Ahhhh…. le vendredi… jour bénit dans le monde du gaming. Qui parmi nous n’a jamais tenu un calendrier pendant de nombreux jours, jusqu’au vendredi fatidique où nous avions enfin le droit d’aller faire la queue devant notre magasin de jeu pour aller acheter le précieux. C’est d’ailleurs une chose que nous faisons souvent ces derniers temps avec les grosses sorties de jeu (Assassin’s Creed, Dishonored, Call of Duty Black Ops, etc).
Bref, tout cela pour dire qu’aussi loin que nous puissions nous en rappeler, les jeux/consoles sortent dans les magasins en France (et d’ailleurs partout en Europe) le vendredi. Mais saviez-vous qu’aux Etats-Unis, le « vendredi bénit » est en fait le mardi ?! Nous ne pouvons alors nous poser qu’une question :
Pourquoi ?
Qui a fixé cette règle ? Pourquoi tous les magasins s’entendent sur la même date ? La logique pourrait très bien être « premier arrivé, premier servit » et ainsi partir sur l’idée du course à l’approvisionnement par les magasins pour grapiller un max de ventes avant les autres. Mais aussi, pourquoi les Etats-Unis ont fixé le mardi comme date de sortie ? Encore plus troublant, certains lancements mondiaux se font le mardi ! D’autant plus qu’il ne faut pas oublier le cas (comme Dishonored) où nous, pauvres européens, pouvons acheter et activer un jeu sur Steam le mardi et devons attendre le vendredi pour que notre ordinateur puisse le lancer (alors que les ‘ricains eux peuvent y jouer depuis le mardi).
D’où viennent ces règles ? Peuvent-elles (ou doivent-elles) changer ?
Allez tous avec moi mes chers petits gamers, prenons notre DeLorean et remontons dans le temps pour élucider ce mystère !
Aux origines du « Vendredi Bénit » : le Royaume-Uni
Les éclairs se dissipent, le convecteur temporel passe en stand by tandis que l’énergie dissipée crée une couche de glace sur la structure en aluminium de la DeLorean… le tableau de bord indique que nous sommes arrivés au Royaume-Uni, à l’Age d’Or du gaming 8-bit et 16-bit : les années 80 !
A cette époque, les jeux vidéos arrivent dans les étalages de façon anarchique : « Les sorties se faisaient dès qu’elles le pouvaient » se souvient Andy Payne, vétéran de l’industrie UK des jeux vidéos. Les magasins achetaient directement le plus de stock possible des distributeurs et le plaçaient le plus vite possible dans les étalages. C’était la course aux ventes !
Pour les gros opérateurs de ventes, comme Dixons Stores Group, ce système avait un petit problème : leurs magasins incluaient dans leurs rayons des jeux vidéos mais aussi des produits d’autres types, les ventes étaient totalement désynchronisés. Les magasins se retrouvaient ainsi le week-end avec un manque de stock de jeux, qu’ils ne pouvaient donc pas mettre en avant par la publicité qui se faisait par les journaux du Vendredi et du Samedi. Graeme Struthers, gestionnaire de stocks pour Dixons, explique ainsi :
« Notre groupe se tourna vers la chaine d’approvisionnement et lui lança ‘Si vous sortez vos produits le Vendredi, nous pouvons l’inclure dans nos publicités; ce qui veut dire que nous pouvons vous promouvoir.’ c’est le coup de la carotte. [...] Avoir des arrivées de produits programmées à une date fixe permet d’orienter norte distribution dans tout notre réseau. »
Ainsi, en 6 à 8 mois, tous les grands magasins de l’ELSPA (Entertainment and Leisure Software Publishers Association) – maintenant UKIE (Association for UK Interactive Entertainment) – prirent pour directive de remettre de l’ordre dans leur distribution et s’entendirent sur des sorties produits le Vendredi.
L’idée était donc d’obtenir un consensus de l’industrie dans la distribution des jeux, de la même façon que les musiques et vidéos sortaient le Lundi et donnaient aux revendeurs l’opportunité de coordonner les ventes et faire des mises en avant de produits spéciaux pour le week-end.
Mais dans toute cette nouveauté, il subsistait l’envie irresistible pour certains magasins de mettre sur les rayons les jeux plus tôt que ses concurrents si les stocks arrivaient plus tôt. Mais la mise en œuvre d’une « routine » dans toute la chaîne de distribution simplifia les choses :
« Lorsque vous gérez 600 magasins et que vous demandez à chacune des équipes qui y travaillent de faire leur boulot, s’il n’y a pas de routine, s’il n’y a pas de procédé redondant, l’efficacité des équipes chute. Mais si vous lancez un ‘hey, cette semaine on sortira tous les jeux le Lundi’, alors la machine est mieux huilée et fonctionne mieux » explique Struthers.
