Medias
La semaine prochaine, Arte diffusera en première partie de soirée un reportage allemand réalisé en 2007 et intitulé Dans la spirale des jeux vidéo. Le titre annonce la couleur, il s’agira d’un docu sur ces pauvres ados accros aux mondes virtuels et dont il n’y a plus rien à tirer. Je n’ai pas vu le reportage mais j’ai lu l’article que le supplément télé du NouvelObs lui a consacré par la plume lyrique d’Isabelle Girard, qui semble s’être lancée toute seule dans un concours d’énormités — dont elle est sortie, qu’elle soit rassurée, grande gagnante, voilà au moins un domaine où une personne de nationalité Française accomplit un exploit puisque ce n’est pas à Roland Garros que ça se produit.
Le NouvelObs a généreusement attribué deux cœurs à ce reportage, note que je vous laisserai relativiser en rappelant que l’émission de Fogiel sur M6 et le Droit de Savoir sur TF1 ont tous deux droit à un cœur (vous pouvez ainsi faire le constat de la faible capacité de discernement du magazine).
Dans son article consacré au reportage signé Heide Breitel, Isabelle Girard tire la sonnette d’alarme — qui ne semble toujours pas arrachée bien qu’elle se fasse tirer quotidiennement pour des centaines de sujets différents. Le docu lui-même sera peut-être un bon docu, équilibré et tout (même si le titre ne le laisse pas entendre) mais en tout cas Isabelle Girard, pour sa part, a clairement pris son parti. Le titre de son article : Jeux dangereux. Le chapô : « C’est devant une console et des jeux vidéo qu’une partie de la jeunesse recherche la liberté, la passion, les défis. Attention, danger : les risques d’addiction sont réels. »
A la lecture de son texte, je suis tenté de refaire le chapô, comme suit : « C’est avec un éternel sentiment de méfiance et dans la complaisance poncificale qu’une partie du journalisme recherche la vérité sur les jeux vidéo. Attention, danger : les risques de connerie sont réels. »
Isabelle Girard nous parle d’abord d’une « nouvelle génération de joueurs : ils ne vont pas au casino, ne se réunissent pas autour d’une table de bridge ou de poker, ne fument pas de gros cigares et ne portent pas de nœuds papillons. Ce sont des ados en Converse et sweat-shirts, claquemurés dans leur chambre, devant leur ordinateur où défilent leurs jeux vidéo. Plus rien, alors, ne les rattache au monde. »
On voit ici un symptôme intéressant de la façon dont certains journalistes sont parvenus à s’étriquer le cerveau au sujet de la dépendance. La mode du poker a elle aussi attiré leur attention sur les risques d’addiction liés aux jeux d’argent mais cette dernière est traitée avec une tolérance bien plus grande que celle des jeux vidéo. Ici, elle n’est même pas abordée et quand elle l’est, il est toujours rappelé que ces jeux, même si certains personnes s’y ruinent et y passent leur journée, sont fondamentalement bons parce qu’ils nous réunissent et parce qu’ils sont inscrits dans notre culture. Lorsqu’un reportage traite des joueurs accros au poker, c’est avec légèreté ; lorsqu’il s’agit de parler de jeux vidéo, c’est avec autant de gravité que lorsqu’on évoque la mucoviscidose du pauvre Grégory Lemarchal.
