Medias
[En attendant un dossier sur le magazine Elle et les Etats généraux de la femme, je vous refile cet article rédigé pour l'école, ça me permet de meubler un peu ce pauvre blog affamé depuis un mois.]
Bite, branle, groupes d’ados à la mèche, bite, branle, vieux moustachu, bite, branle, bite, branle, groupe de lycéennes norvégiennes, bite, branle, bite, branle, bite, branle, bite, branle.
Voici, succinctement résumées, quelques heures passées sur Chatroulette. Ce qui saute aux yeux, sur ce site où l’internaute est invité à rencontrer aléatoirement d’autres internautes par le biais de sa webcam, c’est avant tout les branleurs. Ils sont innombrables. Quelle force les pousse à exhiber leur onanisme ? Rêvent-ils d’attraper des gonzesses avec ce genre de procédé ? L’auteur de cet article étant un homme, il a eu toutes les difficultés à engager le dialogue avec cette catégorie particulière d’internautes. Ces derniers l’ont quasi-systématiquement « nexté » dans la seconde. C’est à peine s’il avait le temps d’écrire « a little short » pour signifier au branleur qu’il n’y avait franchement pas de quoi la montrer à tout-va.
Une (très courte) interaction fut néanmoins possible avec l’un d’eux. Visiblement flatté par un compliment (« nice ») mensonger, notre masturbateur a changé l’angle de sa webcam, passant d’une vue plongeante sur son pénis à une vue de profil, plus proche des compositions kubrickiennes des Sentiers de la gloire — grâce à un contre-jour lumineux.
Le compliment apparaît d’ailleurs comme le meilleur moyen d’aborder ces gens. Exemple. Un bonhomme se branle gentiment sur son lit. « Nice », lui lance-t-on, comme à celui évoqué plus haut. Et alors, miracle, l’homme lâche son sexe et tend le bras vers le clavier. Du bout des doigts, il tape « thks », puis se remet à l’ouvrage avec plus vigueur encore. On ne veut pas le déranger plus longtemps mais la moindre des choses est de dire au revoir. « Have a good masturbation », lui écrit-on. Dans un nouvel effort — dont il se passerait pourtant à ce moment crucial ! —, il écrit de nouveau « thks ». On en a la larme à l’œil et lui en aura bientôt la goutte au bout. Ce n’est pas à nous de profiter de cet accomplissement : on le « nexte » le cœur plein d’émotion.
Que l’on se rassure, il n’y a pas que des branleurs sur Chatroulette. Il y a aussi de charmantes femmes prêtes à se dénuder pour vous. Elles savent que parmi les quelque trente mille internautes (en moyenne) qui se baladent, un certain nombre d’hommes viennent ici pour cela. Combien de ces hommes a-t-on entendus se plaindre qu’il y avait « trop de bites et pas assez de nichons » ? Combien d’entre eux ont laissé devant leur webcam une feuille sur laquelle ils avaient écrit, d’une main désespérée, « I want tits » ? Impossible de ne pas se prendre d’affection pour ces héros houellebecquiens de l’Internet moderne.
On aurait tort, cependant, de réduire Chatroulette à un simple bidule d’obsédés sexuels. Comme tout ce que produit Internet, Chatroulette ne pouvait éviter d’être aussitôt détourné pour servir d’exutoire aux exhibis. Mais comme tout ce que produit Internet, Chatroulette ne pouvait pas non plus éviter d’être détourné pour servir de laboratoire aux plus imaginatifs.
On n’a pas eu la chance de le croiser, mais on a entendu parler d’un homme déguisé en Chuck Norris qui portait un panneau : « You don’t next Chuck Norris. It is Chuck Norris who next you ». On a (furtivement) aperçu un gros bonhomme habillé d’un léger costume de cuir et de lunettes de soleil, en train de fumer un superbe pétard. Certains se servent de Chatroulette pour faire connaître leur talent de guitariste ou de dessinateur. D’autres utilisent des logiciels pour mettre n’importe quelle image, par exemple une mignonne petite asiatique ou un mec qui vomit en gros plan dans un bol de céréales.
Et puis sur Chatroulette, on a fait de vraies belles rencontres. Le Furface, par exemple. C’est un homme portant un t-shirt Mettalica et un masque de lémurien, ce qu’il croit être par ailleurs. Il vit près de Hanovre, en Allemagne.
On a également croisé Alf, qui se promenait par là, peinard. Ainsi que Willy l’Ourson et son éternelle bouteille de rhum.
Une fille a prétendu être Jessica Alba. Elle écrivait tout en capitales, ça lui donnait l’air un peu imbécile.
- I don’t believe you, qu’on lui a dit.
- IT’S TRUE, a-t-elle rétorqué.
- I’ll check on Google, l’a-t-on prévenu.
- OK. CHECK, a-t-elle écrit, visiblement sûre d’elle.
Une recherche sur Google Images a permis de s’assurer que cette fille ressemblait bien à Jessica Alba. Mais aucun moyen de s’assurer qu’il s’agissait bien d’elle.
- What is your next project ? lui a-t-on demandé pour la tester sur sa propre carrière.
- NOT TODAY, a-t-elle écrit après avoir rit et avant de nous « nexter ».
Ceci pourrait prouver deux choses : ou bien c’est une usurpatrice qui ne sait pas quel est le prochain projet de Jessica Alba… ou bien Jessica Alba ne sait pas non plus ce qu’elle va faire dans un avenir proche.
Magie de la modernité. Un type nous demande du feu. Il approche la cigarette de sa webcam. On allume notre briquet près de la nôtre. Quelques secondes. La cigarette est allumée. On aurait voulu le filmer pour prouver que ça s’est vraiment passé comme ça.
Sur Chatroulette, on peut soi-même élaborer un dispositif visant à intriguer les autres. Ca ne mange pas de pain. Par exemple, on filmera le cadre où apparaît ce que notre webcam filme, créant ainsi une mise en abyme infinie de petits écrans, ou bien le cadre où apparaît le visage de l’interlocuteur. Le plus souvent, on se fait nexter illico mais on sent bien, pendant un instant, l’inquiétude dans le regard de l’autre.
On pourra également pendre la webcam au bord de la fenêtre pour filmer le trottoir ou la rue. On a pu engager la conversation avec un Anglais de Leeds comme ça. Il nous a montré son jardin.
On a aussi tenté de faire partager ses goûts en filmant sa télévision, sur laquelle on diffusait ses films préférés. Le Parrain II a été assez vite reconnu ; hélas pas Mulholland Drive ni Il était une fois dans l’Ouest ; encore moins Crash. Mais ce dernier, qui comporte de nombreuses scènes de sexe, a permis de garder devant leur webcam quelques curieux au regard plein d’avidité. C’était mignon.
Tout ça pour dire que s’il y a quelque chose de pourri au royaume d’Internet, ça n’est pas Chatroulette.
posted the 02/24/2010 at 08:22 PM by
franz