Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux… coucou.
Aujourd’hui je vais être sérieux. Attention, vous n’allez pas vous marrer. Moi non plus d’ailleurs, parce qu’en écrivant ceci je suis sous le coup d’un énervement dont le niveau me surprend moi-même.
Etant quelque peu exaspéré par le blocage qui tient la fac de lettres depuis un mois, j’ai décidé ce matin de prendre mon courage à deux mains, de me lever tôt, et de me rendre à l’assemblée générale qui se tenait à 10 heures, afin de lever mon bras au moment où l’on demanderait qui était pour la reprise des cours.
Je ne sais pas pourquoi, dès le départ, avant même de quitter mon logis, j’avais le pressentiment que ça ne se passerait pas bien. En conséquence de quoi j’ai écouté Harvest de Neil Young dans le bus, histoire d’être dans un état léger en arrivant sur place.
Vers 10h30, j’arrive donc à l’amphi, un peu à la bourre, mais relativement détendu. Premier constat, il y a un peu moins de monde que d’habitude ; je me faufile sans problème à l’entrée. Au bout de deux minutes, un type, que je reconnais parce qu’il s’exprime souvent dans les assemblées (et parce qu’il a été victime d’insultes racistes à la fac de droit en raison de son côté basané prononcé), se pose devant moi ; il me regarde dans les yeux pendant environ quatre secondes, avant de me lancer un « tu sors » dont le sens m’échappe quelque peu. Parce que je suis déjà un peu sur les nerfs, et aussi parce que je n’aime pas discuter pour rien, je lui réponds « d’accord », et sors de l’amphi, réfléchissant déjà au café où je vais me poser, prendre un Coca et lire Le Seigneur des Porcheries en fumant quelques clopes. Le gars, nommé Moujir, me rattrape et me demande « Tu fais partie de juristudiant ?
– Juristudiant ? Je connais pas ; je sais pas ce que c’est. Je venais juste là pour voter.
– Ah, désolé, j’ai cru que tu appartenais à cette organisation ».
Autrement dit, j’étais coupable, en raison de ma tenue, d’un véritable délit de faciès. Moins de 50 cm de cheveux, veste en velours, chaussures Puma ; en gros je ressemblais trop à un mec de droit et de droite pour être pris au sérieux ici.
Bref, je rentre à nouveau, et finis par me trouver une place dans les travées. J’assiste alors à la mascarade la plus extraordinaire qu’il m’ait été donné de voir dans toute ma vie.
Le président de la fac a proposé un référendum pour lundi prochain avec deux questions posées : premièrement, êtes-vous pour ou contre le CPE ? Deuxièmement, êtes-vous pour ou contre le blocage de la fac ?
Un prof d’Histoire pour le référendum rappelel d'abord les quatre droits fondamentaux de la démocratie : les assemblées générales, le suffrage universel à bulletin secret, les manifestations, et l’insurrection. Ce dernier mot provoque, parmi mes congénères fantasmant sur une révolution dont ils seraient les leaders, une poussée d’applaudissements et de cris, genre « ouais, insurrections-nous, c’est super, décapitons Villepin, génial, trop cool ! »
Oui, c’est facile de faire bander un étudiant en Lettres : prononcez les mots révolution, anarchie et insurrection.
Bref. Suit un débat pour savoir si oui ou non il faut faire ce référendum. Déjà, je me demande l’intérêt d’une telle question, m’enfin bon. C’est là que cette assemblée vire au grand n’importe quoi ; c’est à partir de là que, pour la première fois, je ne me sens plus à l’aise parmi les étudiants de Lettres.
Viennent sur l’estrade des gens qui tiennent à défendre l’idée que le référendum ne doit pas avoir lieu. Je ne sais pas comment ils vont défendre leur cause, mais voyons ce qu’ils nous disent. Je ne comprends pas encore que je vais assister au spectacle le plus aberrant qu’il m’ait été donné de voir.
Premier argument contre ce référendum : seuls les gens présents à l’assemblée iront voter ; les autres ne seront pas au courant (alors qu’il suffit de mettre une info sur le site de la fac). Qui plus est, l’assemblée générale a toute légitimité, elle est tout à fait représentative de la fac, et de toute façon ceux qui n’y vont pas n’ont pas leur mot à dire dans le débat (alors que bon, je ne vois pas ce qui empêche d’être contre le blocage de la fac dans l’absolu ; je ne vois pas pourquoi les gens contre le blocage devraient se justifier). En gros, les votes à main levée des AG sont le meilleur moyen d’expression démocratique. Autre argument : « Et comment qu’ils vont faire les étudiants qui travaillent pour voter ? prendre une journée de congé ? » Et comment font ces mêmes étudiants pour venir aux AG, dans ce cas ? Et puis voter, ça ne prend pas une journée, ça prend une heure.
Deuxième argument, totalement rocambolesque et qui amènera la plus grosse aberration que mes oreilles aient connu dans toute mon existence : ce référendum est un coup politique du président de la fac, qui est à la solde du gouvernement et qui veut politiser le mouvement.
En conséquence de quoi, et là j’espère que vous êtes bien assis, ce « référendum est un diktat ».
Oui, vous avez bien lu, le référendum est un diktat. En clair, il revêt un caractère totalitaire que personne ne saurait ignorer.
Ce référendum est tout simplement antidémocratique.
Les femmes sont des hommes.
Les prêtres ne croient pas en Dieu.
Martin Luther King était raciste.
Staline aimait les gens.
Hitler n’était pas antisémite.
