Medias
GTA IV et les médias, 2
(Cette partie s'adresse plus aux lecteurs des blogs que je tiens sur des sites non-consacrés aux jeux vidéo. C'est pour cette raison que je parle des sites de jeux vidéo comme si je leur étais complètement extérieur.)
GTA IV est parvenu à cristalliser les habituelles inquiétudes des journalistes concernant les jeux vidéo : ultraviolence et addiction. Il n’a pas suffit d’expliquer que le jeu donnait un contexte à cette violence, qu’il prenait lui-même du recul dessus et qu’il posait les cadres nécessaires à ce qu’un joueur adulte n’oublie jamais qu’il est dans un univers virtuel.
Dans l’émission de France Inter, un journaliste invité faisait la précision la plus essentielle concernant ce jeu : il est amoral parce que le joueur lui donne sa propre morale. C’est ici que se trouve la nuance que peu de gens, me semble-t-il, saisissent. Ceux qui disent (il y en a aussi parmi les joueurs, et ils sont nombreux) que GTA est un jeu d’abrutis parce qu’il faut tuer des piétons ou se taper des prostituer n’ont rien compris — il faut noter par ailleurs que c’est aussi le seul point avancé par certains fans du jeu, qui contribuent sans le vouloir à pourrir sa réputation. GTA n’a jamais demandé à quiconque de tuer des piétons ou de se taper des prostituées. Mais, comme la vie telle que nous la connaissons, il nous donne ces possibilités. Ainsi, pour ne voir dans GTA qu’un jeu où seuls les comportements délinquants sont permis, il faut y jouer en décidant d’adopter ces comportements. En poussant un peu, on pourrait dire que ceux qui reprochent à GTA son immoralité sont en réalité ceux qui explorent le plus cette facette du jeu — si l’on admet, par excès d’optimisme, qu’ils y jouent pour forger leur opinion. Et l’on peut en déduire qu’ils sont les plus immoraux de tous les joueurs. Reprocher à GTA son amoralité est aussi bête que de reprocher à la vie son amoralité. La vie est comme elle est, et GTA est comme la vie. Personnellement, ce que j’aime dans GTA, c’est me promener en écoutant de la musique et en admirant la précision du travail mené pour faire vivre avec cohérence tout un univers virtuel. Ca ne demande pas beaucoup d’efforts : il suffit simplement de suivre la piste non-violente à laquelle le jeu nous incite en proposant de chouettes musiques, de chouettes décors et une construction des villes étudiée pour nous pousser à la contemplation.
Mais admettons deux secondes qu’en effet, comme on peut le craindre, GTA rende taré. Nous pouvons envisager cette hypothèse. Pour fréquenter très assidûment les sites de jeux vidéo et suivre attentivement les conversations qui s’y tiennent, je constate une chose : la question de la morale est prépondérante pour de très nombreux joueurs — trop nombreux pour laisser croire à une influence massive des jeux vidéo. Ils ne supportent pas la guerre et détestent voir de la violence dans les JT. Ils détestent les pédophiles et les assassins et en appellent parfois — trop souvent d’ailleurs — à la peine de mort (en phase avec une tendance qui exige le retour d’une justice sévère qui ne prendrait même pas la peine de chercher à comprendre pourquoi un criminel commet un crime). Bref, ce sont de pures tafioles, disons les choses telles qu’elles sont. Mettez-leur un fusil dans les mains, demandez-leur de tirer sur quelqu’un qui n’est ni George Bush, ni un pédophile, ni un assassin d’enfant, et vous pouvez être certain qu’ils vous le rendront en pleurant leur mère. Lorsque les rumeurs ont affirmé que Manhunt 2, un autre jeu de Rockstar, contiendrait des scènes de viol, les commentaires se sont presque tous accordé pour dire qu’une barrière infranchissable était franchie. Aux yeux de la plupart des joueurs que j’ai vus s’exprimer sur le sujet, il s’agissait d’une possibilité inacceptable. Que craignaient-ils ? Non pas d’être influencés mais plutôt que le jeu ne soit pas drôle à jouer. Comment se divertir en violant quelqu’un ? Faire des vannes sur la forme phallique de la Wiimote, ça va bien deux minutes mais s’en servir vraiment comme d’une bite, et avec violence en plus, s’il vous plaît pas de ça chez nous.
