En vacances à la montagne avec sa famille, les pieds dans la neige, Michel pensait à sa chère et tendre, restée en ville, la tête sous la pluie. Elle s’étiolait très certainement sans lui, et lui n’était pas là pour elle. Que pouvait-elle faire toute seule ? Elle se morfondait sans doute dans son lit, attendant impatiemment de le revoir, ne sachant comment occuper ses journées tandis que lui, chaussé de ses skis, domptait les montagnes vosgiennes et leurs sommets culminant à neuf cents mètres parmi une foule de gens tous plus mal habillés les uns que les autres.
Un soir, à une semaine de la date prévue pour son retour, il prit la décision de partir le lendemain, dès l’aube, pour la retrouver plus tôt et lui faire la plus belle des surprises. Il pouvait le faire, il prendrait tout simplement la voiture de ses parents, lesquels se débrouilleraient bien pour rentrer, après tout ils étaient des adultes. La nuit s’écoula presque entièrement sans que Michel pût fermer l’œil, et ce ne fut qu’à l’aube, trente minutes avant que ne s’active le réveil programmé dans son téléphone portable, qu’il trouva le sommeil. Il eut tout juste le temps de rêver de sa dulcinée, de son sourire en le voyant à la porte de son appartement et de sa précipitation à se jeter dans ses bras.
Les premières notes de son réveil avaient à peine retenti que Michel s’était déjà précipité sur son téléphone pour lui couper la chique. Il se leva doucement, veillant à ne pas réveiller ses parents qui dormaient dans la pièce à côté, puis se vêtit aussi vite qu’il le put, dans la pénombre. Il prit les clefs de la voiture dans la poche du manteau de son père. Enfin, il franchit la porte de l’appartement que sa famille avait loué, avec la certitude de n’avoir été repéré par personne.
C’est ainsi qu’à sept heures du matin, il ôta la neige qui couvrait le pare-brise et les phares de la voiture ; puis il mit le contact, alluma les phares, activa le désembuage, et passa la première. Il en avait pour deux bonnes heures de route, il fallait les accompagner avec une musique qui convenait à cette situation si romantique. Il opta pour le superbe album de Sigur Ros intitulé Takk, qu’il savait pouvoir écouter en boucle jusqu’à son arrivée.
La route était peu fréquentée à ces heures-là et Michel, à force de l’avoir parcouru en spectateur sur la banquette arrière, connaissait le chemin. En jetant un œil vers le paysage, il se remémora les rêveries qui faisaient vagabonder son esprit lorsque, quelques années auparavant, il partait en vacances avec ses parents. Il lui revint qu’adolescent, il pensait aux filles qui lui plaisaient au lycée, à leur regard lorsqu’il les faisait rire (quelquefois). Il se souvint que plus jeune, au collège, il s’imaginait en héros réalisant des exploits pour sauver d’autres filles qu’il aimait, soit des mains de mauvais bougres mal intentionnés, soit d’un accident lors duquel elles auraient été renversées par un chauffard, auquel cas il leur faisait un massage cardiaque tout en définissant un périmètre de sécurité en même temps qu’il notait l’immatriculation du criminel avant de se lancer à sa poursuite, et alors il courrait si vite qu’il rattrapait la voiture puis sautait sur son toit, entrapercevant autour de lui la foule qui se massait pour admirer, ébahie, son courage, et il se repassait cette scène des centaines de fois, sous tous les angles, s’arrêtant sur chaque action pour en travailler les plus ridicules détails. Plus jeune encore, lorsqu’il était en primaire, se rappela-t-il, il incarnait tour à tour ses héros préférés dans des aventures fabuleuses qu’il concevait et desquelles il se voyait bien tirer un film qui serait le meilleur film de tous les temps. Aujourd’hui encore, il lui arrivait parfois, pour retrouver les mêmes sensations, de se rêver dans de telles situations. Il parvenait à y croire un petit peu quelques secondes, de toutes petites secondes au bout desquelles il revenait à la réalité et admettait qu’il était devenu beaucoup plus dur de se donner le beau rôle dans des histoires racontant n’importe quoi. Mais aujourd’hui, il avait une chère et tendre qui l’attendait et qu’il lui tardait de retrouver.
Et justement, Michel arrivait au pied de l’immeuble où résidait sa dulcinée. Il constata que, parti avec vingt centimètres de neige sur le capot, il n’en demeurait plus qu’une fine couche. C’est dommage, se dit-il, j’aurais bien aimé en rapporter un petit peu à mon amoureuse, je lui aurais même lancé une boule de neige, on aurait fait une mini-bataille. Un léger sentiment de déception l’envahit alors que le feu devant lui passait à l’orange. Et puis Michel pensa : mais peut-être qu’il en reste un petit peu sur le toit ! Il faut que je voie ça. Ragaillardi par cette perspective heureuse, il ouvrit la fenêtre et passa sa tête par celle-ci en tendant le bras vers le toit, où il empoigna une matière froide et humide. Cinq secondes plus tard, la tête de Michel, encore souriante de la joie qu’il se faisait, dévalait la route en rebondissant pour atterrir dans la poussette d’un bébé dont la mère hurla en direction du ciel, les mains plaquées contre les joues. Le conducteur de l’auto qui, en arrivant sur sa gauche, avait décapité Michel par inadvertance observait, interloqué, quelques morceaux de chair glisser le long de son pare-brise. Le corps sans tête de Michel pendait maintenant par la fenêtre de sa voiture ; sa main, ayant lâché prise, avait laissé choir une poignée de neige sur la route, et cette ridicule poignée de neige rougissait du sang qui s’échappait du cou orphelin de notre ami. Quelques mètres au-dessus, dans l’immeuble, alertée par le vacarme, sa chère et tendre ouvrit la fenêtre de sa chambre et se trouva horrifiée de voir ce corps sans tête pendouiller hors de cette voiture légèrement enneigée. Alors par réflexe, elle referma sa fenêtre et ses volets et composa sur son téléphone le numéro de Michel, espérant qu’il la réconforterait comme il savait si bien le faire, et n’entendit pas la sonnerie qui chantait juste sous sa fenêtre, à quelques mètres d’elle. Elle laissa un message expliquant la scène à laquelle elle venait d’assister et se blottit dans ses couettes en se disant vivement la semaine prochaine.
Quant à Michel, il eut tout de même le temps de jurer, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus.
posted the 02/13/2009 at 10:21 AM by
franz
sinon c'est pas dans tes habitude de faire dans le gore, lol, tu a vu la meme scène devant chez toi ? ^^