Par un matin somptueux de banalité Michel devant aller au lycée enfourcha un vélo et quitta la ville. Il avait abondamment neigé la nuit. En peu de temps, Michel atteignit la lisière de la cité et découvrit face à lui des champs blancs un peu vallonnés. Il fut heureux d'être là et pas ailleurs. Non pas que Michel n'aimât pas le lycée : levé à 5h59 heures ce matin, le radio-réveil s'étant mis en route pile à l'heure d'une publicité pour Leclerc - la famille de la pub était contente aujourd'hui comme hier et demain car aujourd'hui dans vos magasins Leclerc c'était la tourte origine France qui était à 6,99 euros le kilo au lieu 10 euros, une affaire que Philippe n'allait rater pour rien au monde mais pas de chance sa belle-mère viendrait faire les courses avec lui ! mdr -, Michel avait suivi scrupuleusement tout le protocole présidant habituellement à sa préparation pour une journée de cours normale.
Il avait d'abord petit-déjeuné en regardant la rediffusion des Z'Amours sur France 2 puis était allé dans la salle de bain où il avait essayé en vain de produire quelque chose sur le siège des toilettes en lisant ce qui lui passait devant les yeux, en l'occurrence une BD. Ensuite il s'était lavé et appliqué à se coiffer comme il fallait car il y avait cette fille au lycée et il sentait qu'il y avait moyen, qu'elle l'aimait bien, mais ne sachant comment s'y prendre, il s'appliquait à tout le moins à être bien coiffé, car cela pourrait peut-être faire la différence un jour.
Puis Michel avait préparé son sac à dos et s'était mis en route tandis que ses parents et le jour un petit peu aussi se levaient et c'est à ce moment-là qu'il prit le vélo et quitta la ville pour la campagne, ce que je vous ai déjà dit. Il roula longtemps le long des champs, réfléchissant à tout un tas de choses sûrement passionnantes pour lui mais pas vraiment pour nous.
Michel aurait aimé voir des vaches mais il n'en vit pas. Il aurait aimé voir des renards mais il n'en vit pas. Il aurait aimé voir le soleil mais il n'était pas vraiment là bien que la lumière fût très vive. Il n'aurait pas aimé en revanche – et il n'aima pas – qu'une grosse voiture vînt le doubler pour se mettre à son niveau et que la vitre se baissât pour laisser apparaître la mine d'un garçon de son âge environ qui lui eût dit oh enculé ! qu'est-ce que tu fous sur mon vélo ? Flûte, Michel n'y avait pas vraiment réfléchi mais en effet ce n'était pas son vélo, cela pouvait difficilement l'être vu qu'il n'en avait pas. Il ne répondit rien. Arrête-toi enculé lui hurlait le jeune homme en voiture tandis que derrière dépassait la tête de ce qui semblait être son père, qui disait lui aussi des choses à Michel mais que Michel n'entendait pas.
Mitigé à l'idée de rendre le vélo, il continua sa route jusqu'à ce que miracle ! Un chemin se présenta à droite ; il l'emprunta. Au bout du chemin se trouvait l'entrée d'une forêt qui, bien que dénudée par l'hiver, saurait sans doute se montrer accueillante. Il n'y avait que deux cents mètres, guère plus, avant la lisière, mais le chemin grimpait et il y avait de la neige et des traces de roues de tracteurs et Michel finit tout simplement par perdre l'équilibre, tomber et se casser une jambe. Il fut bien vite rejoint par l'autre et son père, c'est ce dernier d'ailleurs qui l'agrippa par les cheveux pour le relever et lui demander ça va dans ta tête tu te prends pour qui là hein ? Sans réponse de Michel, il le lâcha puis ramassa le vélo et lui et son fils remontèrent en voiture, laissant notre héros seul sur un chemin de campagne enneigé à 7h45 d'un matin somptueux de banalité. On accusa ensuite la neige et le froid et la solitude et les jeux vidéo d'avoir tué un lycéen sans histoire – autre que celle que je viens de raconter.

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posted the 01/24/2013 at 08:03 AM by
franz
Plaindre un voleur de vélo qui se fait rattraper et reprendre le bien volé ou la débilité d'un père et son fils qui est surement du à l'exaspération de ses gens sans gènes qui détroussent les autres et qui font l'erreur inhumaine de laisser un blessé sur le bord de la route( si dans l'énervement, il s'en est aperçu )?
C'est une belle histoire qui montre les causes et les conséquences.