Romans
En guise d'amuse-bouche ou d'occupation d'après-midi, voici le prologue de mon projet d'écriture. Espérant récolter vos avis, aussi bien positifs que négatifs. D'avance merci ! =)
Prologue
Dimanche 23 octobre 2011
C’est l’automne. Les feuilles de papier gisent sur le sol, déchirées de mécontentement, roulées en boules par l’insatisfaction qu’engendraient jusque-là les mots qui me venaient à l’esprit. L’inspiration s’était volatilisée, enfermant les mots dans l’incohérence et l’expression dans l’invraisemblance. En tournant les pages de mes brouillons à contresens et à contrecœur, j’ai vite compris que l’absence de spontanéité dénaturait chaque paragraphe ; vocabulaire composé d’artifices, contextes prémédités, écriture délibérée. La passion qui animait autrefois les modestes poèmes que j’écrivais avait disparu. Une tragédie sans nom qu’il fallait à tout prix combattre pour renouer avec les vraies valeurs, sans quoi il était inutile d’écrire.
L’existence de ce roman tient sur le seul fait que l’écriture est, à mon sens, la seule forme d’expression qui soit à même de s’approcher au plus près d’une parfaite justesse et d’évoquer la sensibilité telle que je la ressens. J’ai conscience que l’usage d’un art aussi sublime mérite qu’on y attache un lien parfaitement honnête avec soi-même pour en maitriser les subtilités et comprendre ses secrets. C’est pourquoi une sincère remise en question s’imposait. J’ai donc pris la résolution de me livrer corps et âme à cet exercice. Un choix qui ne s’est pas fait sans une certaine audace et une détermination inhabituelle. Tout a commencé hier, lors de ma visite au Salon du chocolat. Une sortie improvisée, choisie par gourmandise je dois avouer. Une fois arrivé sur les lieux, je ne savais pas par où commencer. Plusieurs bras se tendaient vers le public pour proposer des chocolats. De bon augure pour la suite. J’étais peu à peu enseveli dans un essaim de plus en plus dense, et mes papilles étaient si sollicitées que les dégustations pouvaient finir par se confondre. Qu’importe, la curiosité l’emportait. Chaque chocolat pouvait se caractériser par son onctuosité, son croquant, sa saveur originale et la découverte du goût devenait un jeu, autant qu’un régal. Les démonstrations surprenaient, les présentations attiraient. Puis soudain, le chocolat était passé au second plan. Au milieu de la foule, une jeune femme apparut.
Nous nous sommes effleurés, et cet instant très court où mes yeux se sont posés sur elle fut comme une révélation, une évidence. C’était au-delà d’un coup de coeur et bien plus fort qu’un coup de foudre. C’était inexplicable et indescriptible. L’intuition d’être face à la rareté. Et cette intensité sans commune mesure éveilla mes autres sens. Le goût n’avait plus autant d’importance, mais ma vue s’extasiait face à elle. Son parfum chatouilla mon odorat et la toucher était devenu un fantasme. Je devais aller au-devant du hasard et faire face à cette fatalité qui veut qu’un regard passe, nous enchante et disparaisse. Je devais affronter l’incidence qu’allait avoir le destin et la suivre, ne serait-ce que pour combler la frustration de n’avoir aucune réponse à son sujet. Qui était-elle ? Que faisait-elle ? Cette quête du Saint Graal pouvait, sans que je n’ose l’envisager, finir en espoir incompris. En funèbre malheur. N’être plus qu’une peine perdue. Un cataclysme et un éternel regret. Mais le risque était pris. Je la suivis avec discrétion, appréciant chaque détail pouvant surgir de ses gestes, de ses actes. Elle dégusta quelques chocolats, s’offrit quelques guimauves et regarda autour d’elle. J’eus ensuite la chance de la voir croquer dans ce praliné, avec beaucoup de charme. L’alignement de ses lèvres était parfait et ses battements de cils semblaient exprimer le degré d’appréciation de ce qu’elle dégustait. Les minutes s’écoulaient et le plaisir de l’observer devenait une peur. Celle de perdre définitivement le contact avec cette étrangère d’un autre monde. Au fur et à mesure que nos pas se dirigeaient vers la sortie, le risque de fermer cette parenthèse approchait.
La séparation avec cette inconnue devait être l’issue fatale. Une finalité déjà écrite à l’avance. Une sortie préméditée que je n’osai pas concevoir. Non, car l'obstination paralysa mon bon sens et me poussa vers elle, encore. Une curiosité sans pareil qui reposait à présent sur un château de cartes. Je la suivis avec une crainte atroce. La moindre direction opposée à la mienne allait sonner le glas de cette rencontre fabuleuse. Elle prit la ligne 2 du tramway. C’était un heureux hasard. Elle descendit au terminus. Une belle coïncidence. Puis elle valida son titre de transport pour se diriger vers le quai du RER A. Un sacré coup de chance. Parmi les trois destinations possibles, une seule était celle où je devais aller. C’est le train qu’elle prit. Plus qu’un hasard ou une coïncidence, mon esprit se plaisait à croire que j’étais à l’aube du plus beau jour de ma vie. Il ne manquait plus qu’elle descende au terminus pour que cette journée ait définitivement quelque chose de surréaliste. Et c’est ce qui arriva.
