Suite à une discussion avec l'un d'entre vous, je me suis rendu compte que certains n'avaient pas forcément vu ce que je voulais dire, dans l'édito du numéro Deus Ex (148 pages / disponible uniquement sur le site [url]www.icaremag.fr[/url] ), lorsque j'évoquais des articles qui se répondent et font écho. Voici l'explication.
En effet, le numéro a été construit pour que les idées voyagent, avec des oppositions, des exemples, des approfondissements. L'objectif a toujours été de fournir une réflexion assez large sur le futur qui se dessine :
- Le premier article, l'autoportrait d'Alex D., traite ainsi de l'aspect négatif de la science ("science sans conscience n'était que ruine de l'âme, aujourd'hui elle est la ruine de l'homme") et de la vision très sombre (sociale et politique) du futur présenté dans la saga Deus Ex.
Or le discours d'Alex D. (premier article / autoportrait) trouve une réponse opposée avec le discours en faveur de l'évolution scientifique et du transhumanisme dans la fausse conférence scientifique ("La science déconnectée de l'homme") qui présente les différents enjeux ("L'enfer est pavé de bonnes inventions"). Sans oublier la nouvelle qui développe l'impact des nanotechnologies sur la vie d'un homme (la fausse conférence introduit la nouvelle, on y retrouve les mêmes personnages) ou la transformation de la société (cf l'article sur les "assurances des personnels militaires" que lit le héros -page 97-).
- Si la question de la nature humaine, et ses interrogations, sont également soulevées par ces articles, le test de DX:HR revient sur la dimension existentielle absente de la personnalité de Jensen pour être ensuite traité, par l'exemple, dans la nouvelle "Au troisième jour". Le héros "Gaël Siélain" réfléchit ainsi sur ses transformations, sa dénaturation, sa place, sa réalité, ses angoisses, comme aurait dû le faire Adam Jensen pour avoir une dimension psychologique forte. Bien sûr, il ne s'agissait pas de le reproduire (la nouvelle a été écrite avant la réception du jeu) mais de montrer ce que Gaël ressentait ("il se sentait étranger à lui-même") et pensait de son évolution. Une réflexion que n'aborde jamais Jensen qui se contentera d'un "i never asked for this".
- La liberté est un autre thème traité dans le magazine à travers le mythe d'icare (qui revient très souvent dans les articles) ou sa définition (le début du test de Deus Ex par exemple). C'est d'ailleurs pourquoi on retrouve la citation de Jean-Paul Sartre "nous sommes condamnées à la liberté" aussi bien en ouverture du test que dans la nouvelle. Nouvelle qui par ailleurs faisait référence à la lecture du magazine par le héros :
Il repensait alors à cette citation de Sartre qu'il avait lu dans un vieux magazine : "nous sommes condamnés à la liberté". Mais Sartre se trompait. Il en était convaincu. L'humanité était condamnée à l'esclavage. L'homme produisait la science, la science produisait l'aliénation. Personne ne pouvait échapper aux technologies. La seule évasion possible était la mort.
Cette question de l'évasion dans la mort est à voir ironiquement (dans la nouvelle) puisqu'elle est en rapport avec le projet Eternit-ae, au coeur du récit (au passage, le roman sur lequel je travaille se passe dans le même univers, 400 ans plus tard environ, je n'ai pas encore bouclé la chronologie).
- Il y a également la question de l'accessibilité qui revient dans plusieurs papiers. Il y a une première idée avec l'interview/lettre de Warren Spector qui montre à quel point l'objectif des développeurs n'a jamais été autre chose que de proposer un gameplay en accord avec leur discours sur la liberté. Un gameplay que reniera Deus Ex : Invisible War au nom de cette accessibilité. Une notion envisagée également dans l'article sur l'avenir de la presse spécialisée jeu vidéo. (Au passage, le magazine est lui-même accessible, sans souci de compréhension, cf traitement "romanesque")
Voilà, je passe la problématique de la conspiration qui est traitée dans l'autoportrait, dans requiem pour un dactylo (qui est la preuve, par l'exemple là encore, de l'article sur la stratégie de l'isolement), dans la stratégie de l'isolement et dans la nouvelle (cf la dernière page avec une référence à Olivier Delamarche et Nicolas Doze). C'est certainement le plus visible (avec le thème du Progrès et la critique du progressisme). Quoiqu'il en soit, le magazine a été construit de telle sorte qu'il nourrisse la réflexion et propose des pistes. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les différents renvois, les nombreux clins d'oeil (Nadine Morano et Frédéric Lefebvre), mais je voulais simplement détailler ce que j'avais annoncé dans l'édito. Surtout, je vous enjoins à le lire complètement pour avoir une bonne expérience de lecture. Ne sautez pas la nouvelle ou Requiem pour un dactylo, cela modifiera votre perception du numéro.
Au passage, à l'origine (et par manque de sous), la partie conspiration devait se terminer sur un article traitant des différentes sociétés secrètes ce qui aurait permis d'instaurer un climat paranoïaque. Je ne l'ai pas fait mais j'ai publié dans le numéro Spec Ops une lettre du scénariste de Deus Ex, un peu dans l'esprit.
Sinon, petit bonus, j'ai été ravi de voir que le magazine avait été cité dans plusieurs mémoires et thèses. Notamment la stratégie de l'isolement (la partie conspiration fut la plus longue à écrire même si le test de Deus Ex et l'autofiction sur le trailer E3 furent les plus compliqués à mener).
Enfin, pour tous les critiques qui adorent évoquer les mises en abime, il y a dans ce numéro des mises en abime de mises en abime. Je ne dis pas forcément que ce spécial Deus Ex vous plaira (chacun en pense ce qu'il veut) mais il a été réfléchi et construit. Et cela n'a pas toujours été vu.
Pour terminer, les deux audios.
1) Teaser du numéro Deus Ex :
2) Teaser de l'autoportrait :
-- sauvegarde du billet publié sur gamekult fin 2012.