Il y en a qui commencent à me casser sérieusement les couilles, ce sont les artistes dits engagés. Oh ils sont bien mignons, ils ont des jolies causes, la nature la paix ce genre de choses, tout ça c'est superbe mais le problème ne vient pas tellement de là. L'ennui ça n'est pas qu'ils soient engagés : l'ennui c'est qu'ils se disent artistes. Et sous ce prétexte, ils viennent débiter à la radio des chansons ignoblement prétentieuses donneuses de leçon sur la religion, l'environnement, la guerre, Bush ou le pétard. J'en ai au moins un exemple en tête, le genre néo-nihiliste qui va citer Nietzsche pour apparaître cultivé, comme tout le monde — oui, je ne sais pas si vous avez pu le constater mais tout le monde cite Nietzsche aujourd'hui, c'est le philosophe du moment, il est devenu aussi star que Paris Hilton.

Cet exemple c'est un groupe français qui s'appelle Matmatah, contre lequel je n'ai jamais rien eu si ce n'est qu'il me donne parfois la gerbe. Leur dernière chanson radiophonique s'appelle la cerise, je vous en propose le texte pour que vous constatiez la qualité de la chose.





LA CERISE


Et l'on serpente à la surface,
Négligeable bagatelle,
Candidate forcée à l'hécatombe perpétuelle,
Ouvrons la chasse aux mécréants qui n'ont jamais goûté l'opium,
Sensé faire de nous des hommes et des mères pour nos enfants,

Ce premier couplet brille par sa fatuitude, comme dirait Nicolas Sarkozy. Négligeable bagatelle, candidate forcée à l'hécatombe perpétuelle, des termes qui sonnent bien, mis bout à bout, pour donner une sorte de truc dont l'auteur vous dira sans doute que c'est de la poésie, puisque vous le voyez par vous-même il y a des rimes (bagatelle/perpétuelle). Pour le moment ça ne semble pas vouloir dire grand-chose mais qui sait, peut-être la suite nous éclaircira-t-elle sur les desseins du texte.


Alors on brûle on brûle on brûle, on accumule autant d'émules,
De peuple en peuple, de ville en ville, pendant que les théocrates dealent.
Si Dieu existe ? Je n'en sais rien. Quel est le plus beau des jardins ?
Si par le plus grand des hasards tout ça existe, je ne veux pas le savoir.


Voilà. Ici l'auteur donne clairement son point de vue : Dieu c'est une arnaque, qu'il existe ou pas je m'en tape mais je compose une chanson pour le faire savoir. Nous voilà renseignés, d'abord sur le message de la chanson, ensuite sur l'affection que doit porter son auteur pour l'époque moyenâgeuse puisqu'on croirait qu'il nous parle de l'inquisition, un peu comme si la diabolique Eglise catholique continuait de brûler les sorcières. Sauf que maintenant les sorcières ce sont les prêtres.



Alors ne me fais pas croire que nous attend la bonne surprise,
J'ai autre chose à faire à voir dans cette vie de friandises,
Ne me laisse pas croire que nous attend la bonne surprise,
Et si jamais tout n'est pas noir, ce ne sera que la cerise.


Boum. Dans le refrain M. l'Athénihiliste Lucide se pose également en observateur désespéré de la condition humaine mais tutoie son auditoire : il sait que ce dernier est composé pour une bonne partie d'adolescents et se rapproche de lui pour mieux lui donner des leçons. Si jamais tout n'est pas noir, ce ne sera que la cerise, la terre va sauter et c'est la faute des religieux intégristes, la vie c'est moche mais c'est bien tout de même, il y a tant de chouettes choses à faire.



Et l'on torture à la surface
Le corps, le sexe, la femme, la science
Et autres formes de connaissances trop dangereuses pour nos systèmes


Back to the Middle Age ! On torture le corps, le sexe, la femme et la science, mais attention on torture à la surface, notez bien cette précision. On a banni Galilée parce qu'il a osé dire que la terre était ronde, rendez-vous compte, c'était il n'y a pas si longtemps, un peu moins de 400 ans tout de même, pourquoi personne ne se révolte contre ce scandale ? Il est temps de prendre les armes.


Je refuse toute abstinence plutôt que de m'avouer vaincu
J'invoque ici l'immanence, la transcendance en temps voulu


Ici l'auteur explique sa règle de vie et veut montrer qu'il connaît beaucoup de mots compliqués.