La conjoncture pour le Vendredi s’installa vraiment lors du boom des consoles, et plus particulièrement lorsque la MegaDrive vint sur le marché. Car en UK, c’est cette console qui fit exploser l’engoument envers les jeux vidéos. Ainsi, SEGA joua un rôle plus que majeur dans la standardisation du Vendredi, avec leurs gros coups de publicité papier et télévisuelle.
L’effet Vendredi
Un des autres gros avantages de cette entente sur la date du Vendredi vint des consommateurs, autrement dit nous, les têtes blondes qui sortaient le vendredi et qui se précipitaient dans les magasins de jeux pour acheter leur cartouche et y jouer tout le week-end. Sans oublier que c’était aussi le jour où les parents recevaient leur paye !
« Vous placez les produits aux yeux des consommateurs quand c’est le jour de paye. Cela a commencé comme ça – il y a 26 ans – tout le monde était payé à la fin de la semaine. Cela prenait tout son sens pour nous de lancer les produits quand les gens avaient l’argent dans leur poche » – Don McCabe, fondateur du magasin de jeux Chipsworld/Chips.
Le vendredi est aussi le jour parfait pour créer le buzz. Les gens ont plus de temps, l’air est plus jovial et ils ont surtout plus de temps (donc d’envie) pour jouer aux jeux. D’un point de vue plus pratique, « Le vendredi donne une semaine entière de préparation » explique Andy Pinder, Games Manager à HMV (l’équivalent de la Fnac en UK). De plus, fixer une sortie le vendredi permet de faire monter la pression envers les acheteurs occasionnels (il n’y a pas besoin d’avertir les hardcore gamers…).
HMV, la « Fnac » du Royaume-Uni
Sachant aussi que les gros produits du domaine Musique/Films sortent le Lundi en UK, fixer une sortie des jeux le Vendredi leur donne aussi une fenêtre de sortie « sans concurrence ». Et dernier principal avantage, une sortie le vendredi permet de créer une barrière anti-pirates en isolant les copies de jeux qui circulent avant la sortie officielle.
Mais alors, si une sortie le vendredi est si intéressante, pourquoi les USA ont choisi le Mardi ?
Les USA anti-conformistes
D’après Michael Pachter, analyste « coup-de-poing » du jeux video, « Tout a commencé avec la musique, puis les VHS et DVDs. Les revendeurs étaient très lents à restocker les rayons, alors les distributeurs ont fait en sorte que les produits d’entertainment arrivent le Mardi pour qu’ils soient en stock lorsque les ventes augmentent en fin de semaine ». Sans oublier que les premiers éditeurs de jeux videos aux USA passaient par les distributeurs de CDs, VHS et DVDs. Ainsi, tout venait en stock au même moment car tout venait par les mêmes camions.
La principale raison est donc d’ordre économique ! Les distances étant ce qu’elles sont aux USA, les distributeurs n’allaient pas commencer a affréter deux convois de camions par semaine quand ils pouvaient en faire un seul. Chose confirmée par Graeme Struthers, qui avait visité les entrepots de la compagnie qui distribuait les jeux de Take-Two (GTA, Red Dead Redemption) lorsqu’il y travaillait :
« J’ai été stupéfié par cet endroit [...] c’était plein de TVs, Hi-Fis, machines à laver, jeux videos, consoles. J’ai compris alors que les camions qui vont aux points de ravitaillements ne livrent pas juste des copies de Halo 4, ils prennent une énorme quantité de produits, et d’un point de vue économique cela prend tout son sens : pour couvrir de telles distances vous devez être polyvalents. »
Entrepôt d’Indiana Jones… on y trouve surement des jeux Lucas Arts !
Cela ne veut pas pour autant dire qu’il n’y a pas d’avantages à lancer les jeux le Mardi ! Les rayons peuvent être réapprovisionnés pour le week-end si besoin, et le « Mardi ennuyeux » devient le « Mardi sortie de jeux », ainsi les magasins font plus d’argent. Maintenant, les éditeurs ont leur propres distributeurs (ndlr qui ne sont pas les mêmes que les distributeurs de DVDs et CDs donc ils peuvent livrer quand ils veulent) mais les habitudes des consommateurs US se sont fixées au Mardi.
Les sorties mondiales, ou comment décrédibiliser le tout
Depuis la sortie de
Sonic The Hedgehog 2 sur MegaDrive (1992), une flopée de jeux vidéos bafouent les sorties du Vendredi en Europe et sortent de façon mondiale… le Mardi !
