Hier, en fin d’après-midi, à l’heure où finit Vidéo Gag sur la Une, Carla Bruni-Sarkozy était l’invitée de Michel Drucker sur la Deux pour un tête-à-tête exceptionnel à aucun point de vue.
Michel Drucker fut aussi impertinent qu’à son habitude ; Carla Bruni-Sarkozy fut pleine de mimiques, et parfois, sans qu’on comprenne bien ce qui lui prenait, tout en pinçant les lèvres, elle ouvrait en grand les yeux comme pour tenter de les faire sortir de leurs orbites — ce qu’elle n’est pas parvenue à faire, Dieu merci (il faut savoir remercier Dieu de temps en temps).
Pour résumer la teneur de cet entretien fabuleux, je dirais qu’il fut venteux — pas autant que Haïti ces derniers jours, mais pas loin. Il s’est agi de brasser la plus grande quantité de vent imaginable mais avec le moins de gestes possible, afin que l’on ne se rende compte de rien. Et de fait, personne n’a dû se rendre compte de rien tant Carla Bruni-Sarkozy est parvenue à embobiner tout le monde — elle la première — dans des réflexions philosophiques qui m’incitent à penser qu’il faudrait lui faire passer le bac de philo, si l’occasion s’en présente. Voici quelques perles, qui n’auraient pas été possibles sans le concours de Michel Drucker, lequel, dans un élan d’extrême flagornerie et croyant sans doute bien faire, a non seulement lancé Mme Bruni-Sarkozy sur les sujets les plus pentus, mais l’a en plus laissée se ratatiner lorsque ses idées commençaient à caramboler dans son esprit :
Sur les médias : « Les médias peuvent être parfois caressants et violents, c’est souvent la même chose d’ailleurs, paradoxalement. » Le paradoxe reste à élucider.
Question de Drucker : « Le réel ne laisse pas de répit, hein ? » Elle, après une légère hésitation trahissant le doute que cette question fait naître en elle (que faut-il comprendre ? semble-t-elle se demander) : « Le réel ne laisse pas de répit, mon mari n’a pas de répit. »
Question de Drucker, compatissant envers Nicolas Mon Mari : « Qu’est-ce qui le blesse le plus ? » Réponse de Carla : « Il est blessé par tout, et il se relève tout de suite. Il est blessé s’il sent que les Français perdent confiance mais en réalité les Français ne perdent pas confiance, et lui il garde le fil, et il se relève tout de suite ».
Sur l’Homme : « Il faut avoir confiance dans l’humanité, elle n’est pas négative, les humains ne sont pas négatifs, ils le sont un petit peu, c’est vrai. »
Sur on ne sait trop quoi au juste : « On n’échappe pas au bonheur, heureusement, on n’échappe pas au désastre, c’est ça qui fait la vie d’un être humain, c’est ce qu’on ressent qui fait la vie d’un être humain »
Michel Drucker n’a pas non plus failli à sa réputation d’intervieweur le plus gentil du monde. Ainsi, lorsqu’il aborde la question des ventes de son dernier album, qui s’avèrent faibles eu égard au battage qui a entouré la parution du disque, l’animateur rassérène par avance la chanteuse en lui assurant que « son album va s’installer dans la durée ». Bien sûr, si Comme si de rien n’était s’était vendu à 1 million d’exemplaires au lieu de 80 000, M. Drucker se serait plutôt félicité d’un succès fulgurant, mais là il faut bien sauver l’honneur.
Et tant qu’à flatter Mme Bruni-Sarkozy, pourquoi Drucker n’en profiterait-il pas pour se flatter lui-même ? Après tout ça ne mange pas de pain, et c’est pourquoi il affirme, pour rendre plus fière encore son invitée, que « les Victoires de la Musique c’est une vraie légion d’honneur ». C’est évident, puisqu’il a lui-même animé la cérémonie à plusieurs reprises.
Tout ceci m’amène à émettre une hypothèse : Michel Drucker serait en réalité un Fatal Flatteur, un sardon infiltré dans les plus hauts lieux médiatiques pour déstabiliser le Parti de la Presse et de l’Argent en couvrant tous ses invités d’éloges confinant au ridicule. Vous ne savez pas qui sont les Fatals Flatteurs ? Lisez
cet article du Plan B (ceci est un lien) qui l’explique mieux que moi, et profitez-en pour vous balader sur le site Internet de ce bimestriel que je vous encourage vivement à acheter (et à lire par la même occasion).
En tout cas, la flatterie la plus fatale de Michel Drucker, celle que je retiendrai de l’émission, est celle-ci : « Est-ce que vous repérez, parce que vous n’êtes dupe de rien je le sais, est-ce que vous repérez les flagorneurs, les flatteurs ? Vous les voyez venir de loin ? » Le flatteur se met en abyme dans sa propre question !
Carla Bruni-Sarkozy a-t-elle vu la flagornerie de Michel Drucker venir de loin ? A priori non, puisqu’elle a visiblement pris tout le plaisir du monde à se voir louangée pendant une heure. Alors si avec ça, franchement, il n’y a pas quelque chose de pourri dans ce royaume…