Attendant dans le couloir gris l’arrivée de James Bond, le Dr. Doak se remémore le briefing qui lui est arrivé par courrier :
Dr. Doak, svp donner à notre agent le décodeur qui lui permettra d’aller dans la salle où se trouvent les containers qu’il fera exploser. Ne vous inquiétez pas, on organise votre fuite.
Revenons vers vous asap,
Cdt
C’était il y a deux semaines. Depuis, le Dr. Doak n’a cessé de douter : vont-ils vraiment m’aider à m’échapper ? Mais il est trop tard pour faire marche arrière. James Bond va arriver d’une seconde à l’autre. Dehors, le vent glacé de l’Arkangelsk couvre les derniers hurlements des alarmes du barrage, qui n’ont plus aucun soldat à alerter : tous sont tombés sous les balles de la Couronne britannique. Là où il se trouve, le Dr. Doak entend se rapprocher, des entrailles du laboratoire, les échos pathétiques de la mort que 007 sème à coups de PP7 silencieux. Des râles de douleur rebondissent contre les murs puis s’évanouissent contre les portes blindées.
Hier le Dr. Doak attendait James Bond dans la salle avec de grands containers dont un est couché par terre. Il aime bien venir ici pour s’installer sur la plateforme surélevée au fond de la pièce. Il n’y a là qu’un ordinateur où se succèdent des lignes vertes, c’est l’endroit rêvé pour faire semblant de travailler.
D’ailleurs, ici, tout le monde fait semblant de travailler. Aujourd’hui le Dr. Doak a décidé d’attendre dans le grand couloir gris menant aux labos les plus importants. L’austérité des murs est à peine compensée par le carrelage blanc couvrant leur partie inférieure. Il a pensé – judicieusement – qu’en ne se mêlant pas aux autres scientifiques, il faciliterait la tâche de James Bond. Certes il s’ennuie un peu, n’ayant pour compagnie que deux soldats (l’un vieux à moustache, l’autre la bouche de travers) feignant d'être sur leurs gardes.
Mais passer la journée avec ses collègues scientifiques n’aurait rien de plus réjouissant. Ils ne se parlent pas, ne se disent même pas bonjour le matin, et font encore plus semblant de travailler que lui. A la limite, que le Dr. Doak ne fasse pas vraiment d’expériences, c’est compréhensible : il est agent double. Mais que les autres, avec tout le somptueux matériel dont ils disposent, erlenmeyers, fioles, fioles jaugées, béchers, ballons et tubes à essais, se contentent de rester debout, les bras ballants, devant leur paillasse, ça le met hors de lui. Quelquefois ils parcourent deux mètres pour se mettre celui-ci face à celui-là, puis restent là, à se fixer, sans se parler.
Mais voilà James Bond. Il arrive à toute berzingue, pas essoufflé pour un sou, par contre le torse et les jambes tachés de sang. Il est sans doute touché mais ne laisse rien transparaître de sa douleur. Un coup de KF7 Soviet à gauche, le soldat moustachu est mort. Un coup à droite, c’est au tour de celui qui a la bouche de travers. Les collègues du Dr. Doak se ruent vers la sortie de leur labo et se bousculent dans le couloir. Il est temps d’y aller, Dr. Doak, lui dit Bond. Le Dr. Doak a répété mille fois sa réplique : Vous aurez besoin de ce décodeur pour ouvrir la porte de la salle aux containers. Bonne chance, 007. Ainsi se conclut la rencontre.
Ne reste plus qu’à s’échapper car James Bond, armé de ses mines, va tout faire péter. Le Dr. Doak se met à courir, pas de manière inquiète, plutôt détendue même, mais pour aller où ? Il n’a pas eu de nouvelles du MI:6. Son extraction s’annonce mal. Il n’y a pas de sortie dans ce complexe, il le sait bien : la seule sortie est vers l’avant, là où James Bond va miner les containers. A Dieu vat : réfugié dans la pièce bleue où se trouvait auparavant un soldat dans le coin, mais dont ne reste pas même un cadavre, le Dr. Doak n’a plus qu’à courir en rond avec les autres scientifiques, sans se parler bien sûr, même dans ces ultimes instants où chacun pourrait se livrer, lui en avouant qu'il est un double agent, les autres en reconnaissant qu'ils ont toujours fait semblant de travailler, il s’agit de ne pas flancher, de rester digne jusqu’au bout, les uns courant sans fin contre le mur du fond, lui autour d’une table où sont renversés des tubes à essais où jamais un essai n'a été mené. Ici, tout le monde a toujours fait semblant.