World of Warcraft, GTA4, Halo 3, Little Big Planet, et plus récemment
Hitman: Absolution, Halo 4 ou Call of Duty: Black Ops 2 sont sortis mondialement un Mardi, y compris dans nos contrées ! Mais alors, toutes ces belles paroles que donnent les revendeurs/distributeurs/éditeurs ne seraient que poussière ???
Sonic The Hedgehog 2 (SEGA), 1er jeu sorti mondialement… un mardi !
Quel est donc l’argument qui outrepasse les bénéfices du Vendredi ? L’effet du show ! Car une sortie mondiale, c’est l’occasion de sortir le grand jeu : soirée VIP, de longues queues de fans qui n’attendent que l’ouverture des magasins à minuit pour être les premiers à clamer haut et fort leur achat en sortant du magasin… bref, faire un event le Mardi, ça permet de faire un boom de ventes en plein milieu de la semaine et laisser le Vendredi de libre pour d’autres potentielles sorties moins importantes !
Mais alors, quels jeux sont choisis pour être en sortie mondiale ? C’est simple : ceux qui possèdent les plus grosses communautés potentielles (comme quoi, la taille ça compte…). Selon Paul Sulyok, du site de vente online de jeux Green Man Gaming, « c’est un peu injuste si deux joueurs sont membre d’une même communauté de gamers mais que l’un joue à un jeu depuis trois jours, en parle sur les forums, et que le second ne puisse pas prendre part à tout cela car sa copie n’est pas encore active dans son pays« . Ainsi, l’industrie s’entend pour sortir mondialement un jeu qui réunira un groupe de joueurs assez conséquent pour minimiser ce problème.
Event de sortie de WoW Cataclysm sur Leicester Square (Londres)
Bien sur, l’arrivée croissante de sorties mondiales a commencé a semer la confusion chez les revendeurs… ceux-ci tendaient de plus en plus à perdre le fil des sorties et parfois gaffaient en mettant les jeux sur les étalages dès Mardi alors qu’ils devaient sortir le Vendredi. Mais bien que quelques revendeurs UK ne seraient pas contre le fait de déplacer au Mardi les sorties de jeux, on ne change pas les modes de distribution d’une industrie de plusieurs milliards (ndlr qui maintenant dépasse le cinéma !) aussi simplement. De plus, les habitudes des acheteurs sont maintenant bien ancrées dans cet « effet Vendredi ».
Pour rajouter à la complexité du schéma, il n’y a pas de suprématie du Mardi pour les sorties de jeux aux USA ! Pour simple exemple, un des 3 Grands Constructeurs,
Nintendo, aime faire ses gros lancements le week-end. Pour preuve, leur dernière console en date, la WiiU, a été lancée le 18 Novembre 2012… un Dimanche.
Selon Rich Eddy, Directeur de la Communication chez Codemasters, « Les sorties le Mardi aux USA ne pourront pas changer ». Dorian Bloch, analyste des ventes UK depuis 20 ans, approuve et ajoute même « Essayez de convaincre une compagnie américaine de favoriser un autre marché que le leur, car c’est comme ça qu’ils le verraient. Il y a non seulement une fierté nationale dans la balance, mais aussi un problème de taille de marché : les USA contrôlent à eux seuls 40% des ventes mondiales de jeux en boites ».
Pour le dématerialisé, pas de règle ?
Depuis l’arrivée des plateformes de vente de jeux dématerialisés (Steam, Origin, etc), on peut se dire qu’il n’y a pas de règles. Car après tout, sur internet il n’y a pas de « mince je dois attendre vendredi pour acheter mon jeu« , non ? Eh bien si ! Si vous n’êtes pas familiers avec la mécanique des plateformes de vente de jeux online, ceux-ci vous permettent d’acheter un jeu le Mardi alors que vous êtes en Europe, mais vous ne pourrez pas y jouer tant qu’il ne sera pas sorti dans les magasins.
Dishonored en est l’un des derniers exemples.
Mais pourquoi se borner à cette limitation ? Car les distributeurs ne veulent pas perdre leurs « disponibilités de rayons » auprès des revendeurs de jeux en boites ! En vendant un Mardi en Europe un jeu qui doit sortir un Vendredi dans les rayons, les distributeurs assurent des ventes en plus, mais ils perdront la confiance des revendeurs, qui ne voudront plus mettre à disposition leurs rayons pour vendre leurs jeux… eh oui, tout revient à un pseudo-lobbying.
Dishonored, sorti Mardi 9 Oct. aux USA et Vendredi 12 Oct. en Europe sur Steam. Les joueurs européens ont ainsi pu regarder leurs petits amis américains jouer au jeu en attendant que le leur soit activé.
