Je suppose que je ne vous ai pas trop manqué depuis la dernière fois que j’ai abusivement profité de la liberté d’expression qui m’est donnée sur cette page — car tout blog est à mes yeux une utilisation inutile donc abusive de la liberté d’expression, c’est d’ailleurs ce qui fait le charme de cet outil et c’est la raison pour laquelle j’écris ce billet.
Sans doute aucun, le constat le plus impressionnant de cette grosse huitaine de jours passée est la perte subie par l’humanité de quatre ou cinq de ses plus importants représentants.
Certes, quelques dizaines de milliers de gens tout aussi dignes de représenter l’humanité, voleurs crapuleux, meurtriers sanguinaires, amoureux transis, femmes battues, maris alcooliques, enfants crevant de faim ou de coups de ceinturon, vieux oubliés ou heureux, quinquagénaires cardiaques, adolescents génétiquement suicidaires, soldats ou civils, sont également morts pendant cette période. Mais tous ces gens ne sauraient être aussi importants qu’ont pu l’être Michel Serrault, Ingmar Bergman, Michelangelo Antonioni et Ulrich Mühe (pour le cinéma) ou le cardinal Lustiger (pour la religion).
Il est vrai que les morts quasi-simultanées de Serrault, Antonioni et Bergman ont vite fait oublier celle, passée presque inaperçue, de Mühe. Au reste qui connaît Ulrich Mühe ? Vous-même, il se peut que vous ayez vu et adoré un des films grâce auxquels son visage a traversé la frontière allemande sans que pour autant vous ayez conscience de l’existence de cet acteur. Pour beaucoup, et pour moi-même, la révélation de l’existence d’Urlich Mühe fut un choc aussi rude que la nouvelle de sa mort. Comme quoi hein.
Pour vous qui ne savez donc toujours pas qui est Ulrich Mühe, je procèderai en deux temps. D’abord sachez qu’il est mort et bien mort. Mort d’un cancer si vous voulez tout savoir, puisqu’en Allemagne on fume encore et on ne se dissimule pas comme en France : il reste des publicités et même des distributeurs de cigarettes, outil essentiel de l’homme qui ne demande rien d’autre qu’une clope à deux heures du matin. Et si cette nouvelle, celle de sa disparition pour employer les termes en usage lorsqu’on veut éviter d’aborder carrément le sujet de la Mort (d’ailleurs, à propos d’expressions employées pour évoquer la mort, il y en a une que j’aime, c’est trouver la mort, par exemple trois alpinistes ont trouvé la mort dans les Alpes hier, peut-on entendre à la radio ; ainsi, si d’aventure vous cherchiez la mort vous saurez où la trouver, c’est au Mont Blanc), donc si cette nouvelle ne vous fait rien, demandez-vous si vous avez vu La Vie des autres. Rappelez-vous, on finissait par l’aimer ce débonnaire espion de la STASI, il nous touchait quand il essayait tant bien que mal d’aller contre un système dont il était pourtant un élément essentiel. On a même, peut-être, senti une larmichette poindre au coin de l’œil quand, à la fin, au détour d’une journée normale de son minable petit boulot, il tombe sur un livre de l’homme qu’il a espionné, et que ce livre, peut-il lire en page de garde, lui est dédié. Eh bien l’acteur qui jouait cet espion si attachant, Ulrich Mühe, est mort, et je vous l’annonce avec dix jours de retard. Vous aurez aussi pu le voir dans Amen de Costa-Gavras, il paraît qu’il y jouait un officier SS, que des beaux rôles dites-moi.
Voyez-vous, La Mort des autres d’habitude je m’en balance un peu, mais cette mort-là j’ai du mal à m’y faire. Mühe était si bon, si fort dans son rôle de fonctionnaire que pour le coup il est un peu devenu, dans ma tête, ce fonctionnaire.
En tout cas lundi dernier la télévision m’a vraiment fait croire à une soirée hommage géante. D’abord il y avait du Serrault à toutes les sauces, surtout sur TF1 et France 2 ; au reste je me suis amusé de voir qu’étaient simultanément diffusés Le Bonheur est dans le pré, sur France 2, film bucolique avec Serrault, et L’Amour est dans le pré, sur M6, émission bucolique avec des gens. Et sur Arte était diffusée à 20h40 une série policière allemande qui n’est ni Derrick, ni Le Renard, ni Un Cas pour deux, mais alors quoi ? Une série dont j’ai, pour tout vous dire, oublié le nom mais dont l’acteur principal dans le rôle du flic était Ulrich Mühe. J’ai cru à une autre soirée hommage mais il semblerait qu’Arte diffuse cette série depuis un moment ; cela dit il est probable que la première motivation d’Arte ait été le succès de La Vie des autres.
A propos de séries policières rediffusées, je vous signale qu’en ce moment TF1 programme, à 14h40 du lundi au vendredi, des épisodes de Columbo ; et je ne manque pas cette occasion de vous exhorter à vous plonger dans ce feuilleton génial.
