à bulletin secret, que les anciens lettreux soixante-huitards ont aussi un avis sur la question, et qu le mouvement est formidable, et qu'en plus c'est bien parce que comme ça on peut faire la connaissance d'étudiants des autres facs, voire rencontrer une meuf super dans une manif.
Dans une fac de lettres, la masse des cheveux de tous les étudiants réunis est plus importante que celle de leurs cours. (Alors qu’en fac de droit, la masse des cheveux de tous les étudiants réunis est égale à celle de Mein Kampf – et croyez bien que je ne fais aucun lien entre les étudiants de droit et celuid’extrême droite auteur de ce somptueux plaidoyer pour l’analphabétisme.) Car les étudiants de lettres ont un autre combat : la liberté d’expression capillaire. Il faut qu’il y ait des cheveux partout, dans tous les sens : un corps sain sous une touffe saine.
L’étudiant en lettres aime son campus ; il adore y boire des bières (sans oublier de laisser traîner les packs et bouteilles vides) avec ses potes pendant qu’un autre fait du diabolo devant l’amphi et qu’un dernier roule un pétard. A ce propos, l’étudiant en lettres adule les pétards. Plus que tout, il se réjouit toujours d’avoir une soirée beuverie prévue chaque week-end, pendant laquelle il pourra se péter la gueule en écoutant du métal et/ou Matmatah en fumant d’énormes joints avec ses amis. Notez que c’est le cas d’autre étudiants, en sciences par exemple, dont certains sont même enclins à se faire une gloire personnelle d’avoir avalé une bouteille de Vodka en une soirée ‘’sans être bourré !’’. Ce qui n’est vraiment pas de chance, dans la mesure où l’on considère que l’on boit justement pour être bourré.
Le lettreux fume essentiellement des cigarettes roulées, parce qu’elles ont l‘air plus de gauche que les cigarettes manufacturées, ces dernières affichant carrément une certaine tendance capitalistique (mais je vous renvoie à l’article sur la vie des cigarettes publié naguère sur cette même page). Pourtant l’étudiant de lettres n’est pas plus pauvre qu’un autre ; il veut simplement en donner l’impression.
L’idéologie de l’étudiant en droit est toute autre. Ce dernier est plus riche que les autres ; il veut d’ailleurs en donner l’impression. L’étudiant en droit ne se sent concerné par aucun combat social ; il boycotte les assemblées générales ou y va pour huer un intervenant parce qu’il a l’air un peu bougnoule sur les bords (mais pas tellement au centre, notez). S’il est en prépa Sciences-Po, l’étudiant de droit a toutes les chances de se prendre d’ores et déjà pour un grand journaliste du niveau de Jean Pierre Pernault ou carrément pour le prochain Premier Ministre. Celui qui prépare une entrée pour n’importe quelle grande école a de toute manière l’impression qu’il est la lumière du monde, et que c’est à lui de guider les insignifiants qui étudient au même endroit que lui, et que tout est gagné d’avance dans sa vie, et qu’au pire tout est perdu d’avance dans celle des autres.
Pourtant, l’étudiant de Sciences-Po n’est pas dans la même logique que celui qui cherche à le rejoindre après une classe préparatoire. L’étudiant de Sciences-Po adore le vélo ; alors il fait la vélorution. Il adore l’Allemagne, alors il y va. Il adore qu’on le félicite sur sa réussite, alors il va se faire mousser. L’étudiant de Sciences-Po est simple, sociable, conscient de son intelligence, inconscient parfois de sa légère pédanterie.
Parmi les autres races, citons l’étudiant de médecine, qui, pris dans une logique de sourde concurrence avec ses camarades, n’a pas d’autre choix que celui de bosser 60 heures par semaine. Il peut toutefois s’avérer être un grand déconneur ; on voit régulièrement des poulpes voler dans les amphis des facs de médecine. Quant à l’étudiant en informatique, il est simplement un geek qui passe quinze heures par jour devant un écran d’ordinateur. En conséquence de quoi, entre deux travaux pratiques, il va donner son avis sur des sites de jeux vidéo, et cherche les derniers jeux en flash à la mode. Il ne rechigne toutefois jamais, le week-end, à des soirées arrosées et enfumées entre potes, même si l'absence de PC dans un rayon de 10 mètres peut poser problème au bon déroulement de la collation.
