Les grands médias ont trouvé le bon plan pour ne pas s’emmerder à parler des élections européennes sérieusement : ils passent plus de temps à se demander « pourquoi les Français ne s’intéressent pas à ces élections » qu’à s’y intéresser eux-mêmes. De cette manière, ils n’ont pas à poser les questions qui (les) dérangent.
Le 21 mai dernier, Anne-Elisabeth Lemoine, la chroniqueuse médias de l’Edition Spéciale (diffusée le midi en semaine sur Canal+) revenait sur le vide médiatique entourant ces élections — un vide dont l’Edition Spéciale elle-même se faisait la preuve : les élections n’avaient pas été abordées lors du JT, et le seul moment où elles se sont trouvées dans la bouche de quelqu’un, c’est lorsque Nicolas Domenach s’est attardé sur la probable nomination de Claude Allègre à un ministère, « après les européennes ». Après avoir fait le bilan d’une couverture effectivement inexistante (pas de soirée spéciale, presque rien dans les JT…), venait pour Anne-Elisabeth Lemoine le moment de s’interroger : à quoi est-ce dû ? Est-ce la faute des politiques, ou celle des médias ? Le plus simple était de demander leur avis aux deux parties.
Pour commencer, on pouvait donc regarder un « micro-assemblée nationale ». C’est l’une des spécialités de Canal+ : lorsqu’il faut investiguer auprès des personnalités politiques, on prend sa caméra, son micro, et on va dans les couloirs de l’assemblée — la vie politique française se limite sans doute à ce lieu. C’est à se demander si les journalistes de la chaîne n’ont pas installé une tente Quechua quelque part dans les parages. Quelques personnalités politiques de différents bords se plaignaient, à l’image de Roger Karoutchi (UMP), que « la télévision ne cherche que l'affrontement au lieu d'aborder les sujets de fond ».
Puis venait le moment de donner la parole aux médias. Et qui mieux qu’Arlette Chabot, directrice de la rédaction de France 2, pouvait représenter la profession ? Assurément personne. Voici ce que déclarait Mme Chabot :
« Je crois que les politiques c'est toujours la faute des médias, donc je crois aussi que c'est d'abord aux politiques de s'interroger sur la manière dont ils font campagne ; nous on fait notre travail, après on souhaiterait peut-être que les politiques trouvent le moyen d'animer un peu plus la campagne. »
Pour Arlette Chabot donc, les politiques doivent « animer un peu plus la campagne ». On se prend à imaginer comment : doivent-ils se trimballer en porte-jarretelles ? Organiser des soirées karaoké ? Hélas, Mme Chabot n’avance aucune idée. Mais pour elle en tout cas, le travail des journalistes n’est certainement pas de montrer les faits tels qu’ils sont : ce serait plutôt aux faits de s’adapter pour devenir télégéniques. Il faudrait que les politiques créent une synergie avec les médias afin d’aboutir à une situation de gagnant-gagnant, où les uns énonceraient leur programme en chansons, et où les autres les filmeraient bien volontiers, tout heureux d’avoir des politiques qui « cassent leur image ». C’est sûr que ça rendrait les européennes sexy. En tout cas, Chabot ne doute de rien et surtout pas de son travail : malgré les dures conditions imposées par des politiques qui rechignent à se transformer en GO du Club Med’, France 2 poursuit, dans la douleur, son « boulot ». Ca mérite des félicitations.
En attendant le jour béni où Xavier Bertrand mettra un string lors d’un meeting UMP, on se donnera envie de voter avec le clip officiel, conçu par le gouvernement, censé nous amener aux urnes le 7 juin.
Le Parti Socialiste a accusé ce clip d’œuvrer en faveur de Nicolas Sarkozy. Le CSA, faisant preuve de l’indépendance qu’on lui connaît, n’y a vu aucun mal. En réalité, ce clip ne fait pas tant l’apologie de Sarkozy que de toute une conception de l’Europe très contestable. Je vous invite à lire [url= http://www.acrimed.org/article3144.html]un article (cliquez)[/url] de l’illustrateur Mathieu Colloghan, qui s’est attardé image par image (ou presque) sur ce spot, sur le site de l’association Acrimed.
Et en attendant, je jure, mais un peu tard, qu’on ne m’y reprendra plus.