Bon le point de départ tu vois c’est Michel, il est majordome d’une bonne cinquantaine d’années, qui marche dans le corridor constellé de tableaux de familles en direction de la salle de bain quand il entend derrière lui le son d’une chute molle. Son maître, le Baron, est à l’agonie. Michel ne panique pas, ce n’est pas son genre. Il allonge le Baron sur son gigantesque lit à baldaquin couvert de dorures.
Il lui dit : Respirez et attendez. Je vais appeler des secours.
Le Baron dit : Non. Il est temps pour moi de quitter ce monde. J’ai eu une belle vie n’est-ce pas Michel, il est temps que ça s’arrête, je vous remercie pour vos services, toutes ces années où vous m’avez accompaaaarnghh. Kr.
Kr.
Rha.
Lovely.
Quelques spasmes et puis le Baron s’immobilise, portant sur son visage le sourire d’un enfant jouant avec son traîneau [1].
Pendant ce temps-là, à Paris, il fait moche. Marguerite de Compiègne, la quarantaine, organise son mariage avec Jordan Ritter, millionnaire bien connu. Pas méchant, mais con comme un riche. Lui a besoin d’une particule, en plus il l’aime vraiment pas mal, le genre amoureux. Elle ne l’aime pas mais elle a besoin d’argent. C’est parfait.
Hélas, en pareille circonstance, il faut bien que les familles se rencontrent, quand même le mariage serait-il factice. Du coup Jordan demande à Marguerite d’organiser dans son château une réception dans trois jours. Manque de bol, sa demeure, où elle vit avec son père, est un taudis à peine entretenu. L’eau de pluie s’égoutte par le toit dans le salon, les rats sont à la fête, les murs porteurs ne portent plus grand-chose, tu vois le bordel. Mais Marguerite ne peut pas le dire.
Elle trouve une excuse : Je ne pourrai pas faire la nourriture toute seule.
Mauvaise excuse. Jordan est imperturbable : Vos majordomes doivent pouvoir s’en occuper, non ?
Il lance un clin d'oeil complice à Marguerite. Elle ne pense plus qu'à une chose : Putain de chiotte il me faut un majordome et vite.
Héros sans emploi, Michel le majordome se rend à Paris, où il dort dans un hôtel minable en attendant d’avoir retrouvé un maître. Il se rend à l’agence PAL, agence de formation et recrutement de majordomes. Le directeur l’accueille froidement.
Vous êtes un majordome à l’ancienne : il lui dit. Aujourd’hui les majordomes que nous formons sont surtout chargés de protection rapprochée. Et le patron de lui montrer une dizaine de ces majordomes modernes exécutant des prises de karaté sous l’œil d’un moniteur.
Là je te préviens, il y a un passage comique : le moniteur, prenant Michel qui se trouve là pour l’un des majordomes en formation, haha, il lui assène un sale coup dans le bide ; et là Michel il est par terre plié en deux et puis il s’en va abattu par ce qui semble signer la fin de sa carrière.
De son côté, Marguerite erre dans un parc — temps gris, esprit tourmenté par le délai de trois jours qui lui reste pour trouver un majordome et ripoliner sa demeure. Son cerveau bout quand un coup de vent malintentionné vient souffler son joli chapeau blanc qui s’échoue dans un arbre, trop haut pour qu’elle puisse l’atteindre.
C’est alors qu’arrive, devine qui... Eh oui, Michel, ce bon Michel. Il a la mine assombrie mais toujours prêt à servir, il demande : Avez-vous besoin d’aide mademoiselle ?
Marguerite répond : Oh oui je veux bien.
D’un habile coup de son parapluie à la John Steed (avec lequel il partage de surcroît une certaine prestance), Michel dégage le chapeau des branchages et le repose sur la tête de Marguerite. Il prend quelques secondes pour l’ajuster. Et il sait qu’il l’a bien ajusté quand la beauté gênée de Marguerite lui éclate à la gueule comme un ballon de baudruche. Quant à elle, je ne te dis pas comme elle est chauffée par ce fringant quinqua qui est juste en train de lui remettre son chapeau sur la cafetière — rien de plus !
Ils échangent un regard.
Elle le remercie.
Il lui dit qu’il n’y a pas de quoi.
Ils se regardent.
Elle lui demande : Au fait, je cherche un majordome, savez-vous où je peux en trouver un ?
Deux secondes s’écoulent, interminables. Là tu vois, tu voudrais que Michel il dise : Eh mais putain je suis majordome ! Et au chômage avec ça ! Embauche-moi !
Donc Michel répond : Eh bien, allez de l’autre côté du parc, vous y trouverez l’agence PAL. Elle forme d’excellents majordomes, très modernes et très efficaces, qui pratiquent même le jujitsu.
Marguerite regarde longuement au fond de ses yeux.
Cet homme semble porter un triste secret.
Mais ils sont deux inconnus.
Il n’y a aucune raison de prolonger la conversation.
Alors Marguerite remercie Michel.
Michel lui dit : Il n’y a pas de quoi mademoiselle.
Et chacun repart de son côté : elle vers l’agence PAL, lui vers son hôtel minable.
Et chacun sait au fond de son âme que l’autre était fait pour lui.
Et en définitive le film s’arrête là, au bout de sept minutes, car Michel et Marguerite ne se reverront jamais et leur histoire d’amour n’existera pas.
Et de toute façon ça devenait trop niais.
[1] Habile clin d’œil cinéphile.
Au fait, je suis sur Twitter : http://twitter.com/peultier
posted the 10/21/2010 at 07:45 PM by
franz
sinon super article comme d'hab ^^