Mais alors, génial pourquoi ? D’abord parce que Peter Falk est génial. Voilà un homme qui aura consacré 80% de sa carrière d’acteur à un seul et unique rôle, jusqu’à accepter qu’on ne l’appelle plus jamais Peter Falk mais Lieutenant Columbo — ou Inspecteur Columbo mais seuls les ignares oseraient qualifier Columbo d’inspecteur. Un peu comme Ulrich Mühe, Falk aura été si fort dans son rôle de flic aux airs de débile léger qu’il aura lui-même éclipsé tout le reste de sa vie.
Le génie de Columbo tient aussi à son fonctionnement, le meurtrier qu’on connaît immédiatement, le lieutenant qui n’apparaît qu’à la vingtième minute et un suspens qui, au lieu d’être gâché dès le départ puisque l’on voit tout du meurtre, est savamment entretenu pendant plus d’une heure sur une question : comment Columbo, ce pauvre flic prolo, va-t-il coincer cet assassin retors ? Car toute la classe de Columbo, c’est son message social. Chaque épisode débute sur des histoires de sentiments et/ou d’argent, causes de multiples soucis chez des caricatures de capitalistes vivant dans des quartiers riches de Los Angeles. Ca commence comme les Feux de l’Amour, ça a même l’air aussi nul et aussi mal joué que les Feux de l’Amour, Jessica m’a trompée avec mon meilleur ami, je ne puis tolérer cet affront surtout que j’ai des dettes de jeu, se dit par exemple l’assassin. Alors il échafaude un plan génial, parfait sous toutes les apparences, du poison incrusté dans la dent de la victime, des alibis immanquables, des astuces pour faire porter les soupçons sur quelqu’un d’autre. Et quand Columbo lui annonce la nouvelle il prend l’air abattu de celui qui ne s’y attendait pas, que me dites-vous Lieutenant, Mick est… mort, oh je ne peux pas y croire, je l’aimais tellement c’était mon ami vous savez, on se disait tout, et vous m’apprenez qu’il s’est suicidé, oh mon dieu j’aurais dû le savoir je me sens terriblement coupable. Et là Columbo, qui s’est servi une banane dans le frigo de la victime, ou qui a allumé le mégot de son cigare avec une de ses allumettes, lui dit oh oui m’sieur je comprends comme ça doit être dur pour vous, je ne veux pas vous déranger mais vous comprenez c’est la routine, ce à quoi l’assassin répond, ne se sentant plus pisser, oui lieutenant cesser d’embêter les gens honnêtes, ou bien, pensant pouvoir se le mettre dans la poche, oh lieutenant il n’y a pas de problème, voulez-vous un café.
Souvent Columbo et le meurtrier deviennent amis, ils se bourrent la gueule ensemble, ils discutent de choses profondes, des fois même, lorsque l’assassin est une femme sexy incarnée par Faye Dunaway, ils tombent presque amoureux et, en filigrane, on comprend qu’un meurtrier a toujours ses raisons, et que parfois on ne saurait lui donner complètement tort. Pendant tout l’épisode l’assassin ne cesse de se dire haha je suis en train de le berner, ce petit flic de pacotille, et de son coté Columbo apprend beaucoup auprès de sa proie. Le mystère c’est de savoir si Columbo devine dès le départ l’identité de l’assassin et colle donc à ses basques pour le tromper en se faisant passer pour un innocent policier, ou s’il a une révélation sur la fin et se sent con d’avoir sympathisé avec un tueur. Et la morale est toujours la même : un homme, même riche et puissant, ne peut rien faire contre une justice incarnée par un fonctionnaire de police à la paye misérable et à la vie bien rangée. Un feuilleton de gauche, en gros — même Besancenot n’y résisterait pas.
Il y a tellement de raisons qui font de Columbo une œuvre géniale que vous n’avez d’autre choix que d’y jeter ne serait-ce qu’un œil si vous n’en avez jamais vu, et d’autre solution que de retenter le coup si vous vous étiez endormi sur le seul épisode que vous aviez tenté de voir. Et puis par-dessus tout ça, il y a le détail qui tue : alors qu’on a réussi à éradiquer le tabac d’à peu près tout ce qui ressemble de près ou de loin à une émission télévisuelle, Columbo demeure peut-être le dernier héros à avoir continué de mégotter ses cigares en dépit des quelques tentatives menées pour lui faire cesser cette pratique plus immorale encore que la sodomie des mouches.
TF1 rediffuse les épisodes les plus récents et, paradoxalement, ceux qui ont le plus mal vieilli. Toutefois je vous conseille très vivement de regarder celui de demain (jeudi 9), qui est superbement tourné.
posted the 08/08/2007 at 06:29 PM by
franz
J'ai bien aimé même si je trouve un peu dommage que souvent on connais déjà le meurtrier dès le départ.
Comme tu le dis tout l'intérêt c'est de voir comment Columbo va coincer le type ^^' Pour l'instant j'aime assez mais bon ça doit devenir lassant
Et toutes ces histoires me donne envie de rejouer a phoenix wright en plus T.T