C'est là que les choses bloquaient et ils étaient nombreux à estimer qu’un jeu n’avait pas le droit de nous faire faire ça. Personnellement, je n’aurais pas dépensé 60 € pour violer quelqu’un virtuellement mais j’aurais voulu voir comment les développeurs s’étaient arrangés pour reproduire les sensations d’un viol dans une manette. Je trouve cette idée du viol très intéressante car dans un viol il y a du plaisir, ou au moins une recherche de plaisir. Comment reproduire ce plaisir alors qu’il ne viendrait à l’idée de presque personne de violer ? Comment simuler le plaisir d’un acte qui provoque le dégoût chez la quasi-totalité d’entre-nous ? J’aurais voulu le savoir et je voudrais qu’un jour un développeur essaye d’intégrer une scène de viol dans son jeu. Je pense qu’il s’y casserait les dents mais l’initiative serait forcément intéressante parce que c’est par ce genre d’initiatives que le jeu vidéo parviendrait à affirmer le potentiel artistique qui l’habite (pas de jeu de mots s’il vous plaît).
C’est ici, me semble-t-il, que l’on touche le nœud du problème. Le jeu vidéo ne choquerait plus les bonnes consciences journalistiques s’il était accepté par l’ensemble de la société comme un art. Si le jeu vidéo n’est qu’un loisir, il ne peut être immoral parce qu’il est inconcevable de se divertir avec de la violence. Si le jeu vidéo est un art, il a le droit d’être immoral car son immoralité nous interroge sur le monde. GTA n’est pas, contrairement à ce qu’on dit communément, gratuitement violent. Il n’y a pas de violence gratuite. S’il y a une violence gratuite, intolérable parce que gratuite, cela signifie qu’une autre forme de violence, tolérable, est dotée de valeur. J’ai du mal à le concevoir. Toute violence a un sens et celle de GTA en a un : celui que le joueur veut bien lui donner.
Peu de jeux pourraient être considérés comme des œuvres d’art. Mais il n’y a pas beaucoup plus de films, de musiques ou de livres qui pourraient l’être et pourtant le cinéma, la musique et la littérature sont considérés comme des arts. Ce qui leur vaut ce statut, c’est qu’à un moment des réalisateurs, des musiciens et des écrivains ont su, en cherchant la beauté, outrepasser les règles de la morale pour interroger le monde et le rapport que nous entretenons avec lui. Ce qui est en œuvre dans cette défiance perpétuelle à l’égard des jeux vidéo, c’est la volonté de les cantonner à l’état de loisir sans autre objectif que le divertissement. Et pour sortir de ce statut, les créateurs doivent faire tomber les barrières morales. Les jeux peuvent nous proposer de violer des gens, de tripoter des enfants ou de commettre des génocides parce qu’ils ne sont pas obligés d’être gentils et simplement divertissants. Ils peuvent et ils doivent nous confronter à notre propre conscience et à nos propres limites, comme l’ont fait les autres arts.
Un argument généralement avancé par les joueurs pour justifier la violence des jeux vidéo est qu’ils ne montrent pas des choses plus violentes que la télé et les films. Ce à quoi on répond le plus souvent, pour montrer que la violence vidéoludique est plus grave que la violence cinématographique, que l’interaction implique le joueur. Eh bien je trouve ça très bien, l’implication du joueur. Je préfère maîtriser la violence, lui poser mes propres barrières, plutôt que de la subir. C’est par l’interaction que les jeux vidéo peuvent définir une grammaire qui leur soit propre et qui les caractérise en tant qu’art. Chaque art a sa grammaire et c’est par cette grammaire qu’il se rend autonome. Les jeux vidéo sont sur la voie vers cette autonomie et c’est à nous qu’il appartient de ne plus craindre l’idée que l’on peut faire de belles choses en s’amusant avec tout et surtout de tout : de la guerre, de la misère et de la mort — permettez-moi de paraphraser Pierre Desproges, après tout c’était son 69e anniversaire le 9 mai dernier.
Il me semble qu’Oscar Wilde a tout dit de la relation entre art et morale dans la préface de son roman, le Portrait de Dorian Gray. Je vous la soumets car elle s’adapte parfaitement au cas de GTA IV et des jeux vidéo :
L’artiste est le créateur de belles choses.
