A écouter en lisant...
1
Michel marchait tout à fait paisiblement dans la rue, tout à la pensée qu’il allait bientôt retrouver l’amie qu’il aimait tant, quand il ressentit soudain une très violente douleur dans le ventre, comme un coup de poing qu’on lui eût asséné sans crier gare et sans qu’il pût penser une seule seconde à serrer ses muscles abdominaux. La douleur fut si vive qu’il tomba comme la bobinette après qu’on a tiré la chevillette. Les yeux emplis de larmes, joue contre terre, replié sur lui-même, il distingua les pieds d’un homme qui descendait de sa voiture et se dirigeait vers lui. Un automobiliste vient à mon secours ! pensa-t-il soulagé, ignorant encore ce qui lui était arrivé.
Les pieds de l’homme s’arrêtèrent au niveau de son visage. Michel leva difficilement les yeux. Son regard parcourut d’abord un pantalon noir, puis une chemise blanche ornée d’une cravate rouge, puis une main tenant un fusil à flash-ball, pour enfin s’arrêter sur un visage auquel on aurait donné la quarantaine sans peine ; et de la bouche dont était doté ce visage il entendit sortir, pas tout à fait clairement, Enfin je te tiens, connard ! A peine son cerveau avait-il assimilé le message que Michel recevait en plein dans les dents le pied droit qui était jusqu’alors resté posé au sol à côté de lui. Ce premier coup en entraîna d’autres, et le même pied le frappa d’abord au nez, puis dans les côtes et dans le ventre, là-même où pourtant il avait déjà souffert la violente douleur évoquée au début de cette histoire rocambolesque mais néanmoins inspirée de faits réels, il faut que je le dise.
Le cerveau de Michel n’était plus très loin d’annoncer une fatal error exigeant la mise en veille du système. Mais lorsque notre malheureux bougre distingua le pied droit prêt à percuter joyeusement ses roubignolles, et lorsqu’il entendit, par-dessus le grésillement qui lui vrillait les oreilles, Je vais te castrer saloperie ! dans un réflexe auquel moi-même je ne m’attendais pas, il roula sur le côté. Il évita ainsi l’attaque pédestre dont son Saint des Saints allait faire l’objet. Au prix d’un bel effort, il parvint à se relever et, sans même chercher à comprendre ce qui lui était arrivé, se mit à courir comme il le pouvait.
Alors que tout autour vacillait et qu’il sentait ses jambes prêtes à se dérober dessous lui, Michel entendit derrière que l’on criait Attrapez-le c’est un pédophile attrapez-le ! Soudain un poing surgi de nulle part vint s’enfoncer dans son pauvre ventre déjà fort malmené, le terrassant de nouveau. Je le tiens ! dit une voix masculine au-dessus de lui. Merci, répondit en s’approchant celle qui avait appelé à son arrestation, avant d’ajouter : Je vais lui faire comprendre sa douleur, à cet enculé, il a voulu violer mon fils. Alors l’autre voix dit : Laissez-moi vous aider.
Un pied se posa gaiement sur sa tête, la plaquant contre le sol, et un autre pied le roua de coups dans le dos. Au-dessus de lui des voix s’élevaient et disaient On va le faire payer ; de deux elles passèrent vite à trois (C’est lui, c’est le pédophile, disaient-elles), puis quatre (Tu vas morfler mon vieux), puis huit (C’est qui ?), puis seize (Woh putain enculé de ta race). Des crachats bouchèrent les oreilles de Michel, d’autres s’écrasèrent sur ses yeux et ses lèvres, qu’il ne pouvait garder fermer. Il était transpercé par des coups de chaussures au bout rond ou pointu, tabassé par des poings aux doigts bagués ou pas. Des voix d’hommes et des voix de femmes, tout autour de lui, disaient On va lui faire la peau et, de fait, on était en train de la lui faire.
2
Mme Catherine Maillol sortait de chez le coiffeur, ravie de sa nouvelle esthétique capillaire : venue au salon avec une photo de Corinne Touzet, elle en ressortait avec les cheveux de Véronique Genest, pour son plus grand bonheur bien que ce fût différent. Alors qu’elle se dirigeait vers son logis, elle perçut un vacarme qui provenait de la rue partant à droite. Elle y jeta un œil : une trentaine de personnes se trouvaient là, passablement excitées pour ce qu’elle pouvait en voir. Elle s’approcha et demanda à un homme d’une cinquantaine d’années ce qui se passait. On a attrapé le violeur des stades ! lui répondit-il, visiblement gagné par la joie. On l’a eu et on lui fait la peau, à ce connard, puisque la police ne fait rien pour l’attraper. Et puis de toute façon, dit un autre homme en se retournant, si on le juge, il aura quoi ? Six mois avec sursis, c’est rien. Mme Maillol demanda : vous êtes sûrs que c’est lui ? Sûrs ! lui répondit le premier homme. Il a essayé de s’enfuir ! Si c’est pas une preuve, ça… En plus d’être pédophile, il est lâche ! C’est une tafiole, asséna-t-il sur un ton moqueur. Allez voir si vous ne nous croyez pas !