Ignorants noyés sous la gnose
Prenez le ou non comme une fronde
Mais je ne ferais pas de vos névroses
Un modèle pour mon monde


Ici l'auteur se place clairement du côté de ceux qui savent. Qui savent quoi ? Eh bien bande d'ignares, ceux qui savent que la terre est ronde, que l'on torture des femmes et la science et que Dieu n'existe pas. Le monde de Monsieur, son monde à lui, ne sera pas fait des névroses des ignorants, que cela soit dit. De toute façon ils sont noyés sous la gnose, alors il n'y a plus rien à en tirer.



Si Dieu existe, je n'en sais rien
Je ne péterais jamais plus haut
Que le Cul d'aucun de vos Saints
Si Dieu existe, rencard à l'échafaud


Ici l'auteur, quoiqu'il en dise, réaffirme sa supériorité : il s'attend, et à la limite il l'espère puisque ça fera de lui un martyr, à ce qu'on le lynche sur la place publique en criant à l'hérésie. C'est vrai qu'aujourd'hui ça se produit encore souvent ce genre de choses, il y a régulièrement des rituels sur le parvis de Notre-Dame. C'est d'ailleurs très drôle à voir. Mais au fait, le martyr n'est-il pas un concept parfaitement chrétien ? En tous les cas, si l'auteur ne pètera jamais plus haut que le cul d'un Saint, il pète déjà bien plus haut que le cul d'un homme normalement constitué.



Alors ne me fais pas croire que nous attend la bonne surprise,
J'ai autre chose à faire à voir dans cette vie de friandises,
Comment pourrais-je boire ces paroles imbibées de bêtises ?
Pourquoi devrais-je donc m'en vouloir dans cette vie en terre soumise ?


Paroles imbibées de bêtises, oui madame. Car l'auteur, à qui on le fait décidément pas, a la preuve que tout ça ce ne sont que des conneries. Allez donc chez lui, il a tous les documents officiels, Dieu déclarant sur l'honneur qu'il n'existe pas et Jésus confessant, dans une déclaration datée de 2000, qu'il n'a jamais été ressuscité. Quant à Marie, elle reconnaît qu'elle n'a jamais été vierge et qu'elle s'est faite engrossée par le boulanger de Bethléem mais elle ne pouvait pas tolérer que ça se susse. Ici l'auteur se sent investi d'une mission évangélique, celle de faire savoir que les évangiles disent des imbécilités. Remplaçons une vérité spécieuse par une autre et portons l'autre Bonne Parole.



N'attendons pas plus tard qu'aujourd'hui pour rafler la mise
Et si enfin tout n'est pas noir, ce ne sera que la cerise.
Ce ne sera que la cerise
Ce ne sera que la cerise

Plaidoyer pour l'hédonisme, vous savez Carpe Diem et tout ça. Restez libres mais faites comme je dis, nous conseille l'auteur. Et ainsi il conclut sa messe.

Des athées comme ça, qui se croient seuls au monde à avoir compris l'inexistence de Dieu, on en trouve aujourd'hui tellement, y compris dans la musique, qu'ils pourraient fonder un mouvement religieux très puissant. D'ailleurs c'est ce que certains risquent de faire : de la même façon qu'on était vu jadis comme un mécréant si l'on n'avait pas la foi, on est aujourd'hui perçu de leur part comme au mieux un gentil débile, et au pire un dégénéré belliqueux, si l'on affirme croire en Dieu. La vérité c'est que ce Grand Con n'existe pas et je ne vous conseille pas d'avoir ne serait-ce que l'idée d'une présence divine sinon je déclare une guerre à l'ignorance, semblent-ils nous dire parfois. Il ne s'agit plus de ne pas croire en Dieu, il s'agit de croire en son inexistence. Et donc, volontairement ou non, de croire en quelque chose.

Le plus souvent ces athées là (je dis ces athées là car ils ne sont qu'une frange de la population athée, à laquelle j'appartiens moi-même de temps à autre, quand je me dispute avec Dieu) jouent aussi à celui qui a bien compris l'infinité de la connerie humaine, cette expression à la mode que chacun emploie pour dire comme les gens sont cons sauf lui. Le plus souvent il vous cite Einstein pour se donner du crédit, vous savez sa fameuse phrase sur l'univers et la bêtise humaine. Oui, tout le monde pense que tout le monde est débile et qu'on ne peut compter sur personne pour sauver la planète, ça m'arrive aussi.

Mais moi je détiens la vérité et la voici : tant vont les cruches à l'eau de là, qu'en la faim elles se prisent.