Medias
Mercredi soir, vous le savez sans doute, Ingrid Betancourt a été libérée de l’enfer colombien. Les télévisions se devaient de réagir au plus vite : on est allé rechercher Pujadas au fond de son lit, et PPDA sur la dune du Pilat où il concevait son prochain roman romantique en conchiant ceux qui ont « ourdi » son départ et goujatement botté son royal fessier hors des locaux de TF1 à cause de son impertinence, car n’oublions pas que « déjà au lycée, [sa] manière d'être [lui] a joué des tours. Les profs se disaient dérangés par une certaine lueur au fond de [son] regard. Ils [lui] reprochaient [son] insolence. » D’ici à ce qu’il prenne Nonce Paolini et Jean-Claude Dassier en otage et qu’il les embarque au fin fond de la jungle auvergnate pour six ans, quatre mois et six jours, il n’y a qu’un pas qu’il ne franchira tout de même pas.
La difficile condition d’otage des Farc, il en a beaucoup été question dans les jours qui ont suivi la libération de celle que tout le monde appelle désormais Ingrid et pour laquelle la France tout entière s’est mobilisée parce qu’on est un peuple tellement beau et uni. Il faut dire que les conditions de détention d’Ingrid, c’était quelque chose. Les chaînes, les brimades, l’humidité de la jungle, tout ça… Il conviendra toutefois de ne pas se gargariser trop prestement et de garder en tête que bien d’autres personnes sont encore retenues en otage partout dans le monde, et qu’elles en souffrent. Pensons par exemple aux usagers français, légitimement énervés lorsque les guérilléros cheminots se mettent en grève afin de conserver des privilèges et leur travail de feignasses payées à rien foutre. Lorsque cela survient, c’est tout un pays qui se trouve pris en otage ; et c’est toute une majorité silencieuse qui souffre de l’égoïsme d’un petit nombre qu’on ne sait même pas très bien pourquoi il manifeste. Ingrid Betancourt, pour sa part, ne semblait pas très en colère mais il faut noter qu’elle croit en Dieu et qu’elle refuse de haïr ses ravisseurs. C’est admirable. Lorsqu’on voit dans quel état de rage un usager français pris en otage peut se mettre au moment où il apprend qu’il devra prendre le train suivant, on imagine sans problème quel a pu être son courroux, eu égard au fait qu’elle n’a pas pu prendre le train pendant plus de six ans.
En tout cas, jeudi soir, la libération d’Ingrid Betancourt a occasionné une autre prise d’otages : celle des téléspectateurs, obligés de rester devant leur écran s’ils voulaient découvrir les déclarations inutiles de Nicolas Sarkozy ou les premières images d’une Ingrid dans un état moins piteux que celui que nous espérions voir. Et dire que ses enfants ne cessaient de nous rappeler, en novembre, qu’il lui restait quelques heures à vivre si on ne faisait rien. Enfin, il y aura au moins deux heureux. Le premier, c’est PPDA, qui finit sa carrière avec une belle affaire, un beau direct comme la télé les affectionne. Le second, c’est David Pujadas, qui, allez savoir pourquoi, semblait aussi heureux que si Ingrid faisait partie de sa famille. Il était tout chaud de partout, il n’arrêtait pas de sourire, il y allait de ses petits commentaires et on sentait bien que s’il en avait eu sous la main, il aurait dispersé des cotillons partout en chaussant un nez de clown.
Dans ces conditions, interdiction formelle de dire quelque chose qui aille à contresens du nous sommes tous heureux, la France est belle, Ingrid est belle, il n’est plus question de politique même s’il faut reconnaître les jolis efforts de Sarkozy quand bien même ils n’auraient servi à rien. Ségolène Royal a oublié le devoir de fermer sa gueule en pareille circonstances et a rappelé une vérité que personne ne voulait entendre, surtout parmi les représentants de l’UMP qui se relayaient pour rappeler que cette libération ne devait pas donner lieu à des récupérations, ce qui est une autre façon de récupérer politiquement cette libération. Elle a dit que Nicolas Sarkozy n’y était pour rien, ce qui est vrai mais tais-toi donc. Tout le monde lui est tombé dessus à bras raccourcis, c’est bien fait pour elle, la prochaine fois elle saura. C’est comme en septembre 2001, y avait pas intérêt à venir dire qu’après tout les États-Unis avaient peut-être un peu cherché les attentats aussi. Quand des événements permettent à toute une nation de s’unir pour jouer la partition du bonheur, il ne vaut mieux pas jouer faux, pour employer le genre de métaphores que ne renierait pas un éditorialiste.
Bref, vous aurez pu constater que je n’avais rien à raconter mais je voulais reprendre contact avec vous après deux bonnes semaines sans nouvelles et puis parce qu’il y a toujours quelque chose de pourri dans ce royaume.
posted the 07/07/2008 at 08:11 PM by
franz