Aujourd’hui dans le Monde des Livres :
un éloge de George Orwell (cliquez), l’écrivain que tous les journalistes adorent parce qu’ils peuvent se donner l’air cultivé en invoquant son roman 1984 à chaque fois qu’une décision gouvernementale vient menacer nos libertés (c’est-à-dire souvent).
Dans son article, Jean Birnbaum n’y va pas par quatre, cinq ou trouze-mille chemins : George Orwell était un chic type, aux combats certes désuets aujourd’hui mais toujours sympathiques — justement parce que désuets : « Qui veut parler fidèlement de George Orwell (1903-1950) doit utiliser certains mots aujourd'hui démodés, qui font rire à peu près tout le monde : rébellion, lutte, solidarité. Il faut en prendre son parti, pourtant. Car, sous la plume de l'écrivain-reporter britannique, ce vocabulaire engage une expérience qui fonde l'existence vraiment humaine : l'élan de sympathie envers les opprimés. » En effet, rébellion, lutte, solidarité, sont des mots qui font rire tout le monde. Enfin, tout le monde, c’est vite dit ; en réalité ils font rire ceux qui ne ressentent pas le besoin de se rebeller, de lutter, ou d’être solidaires. Personnellement, ils me font souvent rire, c’est dire le confort de ma situation.
Birnbaum nous dresse d’Orwell le portrait d’un poète, d’un troubadour désenchanté mais optimiste. Il est bien brave, quoi : « […] ce serait une erreur de présenter Orwell comme un théoricien du politique. Son oeuvre est celle d'un poète militant, qui cherche à maintenir l'espoir vivant. Dans ses romans comme dans ses enquêtes de terrain, il a inventé un style de la tendresse, tout entier au service des rencontres. Il a fait de sa plume un outil de reconnaissance, qui doit permettre aux humbles de retrouver l'estime de soi. » Bien qu’un peu « caricatural » parfois, Orwell « pose sur ses semblables un regard généreux et franc ». C’est mignon.
En fin d’article, Birnbaum évoque la parution d’un recueil de chroniques qu’Orwell a écrites entre 1943 et 1948, sous le titre A ma guise : « De 1943 à 1947, George Orwell tient une chronique hebdomadaire dans Tribune, un journal dont les idées se situent à la gauche du Parti travailliste. Intitulées "A ma guise", ces chroniques traitent de sujets très divers, depuis l'arrivée du printemps jusqu'aux annonces matrimoniales, en passant par la fête de Noël, l'état de la presse, la hausse des prix ou encore l'antisémitisme. »
L’article du Monde évoque la présence de passages sur « l’état de la presse », mais se garde bien de s’attarder dessus. Il faut dire que si les médias encensent Orwell, Orwell, pour sa part, avait plutôt tendance à tancer les médias. Il y a une semaine, le génial site Acrimed publiait un
article consacré au recueil de chroniques évoqué plus haut (cliquez), dans lequel on apprenait qu’Orwell était aussi un virulent critique des médias. Je vous invite à lire l’article pour constater que le brave George n’y allait pas avec le dos de la cuillère.
Allez-y, lisez.
Après cette lecture, Orwell vous apparaît-il toujours comme un « militant de la tendresse », un sympathique poète aux motivations niaiseuses ?
A chaque fois que les journalistes évoquent une personne ayant émis un discours critique des médias, ils font l’impasse sur ce discours, soit en l’évoquant à peine du bout des lèvres, soit en rappelant, en même temps que son existence, les nombreuses critiques qu’il a subi. Ils ont fait le coup avec Pierre Bourdieu, encensé en tant que mort mais ignoré en tant que penseur des médias, et ils semblent partis pour faire la même chose avec ce pauvre Orwell, qui n’en méritait pas tant.
Comme quoi, il doit bien y avoir quelque chose d’un peu pourri dans ce royaume…