(Hektor en a parlé hier soir sur son blog mais j'ai envie d'en parler aussi.)
Paris Match, voilà un magazine que j’adore lire parce que souvent il me fait rire, les confessions d’untel, l’interview vérité d’unetelle, l’amour face à la mort pour ces deux là, les larmes derrière le rire pour celui-là — le dernier en date était Serrault, qui a eu droit dans toute la presse au classique éloge du clown qui rit pour cacher ses blessures, l’homme triste derrière le masque de l’humour, tout ça —, et cetera.
Depuis deux mois Paris Match, détenu par le frère de notre Président de notre République Arnaud Lagardère, est devenu l’album officiel de la famille Sarkozy, avec presque chaque semaine de belles photos signées Laurent Wattrin, auteur en outre du portrait présidentiel qui siège dans nos mairies.
Ce qui m’a beaucoup amusé ces derniers temps, c’est la manière dont on s’est emporté contre le limogeage d’Alain Génestar après qu’il a fait je ne sais plus quoi au juste sur Cécilia Sarkozy — je crois qu’il avait publié des photos d’elle avec un amant potentiel. C’est-à-dire qu’il y en a certains pour qui, pourrait-on croire, Paris Match était une sorte d’Eden journalistique avant cette affaire, un magazine dans lequel on parlait de tout sans chichi et avec tout le professionnalisme qui s’impose. En réalité ça n’était pas vraiment mieux qu’aujourd’hui mais ça avait en effet le mérite de secouer un peu la merde dans le couple Sarkozy.
Enfin aujourd’hui, c’est certain, tout ça est révolu.
Aujourd’hui, lorsqu’on utilise une photo de notre cher Président en vacances aux Etats-Unis, on fait attention, journalisme rigoureux oblige, à ce que rien ne dépasse qui puisse nuire à son image. C’est sans doute horrifié qu’on a découvert, sur la photo de gauche ci-dessous (prise pour l’agence Reuters), un petit morceau de graisse qui dépassait au-dessus du baigneur de M. Sarkozy. Et en effet, mon Dieu comment est-ce possible mais oui, il semblerait bien que notre Président, le Président de notre glorieuse République, héritière du siècle des Lumières et des années sombres, ait des bourrelets — légers mais tout de même (Voltaire en avait-il ? Evidemment non, donc bon). Alors qu’il semblait surtout sujet aux poussées de haine, le voilà pris de poignées d’amour, pauvre homme, quelle déchéance en vérité. Et surtout le voilà semblable à n’importe quel pékin quinquagénaire.
Il s’agit alors de réparer l’affront : comment Paris Match, organe de presse officiel de l’Elysée, pourrait-il diffuser une photographie où M. Sarkozy montre son embonpoint, se demande-t-on. Il serait dommage de se priver de cette image le montrant père de famille, naviguant sur des eaux douces avec son fils. Ah, si seulement Laurent Wattrin avait été là, sûr qu’il n’y aurait pas eu à faire ce genre de correction, car ses clichés auraient été parfaits par essence. Eh bien en l’absence du maestro démerdons-nous, et cachons ce bourrelet qu’on (qui ?) ne saurait voir.

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A gauche la photo de Reuters, à droite la photo Paris Match)
En voilà des procédés, tout de même. Et surtout, en voilà une idée absurde : alors que tout le monde se serait contrefoutu de cet excès de graisse apparent — surtout qu’en toute franchise il n’y a pas de quoi en avoir honte, de ce petit truc —, on décide de se casser le cul à la dissimuler, sans penser qu’à côté de ça la photo originelle permettra de remarquer la supercherie. Visiblement, chez Paris Match (Pourri Moche comme l’avait parodié un magazine satirique qui n’a dû faire qu’un numéro), on est aussi bête qu’on estime que son lecteur l’est. Car c’est avant tout reconnaître que son lectorat est fait de gens superficiels et légèrement débiles que de prendre les devants en éliminant un détail sur lequel seule une personne superficielle et légèrement débile se serait attardée (oh, regardez le bourrelet de Sarko, ohlala c’est moche, ouh il est gros, oh la honte). Et c’est aussi concéder que son propre patron, Arnaud Lagardère, est superficiel et légèrement débile que de craindre sa foudre si d’aventure une poignée d’amour Sarkozienne devait apparaître dans son magazine. Et puis dans ce contexte de suspicion exacerbée à l’encontre des médias, désignés comme vassaux du Président et qui parfois en ont, il faut le dire, le comportement, il n’est pas très malin de tendre un nouveau bâton pour se faire battre. Franchement, on ne sait plus lequel prendre tant on nous en tend.
En tous les cas, si une personne doit se sentir insultée par ce bidouillage, plus encore que le lecteur, c’est Nicolas Sarkozy. Car qui porte ici la critique de son physique si ce n’est Paris Match lui-même ? Par sa bienveillance zélée, le magazine dénonce, en creux, la présence d’un bourrelet chez notre Président et, pire encore, attire toute l’attention dessus plutôt que de la détourner. C’est tout de même ballot de sa part, surtout qu’à mon avis M. Sarkozy lui-même s’en foutait quelque peu, pour ne pas dire qu’il sera désormais complexé puisqu’il faudra qu’il apparaisse, sur toutes les photos le montrant torse-nu (et gageons qu’il y en aura encore par paquets), aussi svelte que sur ce cliché — hélas on ne peut pas modifier toutes les photos dans tous les organes de presse.
Enfin — et surtout — j’émets toujours des doutes quand quelqu’un me parle de propagande, parce que bien souvent on classe dans la catégorie propagande des choses qui n’en sont pas vraiment eu égard à la définition du terme — c’est toujours une bonne manière d’attaquer l’autre que de lui conférer des idées ou des moyens d’action fascistes — mais en l’occurrence je ne serais pas loin de penser qu’il s’agit plus ou moins de cela. Vous m’excuserez mais lorsqu’on s’amuse à modifier une photographie pour faire apparaître une personnalité politique sous un meilleur jour que celui de la réalité, j’ai tendance à assimiler ça à une forme de propagande. C’est un peu vouloir nous faire aimer cette personne à tout prix que d’effacer tous ses petits défauts supposés, non ? Remarquez, pour Paris Match il ne s’agit pas de ça, ah non pas du tout. Pour Match, à qui l’Express a posé la question de ce mystérieux bourrelet disparu — il faudrait mettre en place un plan Alerte Enlèvement peut-être, ça marche bien ce machin, peut-être serait-ce tout aussi efficace pour une poignée d’amour que pour un enfant —, cette modification s’explique en des termes choisis, la position sur le bateau exagérait cette protubérance ; en allégeant les ombres, la correction a été exagérée en photogravure.
Ecoutez, je crois que ce sera le mot de la fin tant il est brillant : en allégeant les ombres, la correction a été exagérée en photogravure. Donc tant va la cruche à la chevillette qu’en la fin la bobinette choit et se brise.
(Source : Libération.fr)