Mme Maillol se fraya un chemin parmi les humains de tous âges et de toutes compositions qui encerclaient l’homme en vociférant. Arrivée près de lui, elle fit face à un visage rendu méconnaissable. Ses dents baignaient par terre dans une flaque de sang. Sa tête était couverte de plaies, ses yeux clos ne pouvaient plus s’ouvrir tant les paupières étaient gonflées, sa joue droite était entaillée sur quatre centimètres. Mme Maillol s’exclama : Mais oui c’est bien lui ! Oh le salopard ! Et elle attendit qu’un charmant monsieur du quartier eût fini son œuvre sur les parties génitales de l’homme à terre pour le relayer, obéissant ainsi au devoir citoyen qui l’animait et qui exigeait que le pédophile qui terrorisait la ville depuis un an fût châtié par ses victimes avérées ou potentielles — c’est-à-dire tout le monde.
3
M. Rachid Terquaoui venait d’acheter des cigarettes et l’Equipe, dans lequel il se réjouissait de lire un compte-rendu du match OM-PSG, lorsqu’une clameur venant de la rue partant à gauche attira son attention. Il y jeta un œil : une trentaine de personnes se trouvaient là, passablement excitées pour ce qu’il pouvait en voir. Il s’approcha du groupe et demanda à une femme d’une trentaine d’années ce qui se passait. On l’a attrapé ! Lui répondit-elle victorieusement. On a attrapé le pédophile ! Il va souffrir, je vous le dis, il l’aura bien mérité. M. Terquaoui commença par se réjouir de cette agréable nouvelle puis il dit à la femme : Vous ne pensez pas qu’il vaudrait mieux appeler la police ? Ah non surtout pas ! lui répondit-elle, on connaît la justice dans ce pays, les pédophiles ne sont jamais condamnés à rien, après ils ressortent et ils récidivent… Il faut les éliminer, il faut rétablir la peine de mort pour ces gens-là.
M. Terquaoui dit : Mais vous êtes certains que c’est bien lui ? Pour sûr ! rétorqua-t-elle. Lorsqu’ils l’ont attrapé — je n’étais pas là — il s’apprêtait à kidnapper un gosse… Vous vous rendez-compte ? Ah oui, ben oui, je comprends bien, dit M. Terquaoui, mais enfin tout de même, vous ne pensez pas qu’il faudrait laisser ça à la justice ? C’est son travail… La femme lui dit : Quand la justice ne fonctionne pas, c’est un devoir de citoyen de protéger nos enfants ! Vous êtes de son côté ou quoi ? Alors un homme d’une quarantaine d’années, se retournant vers M. Terquaoui, le dévisagea et dit à la femme : Si ça se trouve c’est un complice, le violeur est arabe lui aussi, je suis sûr qu’ils se soutiennent entre eux. Dans leur pays, il n’y a pas de règles, ils sont même capables de lyncher quelqu’un dans la rue, ajouta-t-il d’un ton professoral. La femme lui répondit : Non, on ne peut pas tout amalgamer, tous les arabes ne sont pas pédophiles et violents, il y en a des biens aussi.
M. Terquaoui pouvait difficilement en entendre plus. Il s’éloigna du groupe et composa le numéro de la police. A l’agent qu’il eut au bout du fil, il signala qu’une trentaine de personnes avaient attrapé le violeur de stades et le passaient à tabac. L’agent lui répondit : Ah bon ? Pourtant, nous venons d’attraper le violeur, on l’interroge à cette heure-ci.
Et tandis que M. Terquaoui tentait vainement de dire à ses concitoyens qu’ils s’étaient trompés de cible, Michel abandonnait à l’air de la ville un dernier soupir, sans avoir bien compris ce qui lui arrivait, pensant à l’amie qu’il aimait tant ; et jurant, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus.
J'ai pas lu ton article désolé, mais si j'ai bien compris tu créer tes personnages que tu mets dans des situations qui te révoltent pour nous montrer ces injustices. Si c'est le cas (ou un truc du genre), c'est une très bonne idée