Révéler l’art et dissimuler l’artiste, tel est le but de l’art.
Le critique est celui qui peut traduire en une autre manière ou en une autre matière les impressions que créent sur lui les belles choses.
La forme autobiographique est la forme de critique la plus haute, mais aussi la plus basse.
Ceux qui trouvent à de belles choses des significations laides sont corrompus sans être séduisants. C’est là une faute.
Ceux qui trouvent à de belles choses des significations belles sont les gens cultivés. D’eux on ne doit pas désespérer.
Ceux pour qui les belles choses ne signifient que Beauté sont les élus.
Il n’existe pas un livre moral ou un livre immoral. Un livre et bien écrit ou mal écrit, un point, c’est tout.
La haine du XIXe siècle pour le réalisme, c’est la rage de Caliban découvrant son visage dans un miroir. (Permettez-moi d’ajouter : la haine du XXIe siècle pour GTA IV, c’est la rage de la société découvrant son visage dans un miroir)
La haine du XIXe siècle pour le romantisme, c’est la rage de Caliban ne découvrant pas son visage dans un miroir.
La vie morale de l’homme constitue une matière sur laquelle travaille l’artiste, mais la moralité, pour l’art, réside dans l’usage parfait d’un médium imparfait. Aucun artiste ne désire prouver quoi que ce soit. Même des choses vraies peuvent être prouvées.
Nul artiste n’a de sympathies éthiques. Chez un artiste, toute sympathie éthique est un maniérisme impardonnable.
Nul artiste n’est jamais morbide. L’artiste peut tout exprimer.
Pensée et langage constituent pour l’artiste des instruments de son art.
Vice et vertu constituent pour l’artiste des matériaux de son art.
Du point de vue de la forme, le paradigme de tous les arts est celui du musicien. Du point de vue du sentiment, c’est le métier du comédien.
Tout art est à la fois surface et symbole.
Ceux qui plongent sous la surface le font à leurs risques et périls.
Ceux qui déchiffrent les symboles le font à leurs risques et périls.
C’est le spectateur, et non la vie, que reflète en réalité l’art.
La diversité des opinions suscitées par une œuvre d’art prouve que l’œuvre est neuve, complexe et d’importance vitale.
Quand les critiques ne sont pas d’accord entre eux, l’artiste est en accord avec lui-même.
On peut pardonner à un homme d’avoir réalisé une chose utile dès l’instant qu’il ne l’admire pas. La seule excuse à la réalisation d’une chose inutile, c’est qu’on l’admire intensément.
Tout art est inutile.
Voilà un texte parfait, auquel il ne manque peut-être qu’une idée : celle qu’il y a quelque chose de pourri dans ce royaume.

tags :
publié le 18/05/2008 à 22:07 par
franz
C'est comme dans un film, a aucun moment nos choix ne vont avoir une influence sur le déroulement du scénario, on peux fermer les yeux, se boucher les oreilles, mettre arrêt sur image pour admirer un paysage entre deux morts, ca ne change rien au fait que si un film est immorale il le restera quelque soit votre façon de voir les choses.
De plus concernant le débat sur le fait de savoir si le JV est un art ou pas, oui il l'est évidement et la seul raison pour laquelle la plupart des gens le considèrent encore comme un loisir est que dans la tète de la plupart des gens, JV=plombier qui saute sur des tortues sur fond de bip bip. Le JV aura sa reconnaissance mais il faudra du temps. Après franchement on s'en fout un peu de savoir si le JV est un art ou pas, l'art continue de choquer et quoi que tu en dise, on ne peux pas tout se permettre sous prétexte que c'est de l'art. Il y a peu de temps un artiste (brésilien ou argentin jsais plus trop) a laisser crever un chien attaché pendant plusieurs jours au cours d'une expo d'art moderne, c'est de l'art et beaucoup de personnes ont étés choquées. Autre exemple concernant le cinéma, combien de personnes ont été choquées devant Irréversible (moi le premier), combien ont trouvés discutable le fait de montrer un Hitler plus humain que les livres d'histoires nous le décrivent dans La Chute ?