Mais il y a bien sur une seconde raison : la cohérence des dates de sortie. Imaginez que le prochain jeu que vous souhaitiez acheter sorte Vendredi prochain. Ok, simple. Maintenant, si on introduisait le fait que le jeu sorte en digital Mardi prochain et en boite Vendredi prochain…. Ouais, ça tient toujours la route. Mais imaginez que vous deviez tenir un planning sur 6 mois des prochaines sorties de jeux à la fois en digital et en retail. Là ça devient chaotique pour les distributeurs qui doivent établir des doubles campagnes publicitaires. Bref, tout est plus simple si l’on reste à une seule date de sortie entre le digital et le retail.
Vers une uniformisation des sorties au Vendredi ?
Si le Vendredi est devenu jour sacré pour nous chers européens, le schéma peut-il s’appliquer de façon mondiale ? La réponse est simple : seulement si l’industrie américaine y trouve un intérêt plus grand que de garder la date du Mardi pour les sorties de jeux. Car bien que cela puisse permettre à nous pauvres européens de savoir que les joueurs américains n’auront pas le privilège d’obtenir un jeu trois jours avant nous, il ne faut pas oublier que toute la chaine de production/distribution aux USA ne se change pas du jour au lendemain.
Selon Andy Payne, Président de Mastertronic (distributeurs/éditeurs de jeux), « Ils [ndlr les studios] essayent toujours d’attirer l’attention sur leurs jeux, et si tous les médias se centrent sur un jour de la semaine ils oublient les autres jours. C’est un marché libre et les studios tenteront d’utiliser tous les avantages qu’ils peuvent pour tirer un max de leur jeu ».
Assez étonnamment, toutes les personnes interrogées dans le montage de ce dossier s’accordent pour dire que les sorties digitales devraient se centraliser mondialement sur une seule date de sortie. Pourquoi ce virement de situation ? La chute des ventes retail au profit du digital !
Plants VS Zombies
Avec l’arrivée de ces « petits » jeux téléchargeable (Plants VS Zombies, Minecraft, Super Meat Boy, FarmVille et j’en passe) qui raflent des scores de ventes qui dépassent l’entendement, le passage des « grosses » productions en 100% digital sur des plateformes de téléchargement comme Steam et des plateformes de streaming comme OnLive, sans oublier l’avènement du Free-to-Play et l’explosion du micro-payement, il est clair que nous sommes à l’heure du gaming 2.0 ! Au point que les analystes les plus influents considèrent sérieusement que les prochaines générations de consoles de salon seront tout simplement les dernières à proposer des contenus boites.
Bien que les analystes promettent la mort du retail, nous savons bien que ce n’est pas de sitôt que les jeux version boite disparaitront des rayons. Cependant, au fur et à mesure que l’industrie du jeux vidéo évoluera, ce seront surtout les sorties digitales qui driveront la marche à suivre pour les sorties retail. Et la première marche à monter sera l’unification des dates de sortie digitales entre les USA et l’Europe.
« Cela va se voir dans le futur proche. L’industrie du jeux vidéo évolue et s’adapte très rapidement aux changements dans les demandes des consommateurs. Si ceux-ci montrent la volonté d’un lancement global, l’industrie le reconnaitra et s’y pliera. » - Paul Sulyok
« C’est un problème qui disparaitra de plus en plus lorsque les gamers s’uniront pour dénoncer le fait que, lorsqu’un jeu sort sur une plateforme comme Steam et qu’ils ont le jeu, qu’ils l’ont pré-commandé, qu’ils l’ont pré-installé, c’est fondamentalement illogique qu’ils ne puissent pas y jouer [...] C’est comme donner à un gosse un cadeau de Noël le 25 Décembre et dire ‘Tu peux aller te faire f***** et revenir le 28 ? Tu peux le regarder mais pas y jouer.’ » - Graeme Struthers
Ouya, le futur du gaming ?
Derrière cette question du jour de sortie des jeux se soulève donc une question beaucoup plus importante : quel est le devenir du monde du gaming ? Nous sommes à un moment charnière du jeux vidéo. Ce moment où nous pouvons voir une rupture entre le monde du digital et le monde du retail. Ce premier prend un énorme essor avec ces jeux mobiles, ces jeux Indie et ces autres jeux très Old School 100% digital qui redonnent un énorme coup de fouet à l’industrie. A tel point que les analystes estiment que c’est vers cela que tend le monde du jeux : le tout dématerialisé. Les ventes de jeux en boite chutent, les magasins de jeux montrent de grosses faiblesses (les fermetures de nombreux points de vente GAME en France en dit long) et des initiatives Kickstarter comme la Ouya (ci-dessus) – console 100% digitale, 100% ouverte aux développeurs – ou des Point n’ Click 100% digital arrivent à se faire financer à hauteur de plusieurs millions en quelques heures. Mais tout cela est une autre question, qui fera l’affaire d’un prochaine dossier !
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