«Une morale devient paternaliste quand elle vous déclare immoral sous prétexte que vous vous moquez d’être parfait, que vous fumez, mangez trop, consommez de l’alcool ou du haschisch, que vous gâchez vos talents en préférant les jeux vidéo à la pratique du piano, ou que vous regardez des films X. Bref, quand cette morale vous reproche ce que vous vous faites délibérément à vous-même, autrement dit votre style de vie. »
Oui, j’aurais voulu tenir ces propos, savoir les formuler de cette manière, et être interviewé par Le Monde2 pour vous les faire parvenir. Mais je ne suis pas Ruwen Ogien, un type déclaré « docteur en anthropologie sociale et en philosophie et directeur de recherche au CNRS » que je ne connaissais pas, et qui exprime clairement ce que je peine à faire sortir de mon cerveau fait con depuis des mois à travers tous mes trucs sur le tabac.
Son interview dans Le Monde2 de cette semaine est d’ailleurs très intéressante ; je vous en donne quelques morceaux.
« Le paternalisme moderne finit par céder à la panique morale. C’est la réaction d’affolement d’une morale traditionnelle égarée par la modernité, ou incapable d’accepter ses propres principes démocratiques. Une morale maximaliste, qui prétend tout régler .»
Ruwien Ogien cherche à définir une « éthique minimale : une éthique qui exclut les devoirs moraux envers soi-même et tous les programmes vertueux de perfection pour soi et es autres, les deux piliers de la morale traditionnelle. »
« Valeur est devenu un mot passe-partout qui explique simplement des choses très compliquées, et justifie à peu près n’importe quoi, même ce qui ne peut pas l’être. Aujourd’hui en France, la jeunesse a des ‘’problèmes’’ qui s’expriment parfois dans la violence ? C’est parce qu’on a perdu le sens des ‘’vraies valeurs’’. » […]
«Attention à ne pas confondre la réflexion éthique et l’appel incantatoire aux ‘’valeurs morales’’, qui ne fait souvent que masquer des attaques contre les droits et les libertés individuelles. Aux Etats-Unis, George Bush et le camp républicain ont exploité en permanence la valeur ‘’famille’’ pour nier aux personnes de même sexe le droit de se marier et d’élever des enfants, la valeur ‘’vie’’ pour contester le droit d’avorter, la valeur ‘’sécurité’’ pour brider les droits à informer des journalistes et les droits de la défense de certains prisonniers, limiter la liberté d’aller et venir, et ainsi de suite. » […]
« La tendance au paternalisme, c’est-à-dire à traiter les citoyens comme des enfants turbulents et irresponsables qu’il faut protéger d’eux-mêmes, par la menace ou la force si nécessaire , n’a jamais disparu, ni à droite ni à gauche. La mise au pas sous tutelle des ‘’paresseux’’ (enseignants, et autres ‘’fonctionnaires’’), des ‘’laxistes’’ (parents, juges, policiers), de la ‘’racaille’’ (jeunes chômeurs et des cités), des ‘’négligents’’ (citoyens peu soucieux de leur propre santé), etc., semble bel et bien inscrite dans l’agenda de nos candidats à l’élection présidentielle, en même temps qu’un grand silence sur les droits et l’amélioration du sort de ces catégories. Ou encore, pensez à cette proposition de ‘’rééduquer’’ les parents des enfants délinquants dans des structures spécialisées, ou de les contraindre à « bien se conduire » en les menaçant de suspendre le versement des allocations familiales. Pourquoi pas la stérilisation forcée des parents supposés ‘’irresponsables’’, comme dans la Scandinavie des années 1930 ?
