Je suis sourd. C'est un fait. C'est aussi indéniable que le strabisme de Dalida.
Je me suis encore fait renverser par une voiture tout à l'heure en traversant la rue. Une 205 diesel en plus ; la honte. Ca fait tout de même trois fois en deux jours. J'ai commencé à me poser des questions ; je me suis rendu dans une enseigne Audika pour confesser mes problèmes ; on m'a fait comprendre que j'avais pénétré chez Optic 2000.
Une fois le magasin Audika investit, j'ai donc exposé ce qui me pesait. Ce n'était pas le cérumène ; mes oreilles sont très propres. Ceci dit, il m'a semblé que le vendeur avait bien besoin d'une correction élocutive ; je n'ai rien compris à ce qu'il me disait. Pourquoi me proposait-il de manger du gigot d'agneau ? Je ne le saurai sans doute jamais ; j'ai quitté précipitamment l'échoppe. Je ne vais quand même pas me faire servir par un dyslexique.
L'ennui quand on est sourd, c'est qu'il n'y a que les autres que ça dérange, et ils nous le rendent bien. Personne ne parle au volume minimum nécessaire à une assimilation réussie des paroles par mon appareil auditif. Certes il est défaillant ; mais je ne pensais pas que les gens seraient racistes à ce point. Je vous l'accorde (et pas seulement de guitare, aurait pû ajouter Desproges), tout le monde ne sait pas forcément parler aussi fort qu'un Boeing.
Mais enfin, pour vivre en société, ne faut-il pas prendre les différences de ses concitoyens telles qu'elles sont ; et s'adapter ? Ou plutôt, ne faut-il pas s'adapter aux exigences du citoyen con que je suis ?
Car oui, je trouve scandaleux le manque de respect des gens ! Ce sont aux aveugles de m'éviter aux carrefours ! Ce sont aux muets de trouver un moyen de communiquer autre que leurs gesticulations théâtrales ! Ce sont aux paraplégiques de se démerder pour se véhiculer autrement que dans leurs lourds fauteuils roulants inesthétiques, au lieu de se plaindre constamment. Oui, il faut une marche à l'entrée du bureau de Poste, sinon l'eau rentre dedans quand il pleut et après il faut tout nettoyer ; avec ça on quitte après 17 heures. Et on n'est même pas payé pour les minutes supp'.
Mais le plus chiant dans tout ça, c'est de devoir tenir le plus longtemps possible sur un sujet inintéressant, tout ça parce que tout à l'heure on a sottement et orgueilleusement décidé de relever le défi lancé par une amie, laquelle a suggéré, tout aussi bêtement, que la correction auditive pourrait être un sujet sympa pour l'article de ce soir. Vraiment Stéphanie, je ne te remercie point. Si demain tu me soumets l'idée d'un texte sur les brumisateurs, je te tue.
Que ne fus-je pas assez modeste pour décliner humblement cette invitation au suicide intellectuel lancé par cette personne que je respecte trop pour avoir su dire ''stop, là je ne peux pas, tu m'en demandes beaucoup''. Au lieu de ça, moi, con comme un lion et imbécile comme Karen Cheryl (c'est dur de trouver des rimes ; ne m'emmerdez pas ou je déprime), j'ai foncé tête baissée, persuadé que je serais suffisamment fin et intelligent pour aborder le sujet comme eût pû le faire le sieur Desproges.
Ah, que n'ai-je été sourd au moment où nous sommes passés devant cette enseigne Audika à la con ! Mais je vois bien que vous n'entendez point ma plainte ; vous préférez vous cacher derrière le masque de l'indifférence lâche et vile qui sied aux... qui sied aux lâches et aux vils.
Celle-là même qui a laissé 6 millions de personnes s'envoler vers les camps de concentration sans même leur laisser la chance d'emporter le moindre souvenir.
Celle-là même qui laisse chaque année 6 millions de personnes s'envoler vers les camps du Club Med' sans même leur imposer l'impossibillité de faire un voyage retour.
Celle-là même qui me pousse à clôre cet article.

tags :
posted the 09/20/2005 at 09:43 PM by
franz