En sortant de la gare, elle se dirigea vers le parc, profitant sûrement du temps radieux qu’il faisait aujourd’hui. Il était déjà seize heures. Je me sentais gêné de la suivre avec tant d’insistance, n’ayant pas envie de passer pour un déséquilibré. J’étais simplement lassé de devoir rester impassible et subir ce mélodrame où trop de choses nous passent sous le nez puis s’enfuient à tout jamais. Oui, j’étais inconscient de rester à quelques mètres d’elle en tremblant comme une feuille, allant même jusqu’à m’assoir sur le banc qui précédait celui sur lequel elle venait de s’asseoir. Et comme un acharnement du destin, une mère de famille et ses trois enfants turbulents s’étaient assis à côté d’elle, l’obligeant à s’installer ailleurs pour trouver la tranquillité qu’elle semblait rechercher. J’étais devenu l’incarnation du calme quand elle décida de s’asseoir sur mon banc. Les rôles s’étaient inversés. Aurait-elle découvert que je venais du même endroit qu’elle ? La scène dissimulait un indice de taille : nous avions tous les deux un sac sur lequel était écrit le mot « chocolats ».
Elle ouvrit un livre tandis que j'envisageai de reprendre l’écriture. Elle était le point de départ d’un renouveau, une gifle dont la vie me gratifiait avec entrain. Vêtue d’un long manteau noir et d’une écharpe d’un blanc resplendissant, son regard se posa sur moi un court instant, laissant ressurgir ma timidité et ma fébrilité face à ce type de situation. Le temps venait de s’arrêter et la résonance d’une légère familiarité s'immisçait, comme si j’étais démasqué et qu’elle avait conscience que le hasard n’avait rien à voir avec ma présence. Je commençai à écrire les lignes de textes dans ma tête. À m’émouvoir de ce contexte si particulier. Et de ces retrouvailles avec l’inspiration. Tour à tour outil d’expression, bouée de secours, exutoire et synonyme d’épanouissement, écrire a toujours été une valeur indispensable, ancrée en moi. Vivre sans les mots, c’était vivre avec une blessure. Et une plaie ouverte s’est refermée en tombant sur cette jeune femme. Une magie sans équivoque faisait que nous étions là, à quelques centimètres l’un de l’autre, assis face à ses sportifs du dimanche qui, à grandes enjambées, faisaient le tour du lac. Soudain, l’incroyable allait laisser place au mystère. Le vent s’était calmé. Il n’y avait plus qu’elle, moi et le silence. Et dans cette quiétude majestueuse, elle s’est exprimée au travers d’une larme qui s’écoulait de ses yeux...
Me voici aujourd’hui, et hier est déjà un souvenir. Un souvenir impérissable. Je l’ai laissée partir au loin et s’évanouir derrière les arbres, restant accroché à la seule branche qu’il me restait : l’espoir. En agissant tel que je l’ai fait, je me suis retrouvé face à la plus cruciale des contradictions. La satisfaction d’avoir suivi mon coeur et mon instinct, le regret d’être à présent face à l’incertitude de la revoir. Tout n’est pas perdu, puisqu’elle m’a permis de me réconcilier avec l’écriture. Plus que jamais. Et avec pour nouvelle intention de partir à la recherche de réponses. La première étant de savoir si ma façon de voir le monde n’est pas erronée et si ces émotions perçues ne sont pas fabriquées par mon imagination. J’explorerai le vocabulaire pour exprimer de manière très personnelle la façon dont je perçois ce qui m’entoure. Je partirai vers une introspection de celles et ceux qui croiseront ma route à compter de maintenant. Je raconterai ce qu’ils font, dévoilerai ce qu’ils sont, interpréterai leurs actes et scruterai chaque parcelle inconnue de leur personnalité pour mieux comprendre ce qui caractérise ces illustres étrangers. Parallèlement, j'accorderai une grande place à l’aspect autobiographique. Comme ces poètes qui se servent de l’écriture telle une arme, quitte à paraitre désespérés ou utopistes, mélancoliques ou romantiques, j’irai parcourir la prose pour parler de ma vie. À la recherche des vertus thérapeutiques que peuvent apporter les reliques du passé, les travers du quotidien et les joies du présent. Comme ce fut le cas avec ces innombrables morceaux de textes isolés, déchiquetés ou désapprouvés, et dont les survivants sont au fond d’un tiroir ou dans un sous dossier de l’ordinateur. À la différence près qu’ils étaient nés d’un instinct de survie ; ici, l’élan vient d’une jeune femme devenue une muse sans le savoir.
De nombreux complexes m’ont poussé durant ces dernières années à me rapprocher d’un style d’écriture au vocabulaire sophistiqué tout en volant une empreinte artistique pour finalement ne pas parvenir à toucher du doigt cette justesse tant convoitée. Flirter avec l’exactitude sera mon intention, aller au bout de ce projet d’écriture sera mon défi. Qu’importe ce qui arrivera, ce récit naissant témoigne d’une volonté simple et modeste : l’envie de partager avec l’inconnu ce que l’inconnu me pousse à partager. Et de manière plus ambitieuse, celle de laisser une empreinte indélébile sur le monde, au travers d’une histoire, celle d’un jeune homme qui part à la recherche de sa muse.

tags :
posted the 11/01/2012 at 02:02 PM by
wiick