On y tend d’ailleurs, avec le projet orwellien de dépistage précoce des futurs délinquants par des structures publiques, que certains trouveraient probablement plus efficace encore si la sélection commençait avant la conception, en isolant le ‘’gêne de la violence’’ »[…]
« Le fait que certains appellent désormais ce paternalisme ‘’maternalisme’’ n’y change pas grand-chose. »[…]
« Voyez combien l’argument de la ‘’protection des mineurs’’ est appliqué de façons hypocrite et sélective. Pour justifier la censure de la ‘’pornographie’’, on met en avant la fragilité psychique des plus jeunes. Mais on a tendance à oublier cette fragilité quand on propose d’enfermer les ‘’jeunes violents’’ dans des centres militarisés et autres lieux de rééducation sévère. En fait, ‘’protéger la jeunesse’’ signifie souvent ‘’se protéger de la jeunesse’’, surtout quand il s’agit des jeunes les plus pauvres ou les plus turbulents auxquels la société n’a rien à offrir.»[…]
« Je sais qu’il n’est pas toujours très facile de rester ‘’neutre’’ relativement aux conceptions du ‘’bien personnel’’ de chacun (celui des autres surtout, en matière sexuelle en particulier), d’éviter toute référence à la religion ou à la métaphysique dans les prises de positions morales sur les mœurs et, de façon plus générale, d’exclure toutes les formes de paternalisme des ‘’valeurs’’, celles qui nous poussent à toujours imaginer pour les autres ce qui est bon pour eux ! »[…]
« Certaines personnalités publiques disent et répètent que si les ‘’valeurs’’ traditionnelles ne sont pas respectées, nous allons nous retrouver sur une pente ‘’glissante’’ ou ‘’fatale’’. Si, par exemple, on laisse les homosexuels élever des enfants, ils vont les ‘’incestuer’’. Si on aide à mourir les grands souffrants sans aucun espoir de guérir, on finira par faire mourir tous les plus vieux pour libérer les lits d’hôpitaux. Si on commence par fumer des joints, on passera au crack, puis au trafic, puis à brûler des voitures et attaquer la police pour le protéger [le coup de la spirale de la drogue reste, c’est vrai, un truc toujours aussi drôle, ndmoi]. Personne ne nous dit ce qui nous obligerait à aller ainsi de la première étape, pas nécessairement inquiétante, à la dernière qui affole tout le monde !
L’argument de la pente ‘’glissante’’ ou ‘’fatale’’ joue un grand rôle dans le raisonnement des promoteurs actuels de la ‘’panique morale’’.
Je vais immédiatement m’attaquer aux essais de ce type-là, qui a l’air, au vu de leur titre, d’avoir développé des réflexions intéressantes ; —et je vous en reparlerai certainement.
Plus précisément, sur la question de tabac, je veux bien que le côtoiement des fumeurs puisse en embêter certains, mais comme je l’ai déjà dit j’ai la conviction que sur le long terme les comportements des fumeurs vis-à-vis des non-fumeurs pourraient changer d’eux-mêmes. Il est inutile et despotique de légiférer pour tout changer en deux mois ; et les seuls effets de ce décret seront, je pense, une augmentation très sensible de l’intolérance vis-à-vis de l’acte même de fumer — et donc vis-à-vis des fumeurs. Ainsi la volonté que les droits personnels n’empiètent pas sur ceux des autres est-elle exagérément prônée, jusqu’à finalement empiéter sur les droits des fumeurs et leur donner le statut de parias. Ce n’est pas tant le contenu du décret qui m’énerve, que le fait que ce soit un décret et que ce décret est symptomatique d’une évolution vers l’intolérance la plus complète à l’égard de toute activité personnelle dite dangereuse pour le bien personnel.
Et après cet article un peu trop sérieux, je vous proposerai une biographie d’un personnage haut en couleurs, Jean-Eude Multimemnom.
Mais surtout, tant va la cruche à l’eau, qu’en la fin elle se brise.

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posted the 03/03/2007 at 03:42 PM by
franz
Moi je trouve qu'on diabolise/ridiculise beaucoup les fumeurs c'est vrai mais bon c'est peut être ne faisant ça qu'on obtient des résultats aussi. Il faut que la bonne mère de famille se conforte dans son dégout absolue de cette substance maléfique et que le jeune comprenne que la cigarette donne pa toujours un air cool et que l'aspect je fais mon rebelle alors je fume c'est assez idiot.
Et puis ça a une dimension éducative aussi c'est a dire que les jeunes verront moins de gens fumer donc peut être que ça leur refilera pas cette idée ( ô combien malsaine ^^ ) de le faire aussi
Sinon je ne sais pas ce qui s'est passé aux USA donc je sais pas. C'est pas la peine de censurer on s'aura juste que la cigarette ça a existé avant. Ou alors on fait comme pour Lucky Luke on remplace par des brins d'herbe XD