Alors que les mots ‘’liberté d’expression’’ et ‘’démocratie’’ sont ceux que l’on entend le plus lors de ces AG, alors que ces mots sont les seuls que les étudiants aient à la bouche, alors qu’il affirment se battre pour gagner ce que ces mots représentent, ce référendum, qui constitue justement la plus grande occasion pour eux de s’exprimer librement et de laisser une trace claire de leur rejet du CPE (parce que si les votes montrent un rejet du CPE à 90 %, il est évidemment clair que les résultats seront transmis au gouvernement) et de leur volonté de bloquer la fac, ce référendum, la liberté d’expression, et avec eux la vraie démocratie, dans son expression la plus forte et la plus aboutie, sont bafoués, reniés, mis au pilori par une bande d’aveugles tellement engagés dans un combat – dont ils finissent par ignorer l’objectif – que l’essentiel pour eux est d’être contre tout, d’affirmer leur caractère de rebelles de mes couilles, et de cracher sur leur droit le plus fondamental.
Liberté d’expression ! Démocratie ! Mon cul, oui ! Vous attendez un IVème Reich pour venir courir après le suffrage universel ?
Quand je vois les deux tiers d’un amphi huer une personne qui ose affirmer l’utilité d’un tel référendum, j’ai presque envie de me tirer une balle.
Ce que tous ces imbéciles craignent du référendum, mais qu’ils n’osent pas avouer, c’est une victoire des étudiants qui voudraient voir le blocage s’achever. Crainte camouflée par l’argument bidon et populiste du « le président nous manipule », alors que justement, comme tout moyen d’expression démocratique, le référendum est à double tranchant ; en conséquence de quoi le président, si vraiment il était à la botte de l’UMP, pourrait craindre de voir le CPE rejeté ET le blocage se poursuivre, de manière absolument définitive et sans contestation possible.
Donc on ne votera pas lundi. Enfin si, dans une AG, puisqu’après tout c’est parfait pour s’exprimer et voter en toute quiétude, alors qu’on sait très bien, si on a l’impudence de lever la main contre le blocage, que derrière on entendra dire que l’on est égocentrique et qu’on ne pense qu’à nos examens.
Aujourd’hui, la majorité a donc décidé :
Premièrement, que le référendum ne devait pas avoir lieu ; deuxièmement, qu’on reconduisait la grève (autre aberration : la grève est un droit individuel et ne saurait être voté par une majorité) ; troisièmement, qu’on reconduisait le blocage, en dépit des quelques 300 personnes qui se son exprimées contre. Trois cent personnes, c’est pas la majorité sur neuf cent ; mais dans la mesure où la priorité doit selon moi revenir à ceux qui veulent avoir cours, et que ces gens-là sont environ un tiers, il me semble, même si évidemment ce n’est pas fidèle au concept de vote, qu’il n’en faut pas plus pour rouvrir la fac. Trois cent personnes qui s’expriment contre le blocage à cette AG, ça signifie, si l’on considère justement que les AG sont un moyen démocratique légitime, qu’environ huit cent personnes voudraient avoir cours. C’est encore trop peu ? Oui.
Tout ça s’est quand même fini dans la bonne humeur ; quelques activités étaient proposées suite à l’assemblée. Nous étions d’abord invités à aller pique-niquer tous ensemble, puis à organiser un blocage de la circulation au centre-ville. C’est beau la vie d’étudiant en grève.
Plus que jamais, aujourd’hui, j’ai perdu l’espoir en la jeunesse ; plus que jamais, je doute de la génération à venir ; plus que jamais, je m’interroge sur l’avenir de ce pays.
Parce qu’un jour, c’est nous qui aurons le pouvoir, et que je me demande si c’est une bonne idée.
Je vous interdis de poster des commentaires ; c’est contraire à la liberté d’expression.
posted the 04/06/2006 at 10:52 PM by
franz
Je ne comprend pas qu'il faille imposé une pensée unique! Ceux qui veulent faire grève devraient assumer et ne pas pénaliser ceux qui ne veulent pas. Ce n'est même pas une question d'être pour ou contre le CPE, mais une question de respect envers les autres. De plus, c'est super démocratique qu'une minorité impose leurs choix aux autres.
Je suis solidaire avec toi même si ca ne t'apportera pas grand chose^^
Amicalement
mais j'ai tout lue
Bonne continuation pour ton blog, moi je vais me coucher. (incroyable Oo)
"Merci"
bon en faite, je vais en dire un peu plus:
Je ne suis plus etudiant et je n'en fréquente plus depuis plusieurs années, et avec tout ce que je vois en ce moment a la télé, j'ai vraiment peur.
Bloquer des facs comme ça, perdre une année, ne rien organiser pour finalement n'arriver à pas grand chose... Les étudiants me faisaient vraiment peur.
Je suis heureux de voir que finalement, il y ait encore "des irreductibles Gaulois"
De toutes façon, m'étonnerait que beaucoup des étudiants des fac de droit aille faire de la politique. D'ailleurs, peu de jeune ont dans l'idée de faire de la politique. Parce que la politique c'est mal, c'est méchant, ça pue, ça sait même pas écrire en textos, et surtout si on est dans la france d'en haut, on peut plus manifester.
Sauf que théoriquement, en étant dans la france d'en haut, on a le pouvoir de faire un sorte que les gens n'aient pas envie de manifester. Je reprendrais l'expression de l'alter ego guignolien de Lionel Jospin :PAYS DE MEEEEEEEEEEERDEEEUUUUU !
(mais dans lequel on a encore le droit de grève, c'est déjà ça. D'ailleurs je vais faire la grève parce que tu n'as pas le droit d'aller contre mon droit de mettre des commentaire, mouhaha GREVE GREVE GREVE GREVE)