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Dans sa dernière édition, le Nouvel Observateur nous annonce en couverture un sondage européen exclusif : « Anglais, Allemands, Italiens… ils jugent les français » annonce le titre. A priori il n’y a pas de quoi s’exciter : j’ai toujours vu de courageux journalistes s’enquérir de ce que pensent les Anglais et les Allemands et les Italiens du peuple que nous composons et qui devrait faire la fierté du monde occidental. On trouve donc un dossier construit autour d’un sondage centré autour de la perception qu’ont les autres Européens de notre pays et de nous. Enfin, par les autres Européens, il ne faut pas entendre les peuples des 26 autres pays appartenant à l’UE : le sondage se limitera à l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie. Pour les autres pays, on interrogera des écrivains, des universitaires et des journalistes espagnols, belges, néerlandais, polonais, danois, et puis c’est tout. Pas une seule trace des plus récents intégrés à l’Est — ils ne sont pas encore vraiment européens, après tout, et puis surtout leurs populations sont largement minoritaires, c’est comme ces 4 millions de salauds d’Irlandais qui ont bloqué le traité de Lisbonne et qui handicapent les 450 millions d’Européens enthousiastes qui l’avaient réclamé à corps et à cri.
Bien qu’incomplète par nature, cette enquête européenne provoque visiblement la fierté des auteurs de l’article, Marie-France Etchegoin et Jean-Gabriel Fredet, puisqu’ils écrivent au deuxième paragraphe : « Loin de la stratosphère des éditorialistes, nous avons voulu aller voir « sur le terrain », au ras des opinions ». Voilà une phrase somptueuse qui mérite toute notre attention. Notons d’abord le louable effort formulé au début : « loin de la stratosphère des éditorialistes », c’est effectivement une prise de distance nécessaire si l’on veut parler d’Europe tranquillement. Mais quitter la stratosphère des éditorialistes ne va pas sans quelques inconvénients, qui sont le devoir d’aller « sur le terrain » et, surtout, de se mettre « au ras des opinions », qui ne volent donc pas plus haut, selon l’image qui est suggérée, que le ras des pâquerettes. Dès lors, si ces opinions sont si basses que cela, pourquoi aller les interroger et ne pas se contenter de la stratosphère éditorialiste ?
Aller « sur le terrain », pour ces journalistes du NouvelObs, ce n’est évidemment pas voyager et tenter de recueillir, dans chaque ville, dans chaque usine, dans chaque entreprise, dans chaque famille, l’avis des autochtones. Non. En réalité, les guillemets encadrant ce « sur le terrain » sont terriblement bienvenus car en termes de terrain, on ne peut pas dire que l’expérience semble avoir été très éprouvante. En effet, le sondage « sur le terrain », réalisé par OpinionWay, a été mené « en ligne ». Tu parles d’un terrain… Le seul article de ces pages vraiment réalisé « sur le terrain » est celui du correspondant en Italie, qui est allé visiter l’usine Fiat de Turin.
Le petit paragraphe sur les méthodes de l’institut nous apprend d’autres choses : « ce sondage a été réalisé auprès de trois échantillons de personnes âgées de 18 ans et plus, résidant en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie, représentatifs de ces populations et constitués selon la méthode des quotas. » Voilà donc un sondage réalisé sur des internautes et qui prétend refléter l’ensemble des populations alors que le taux d’accès à Internet dans ces pays est, au maximum, de 63% de la population (en Angleterre). Qu’en est-il des plus pauvres, des plus vieux, des réfractaires aux nouvelles technologies et de ceux qui n’en ont juste rien à foutre du Net ? Mystère. De même, parmi les internautes, rien ne nous est expliqué de la façon dont les sondés sont amenés à s’exprimer. Ont-ils répondu à un appel où est-on allé les chercher ? Et dans le second cas, comment ? En se baladant sur la toile et en les piochant au hasard de balades sur des forums et des blogs ? Mais quels forums, et quels blogs ?
Au-delà de ça, j’aimerais poser une question plus large, qui concerne tous les sondages : dans quelle mesure peut-on être sûr d’avoir un « échantillon représentatif d’une population» ? Qu’est-ce qui peut être plus représentatif qu’une population sinon la population elle-même ? La représentativité d’une population dépend de ce que les sondeurs mettent dans cette population — autrement dit, l’échantillon ne représente sans doute pas tant la population que l’image que les sondeurs se font de cette population. Je ne doute pas que toutes les catégories socioprofessionnelles soient représentées — même si, dans le cas d’un sondage réalisé sur Internet, il est permis d’en douter — mais dans quelle mesure les spécificités culturelles propres aux régions, aux départements, aux villes et même aux quartiers des villes, sont-elles représentées ?
Et s’il est déjà bien complexe d’obtenir un échantillon vraiment représentatif de la population française, je n’ose imaginer l’impossibilité, pour un institut français, comme OpinionWay, de composer avec certitude des échantillons représentatifs des populations étrangères qu’il est allé sonder. Ceci sans compter qu’il a fallu traduire les questions dans d’autres langues, alors même que nous, Français, ne nous entendons pas systématiquement sur le sens des mots que nous employons.
C’est pourquoi, bien que mon opinion vole à peine plus haut qu’une pâquerette, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume des sondages.

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posted the 06/23/2008 at 11:21 PM by
franz
(pour info je ne suis pas français, j'habite en suisse et je suis italien, mais je connais assez de français pour pouvoir me faire une opinion disons réaliste de la france) en tant qu'individu certains français sont très sympa etc... mais en ce qui concerne la masse, ca vole pas haut et c'est très chauvin tout ca(bien sur je cache pas qu'en suisse c'est pareil, mais c'est assez elevé chez les français) y en a encore qui sont capable de me sortir qu'ils ont gagné la coupe du monde, lol(ouais y a 10 ans -__-)
mais me demande ce qu'il se dit dans ce sondage, ca ne refletera sans doute jamais la réalité.
mais bon au final on s'en fout de ce que pense les autres, c'est pas une simple ligne sur une carte (une frontière quoi) qui va nous différencier énormément!
-Ben ouai, mais viens pas me faire chier après avec ton slogan patriotique : Liberté,Egalité, Fraternité."
Je sens que tu as une dent contre les sondages depuis quelques temps Padrino. Pas vraiment étonnant...