Combien de personnes pensent réellement que Marylin Manson est L'antéchrist et qu'il s'auto-suce en sacrifiant des poulets ? L'art n'excuse rien bien que la liberté d'expression devrais autoriser n'importe qui a faire partager ses opinions, les artiste subversifs le sont car il le veulent. Y a pas de fumée sans feu disait ma grand mère et elle avait bien raison. En bref si GTA est aujourd'hui (une nouvelle fois) au centre de la polémique c'est en premier lieu car ça fait parler de lui et ça lui fait donc de la pub, les développeurs en sont conscients (pourquoi édulcorer une oeuvre pour éviter les critiques alors qu'on peux les laisser parler et vendre des millions de jeux ?) et surtout car ils sont conscients que c'est cela que veulent les joueurs. La grande majorité des gens rêvent de tuer quelqu'un sans jamais franchir le pas, GTA répond a cette attente. Le libre arbitre n'existe donc pas (pour quelqu'un qui voudrais rentabiliser son achat en tout cas), la devise du jeu est fait le mal ou barre toi.
Voila, jespere avoir compris ou tu voulais en venir et ne pas être trop a coté de la plaque, en tout cas félicitation quand même pour cet article, les gens qui prennent la peine de chercher ce qui peux bien se trouver plus loin que le bout de leur nez sont trop rares pour ne pas être salués.
Oui GTA IV ne devrait pas être victime de censure de la part d'organismes quels qu'ils soient : c'est à chaque personne de décider si l'experience ludique proposée par un jeux est à même de le satisfaire, et si l'on a envie de consacrer notre précieux temps dessus.
La question de la morale est à mon sens trop large pour être traitée serieusement brievement car la seule définition de ce qu'est la morale requiert une vaste analyse multi-factorielle.
La violence materielle ou immaterielle reste toujours négative et produisant des effets négatifs quel que soit le but recherché par celui qui la crée materiellement ou immatériellement, et quel que soit le support sur lequel il la crée.
Voila voila, avec une bonne dose d'humilité (hyper important l'humilité ) en sus tu tiens quelquechose mecton : une pensée libre, critique , humble, évitant les idées reçues crées par les medias ....l'autoroute de la réflexion globale est longue mais passionnante.
Anarchie !
Voilà un mythe qui marche toujours très fort : la violence serait inhérente à notre condition d'êtres humains.
La violence est le dernier moyen d'expression et est géneralement utilisée par les plus faibles. La violence produits toujours des effets négatifs, faibles ou intenses, rapidement ou sur le long terme. La source réele de la violences dans le société : les croyances (toutes mais en particulier les religions).
Padrino "Mais je me pose tout de même la question de savoir s'il est possible d'atteindre une certaine forme de beauté par ce biais. Après tout, au delà du drame, on peut trouver que les attentats du 11 septembre, conçus pour être des attentats télégéniques, ont été une formidable réussite esthétique du point de vue de leur mise en scène et des images qu'ils ont permis d'obtenir."
Sous cocaine avec des amis artistes m'a tu vu j'aurai pu trouver ça esthétique. Heureusement je ne suis qu'un musicien solitaire assez lucide.
Bien sur un artiste peut être subversif en choississant de combattre l'irrationel, l'injustice ect... (ect la liste des choses à combattre est longue dans ce monde de malades) en se servant de son art comme forme non-violente de combat.
Et enfin, oui ! ni les règles, ni la morale, et encore moins les règles morales ne devraient entraver la route de l'être humain en général. Transgresser les règles morales c'est tout simplemement être sain d'esprit. A
Je sais pas pkoi je poste ici au juste car j'ai cesser de jouer aux jv depuis 1 ans mais c'est juste cool de pouvoir discuter avec des jeunes qui réflechissent. ciao
Tu recommandes le visionnage d'une émission de télé.... très bien les gens regardez cette emission et venez ensuite lire les différentes analyses individuelles ci présentées : le debat tv est il aussi large et libre que sur ce blog ?! rationellement ?! sincèrement ?! Pour ma part je ne le regarderait pas car j'ai aussi arrèté la TV depuis 1 ans et que par mon experience personnelle j'ai été amener à réaliser l'inutilité et le vol de temps de cette tâche.
++ mec