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Le jeudi 29 janvier 2009, Michel le savait, serait un jeudi noir. Les syndicats, afin de bloquer l’économie française et de détruire les entreprises, appelaient tout ce que la France compte de fainéants et de privilégiés à manifester leur mécontentement au détriment des courageux travailleurs qui préfèrent unir leurs forces en tant de crise plutôt que de diviser celles de la nation. En tant qu’usager, Michel supportait mal cette perspective et se voyait déjà usager en colère. Au lit, le mercredi soir, attendant la venue du sommeil, il se rêva commettant une action d’un éclat sans pareil : il se voyait intégrer les cortèges armé d’un panneau sur lequel il serait écrit Usager en colère, en réponse aux panneaux Cheminot en grève, Urgentiste en grève, Chômeur en grève… Il pourrait faire cela. Ce serait sans doute beau et on le verrait à la télévision et il serait en quelque sorte le héros du jour, courageux étendard d’une majorité silencieuse opprimée. Mais encore fallait-il qu’il trouve le courage d’agir ainsi.
Or le lendemain matin, au réveil, Michel eut le bonheur d’entendre Marc-Olivier Fogiel, notre actuel président du CSA, lui souhaiter sur Europe 1 « Un bon réveil, un bon courage (1)». Il n’en fallait pas plus pour qu’il prenne la décision d’aller troubler les cortèges. Alors il prit la matinée pour préparer son plan, et après un bon déjeuner, il entreprit de descendre au centre-ville avec son panneau provocateur. A l’arrêt de bus, plus d’un demi-millier de personnes (à vue de nez) prenait son mal en patience. Les usagers lésés discutaient entre eux, se soutenaient mutuellement, des amitiés naissaient au cœur de cette guerre sociale aux relents de lutte des classes anarcho-marxiste que personne n’avait voulue, et l’esprit de solidarité enraciné dans le cœur des Français depuis belle lurette se révélait lorsque, çà-et-là, d’aucuns proposaient à d’autres de les descendre en ville avec leur voiture. Le système de la débrouille et de la solidarité marchait à plein régime. On en aurait pleuré.
Enfin, un bus arriva. Mais le bus de Michel ne pouvait transporter plus d’une trentaine de personnes. Une cohue éclata, des vieillards furent écrasés sous les talons de vieillardes se précipitant pour trouver une place assise dans le sens de la marche à n’importe quel prix, fût-ce au sacrifice de l’œil d’un adolescent se trouvant sur un siège, prêt à se lever pour laisser sa place. Bien sûr, Michel, d’un naturel tempéré, ne voulut pas prendre part au pugilat. Et le centre-ville était à deux arrêts. En conséquence, il décida qu’il pouvait aussi bien descendre à pied.
Lorsque Michel parvint à la place de la République, le cortège prenait son départ. Il put y voir, comme l’avaient annoncé les éditorialistes, une populace en proie à l’angoisse, à la peur, à la déprime, au moral en baisse, au mécontentement, à la frustration, exprimant une grogne, une colère compréhensibles bien qu’irrationnelles par certains côtés. Les manifestants, tous des barbus à lunettes mal lavé(e)s, exprimaient diverses attitudes. Les plus nombreux grognaient en faisant groin groin, d’autres pleuraient et ne cessaient de sangloter j’ai peur j’ai peur mon dieu la déprime me gagne. Michel en vit qui se tapaient la tête contre le sol en hurlant je suis en colère, d’autres imploraient le ciel de leur remonter le moral. Certains entonnaient une chanson : angoisse, fausse angoisse, j’ai plus de repère pour l’instant, wadoudidouda, ce à quoi d’autres répliquaient arrête, j’ai jamais pu encadrer Michel Legrand. Des banderoles disaient on est en colère on a peur ; sur d’autres on pouvait lire on a peur d’avoir peur ; et sur d’autres on a peur d’avoir peur d’avoir peur, et ainsi de suite… Bref, Michel put le constater, l’irrationnel les dominait complètement.
Mais les grévistes n’étaient pas les seuls à avoir laissé l’irrationnel prendre le pas sur leur esprit. Les usagers semblaient atteints aussi. En effet, un groupe d’usagers battait le pavé en chantant les grévistes, les grévistes, on est avec vous, on vous aime. Michel en tomba des nues, lui l’usager qui pensait porter la parole des usagers opprimés dans la rue.
(A suivre immédiatement)
(1) Cette citation entre guillemets est extraite d’un
article d’Acrimed sur le traitement médiatique de ce « Jeudi noir » (clic).
et personnellement je ne pense pas qu'uen grève sans aucun but précis n'aboutisse a quelque chose, surtout en face du gouvernement actuel. faut du concret mes cher, m'enfin je me lance pas dans le débat car je suis une quiche en politique en plus j'habite en suisse donc ca me concerne moins