L’étudiant lettreux ou droiteux bénéficie donc, contrairement aux autres, d’un emploi du temps de branleur. Ils peut subséquemment aller boire des tonnes de coups en ville l’après-midi avec ses amis, fumer comme un taré, et parler de sujets insignifiants. Mais surtout, surtout, il a le loisir d’enfin exaucer son vœu : sortir avec une fille qu’il aime vraiment et qui l’aime vraiment ; et considérer qu’il s’agit de sa première relation importante. C’est à ce moment qu’il comprend véritablement l’intérêt et l’importance de l’amour ; c’est à ce moment qu’il comprend pourquoi il vit.
L’étudiant peut aussi avoir une âme d’artiste, avec laquelle il compte séduire : composer de la musique, tenter de réaliser des courts-métrages, ou bien écrire des imbécillités sur un blog en s’imaginant, au vu des nombreux commentaires enthousiastes, qu’il publiera un jour un magnifique bouquin et qu’il sera considéré comme le nouveau Desproges. Parfois même, il est poète, et n’hésite pas à dire que ‘’Tes yeux ont percé mon cœur/ Ton amour a fait partir ma froideur / A toi je dédie cette complainte / Ma vie sans toi n’est qu’une longue plainte’’. Du coup, il expose parfois des conneries du genre « Ouais, tu comprends, pour moi écrire c’est un besoin vital, sans ça je mourrais ». L’étudiant, mais surtout l’étudiante en fait, se sent bien souvent investi d’un devoir vis-à-vis de la société ; il pense qu’il doit aider ses concitoyens à ouvrir les yeux sur la misère du monde qui nous entoure. Il pense que la tolérance c’est bien, et qu’il a un message à faire passer. C’est aussi pour ça qu’il manifeste dès que l’occasion se présente. L’étudiant manifeste généralement de manière plutôt calme et organisée, même s'il ne sait pas toujours vraiment pourquoi il le fait ; manque de bol il est parfois importuné par des lycéens dont le seul désir est de tagger des « CRS=SS » partout ou, sur les arrêts de bus, des « Contrôleurs = collabos ». En clair, on se demande si pour le lycéen, le retour des nazis n’est pas un désir qui, s’il se réalisait, lui permettrait de se la jouer résistant. Depuis maintenant quelques années, les manifestations ont d'ailleurs leurs punching-ball : les CRS. Ces braves gens qui sont certainement, pour certains, d'accord avec les manifestants n'occupent dans ces démonstrations qu'une place de sbires à la solde du tyrannique gouvernement qui veut baîlloner la jeunesse. Certes, leur accoutrement à la Robocop n'incite pas à soulever leur masque de plastique pour y découvrir, parfois, le doux visage d'un homme de 25 ans qui serait près, si son devoir n'était pas de les surveiller, à rejoindre ses camarades générationnels dans leur combat pour les droits de l'homme qu'ils sont, et contre les droits des monstres que sont les patrons d'entreprises.
Les années estudiantines sont les plus belles de la vie du jeune. C’est le temps de l’épanouissement, de la perte du dégoût de son corps, de la découverte d’une sexualité pleine et vraiment jubilatoire, des rencontres amoureuses laissant espérer des lendemains heureux, et de la prise de goût en l’existence. C'est le temps où les valeurs suprêmes sont la liberté, les droits de l'homme, l'égalité, la fraternité, le bonheur pour tous et toutes ces valeurs désuètes déjà oubliées par les adultes, qui ont parfaitement compris que la vie n'a pas de saveur si l'on n'est pas le seul à être heureux.
Le drame de l’étudiant, c’est qu’il garde un esprit contestataire mais qu’il ne peut pas se plaindre de grand-chose.
Et le drame du jeune, c’est que parce qu’il est jeune, on estime qu’il ne peut se plaindre de rien.
posted the 03/24/2006 at 09:21 PM by
franz
(J'espère) futur etudiant en medecinne (medecin légiste !! mon rève) ce que tu dis me rassure au plus profond de moi " l’étudiant de médecine, qui, pris dans une logique de sourde concurrence avec ses camarades, n’a pas d’autre choix que celui de bosser 60 heures par semaine" SIC !!
Mais après les étudiant y'a quoi ?
Bah, les adultes serieux et travailleur