5.
Quoiqu’il m’en coûte, je dois l’admettre : j’aurais dû faire plus attention. Venir ici avec si peu de munitions, face à l’énormité de la tâche qui m’attendait… C’était une erreur. J’ai bien regardé autour de moi : je n’aurai pas de rab. Ce n’est pas dans cette petite pièce, démunie de tout apparat, que j’en trouverai.
4.
Mais qu’importe ! Maintenant il me revient d’assumer mes errements. Au-dessus de ma tête luit une lumière blafarde qui provoque l’excitation de quelques paquets d’insectes. Je les sens jouir de me voir dans ce pétrin. Ils savent que mes chances d’en sortir indemne sont infimes. Et ils ne me seront d’aucune aide. Leur vrombissement insolent ressemble aux rires d’une foule ravie de voir un homme se noyer au fond d’un trou.
3.
J’ai déjà utilisé deux munitions. A partir de maintenant, chacune sera cruciale. Autour de moi j’entends rire les vacanciers, ignorant tout du drame qui se joue à quelques mètres d’eux. Il y a quelques minutes, j’étais comme eux. J’avais quitté ma tente complètement insouciant, n’imaginant pas les tracas au devant desquels je me rendais. J’avais descendu la petite route de graviers, salué un voisin, échangé un regard avec une fille. J’avais pris soin de dissimuler mes munitions dans ma poche, ne voulant pas informer quiconque de mes intentions. J’aurais dû en prendre plus. Peut-être quelqu’un l’aurait-il vu mais à cette heure-ci je ne serais pas dans la merde. Ah, Michel, que n’es-tu parfois plus prévoyant…
2.
J’ai toujours été d’un naturel précautionneux. J’ai toujours veillé à ne pas me laisser surprendre par les aléas de l’existence. Chacun de mes actes a été guidé par cette volonté de prévenir les inattendus, de minimiser les risques. Les missions comme celle-ci, combien en ai-je accomplies ? Je ne saurais le dire ; il y en a eu tellement. C’était devenu une habitude. Une habitude. C’est peut-être ça qui a causé ma — mais voilà que quelqu’un entre dans la pièce adjacente. Ennemi ? Ami ? Comment le savoir ? Dois-je lui demander de l’aide ou faire profil bas ? Tout se bouscule. J’entends un vacarme assourdissant. Une sale odeur qui monte.
A ma mémoire reviennent les paroles de cette chanson de William Sheller : « Mais Nicolas, il veut pas qu’on l’embête, tout ce qu’il a dans la tête, c’est qu’il veut rentrer chez lui… » et je me demande bien pourquoi vu qu’elle n’ont rien à voir avec ma situation.
J’arrive au bout de l’avant-dernière cartouche. Comme elle, je suis presque épuisé. Il reste encore beaucoup à nettoyer et il est maintenant clair que je n’y parviendrai pas. Je vais perdre ce combat.
1.
Le vrombissement des insectes commence à m’aveugler. Mes pensées deviennent plus confuses qu’un éditorial de Laurent Joffrin. Cette dernière feuille doit me sauver, ou je ne réponds plus de rien. Je la prends à pleine main et veille à n’en utiliser que les plus infimes parcelles mais quelle horreur, plus je nettoie et plus j’ai l’impression qu’il en reste. De quelle malédiction suis-je victime ? Je crois pourtant n’avoir attenté à la vie de personne. J’ai toujours été gentil et c’est d’ailleurs ce que l’on m’a toujours dit : « Michel, tu es gentil. » Je me souviens encore très bien de la camarade de classe qui m’avait confié ce compliment un après-midi, alors que nous discutions dans la cour entre un cours de maths et un cours de maths.
Mais aujourd’hui le gentil Michel le voilà, pris en étau, coincé dans un incroyable merdier — que, par comble, il a causé lui-même. Michel, si « gentil » et innocent pour tout le monde, mais qui cache au fond de lui un monstre.
0.
C’est fini. Plus de PQ. J’avais une tâche et une tache : je n’ai ni accompli la première, ni effacé la seconde.
Je sors de cette pièce exigüe en baissant la tête pour éviter les regards des autres campeurs. Je laisse derrière moi le son intestinal de la chasse d’eau évacuant ce peu de moi et les quelques feuilles que je lui ai données.
C’est un échec cuisant. Mais de cet échec je tirerai une bonne leçon. Et je jure, mais un peu tard, qu’on ne me prendra plus à aller aux cagoinces avec seulement cinq feuilles de PQ.
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Mauvaise langue va ! ^^