Dans la suite de son article, Isabelle Girard n’hésite pas à tout mélanger pour créer un joyeux foutoir d’où il ressort que l’univers vidéoludique est multiple et que l’on y trouve de tout : « Le tout se déroule dans des forêts peuplées de sorcières et de fées [horreur !], dans des châteaux pleins de caves [Josef Fritzl y es-tu ?], de trésors, d’oubliettes ou dans d’infinis espaces interstellaires. Un monde [ah bon ? pourtant ce sont plusieurs mondes qui viennent d’être décrits, belle façon de réduire la diversité des jeux vidéo à un galimatias sans logique] onirique et violent où l’on échange des armes contre des secrets, des potions magiques contre sa propre liberté [quelle liberté ? celle du personnage ou celle du joueur ?] ou son âme contre le repos éternel [mon dieu, Satan est parmi nous]. »
Au paragraphe suivant, Isabelle Girard est en roue libre, plus rien ne l’arrête, elle enchaîne directement : « Un univers merveilleux, dangereux et sexy où tout est possible grâce à une simple souris capable, en un petit clic, de modifier un destin. » C’est qu’elle voit les choses en grand, Isabelle, en tellement grand qu’elle a rajouté un petit sexy au passage parce que ça ne mange pas de pain et ça enfonce le clou sur la dégradation des valeurs morales à l’œuvre dans cet univers virtuel. Ce qui est étonnant ici — enfin, pas tellement en réalité — c’est de voir qu’Isabelle Girard fait comme beaucoup de journalistes : elle en vient à confondre le virtuel et le réel.
Cette confusion est toujours présentée comme le nœud du problème, le point où tout bascule pour le joueur qui a peu de chances d’y échapper. Ici, c’est Isabelle Girard qui a basculé : à aucun moment elle ne fait la lumière sur sa façon de percevoir les choses : lorsqu’elle écrit qu’une simple souris est capable de modifier un destin, elle assimile pleinement l’action du joueur (appuyer sur un bouton) à ses conséquences dans le jeu (modifier un destin), le geste réel à ses effets virtuels. Cela me rappelle une phrase d’Edwige Antier, pédo — ou plutôt pseudo — psychiatre, citée par Trazom dans un édito du magazine Joypad remontant à la fin 2001. A cette époque, on accusait les simulations de vol d’avoir aidé les terroristes à concevoir les attentats du 11 septembre. Eh bien la madame Antier n’y est pas allée de main morte puisqu’elle a carrément déclarée que « de la même façon qu’on a observé trois minutes de silence pour les victimes des attentats, les enfants devraient observer une minute de silence de deux mois sans jeux vidéo », sous-entendu, je pense (à moins qu’elle n’ait elle-même pas très bien su ce qu’elle voulait dire, ce qui serait ballot pour une professionnelle du cerveau), une minute de silence de deux mois pour tous les gens qu’ils ont tués dans leurs jeux.
En clair, madame Antier demandait que les joueurs portent dans la vie réelle le deuil des êtres virtuels qu’ils avaient tués dans leurs jeux. D’où ma question : dans cette affaire, qui confond le virtuel et le réel ?
Isabelle Girard n’est pas claire sur ce sujet mais on ne pourra pas lui reprocher, en revanche, de n’être pas claire dans son jugement sur les jeux vidéo lorsqu’elle décrète que « ces jeux « (lesquels ? ils ne sont toujours pas précisément définis) sont «aussi perfides et pourvoyeurs d’adrénaline que l’alcool et la drogue ».
D’abord, l’utilisation du terme perfide n’est pas anodine puisqu’il s’agit d’un mot désuet employé par les catholiques réactionnaires, du genre nostalgiques de l’époque où Jeanne d’Arc combattait la perfide Albion, ou bien humoristiquement par ceux qui se foutent de la gueule des catholiques réactionnaires.
Ensuite, je me dois tout de même de confirmer ses propos lorsqu’elle compare les jeux vidéo à l’alcool et à la drogue : là, je viens de me faire une partie de GTA et mon dieu je suis complètement bourré, je ne sais plus ce que je dis, je me prends tous les murs et j’ai envie de dire bite bite chatte couille à tous les étages de mon immeuble avant de sauter par la fenêtre en croyant plonger dans l’océan pour ensuite prendre ma bagnole et écraser deux enfants innocents.
Le plus choquant dans cette affaire, c’est qu’Arte diffuse encore un reportage de genre (en plus il y a eu des précédents) alors que c’est la seule chaîne qui consacre une part importante à la culture et qui sait déceler ses tendances les plus fortes.
Alors si avec ça il n’y a pas quelque chose de pourri dans ce royaume, y a plus qu’à tirer la chevillette et il ne faudra pas s’étonner si la bobinette choit.
Et au fait, il paraît que demain c'est la journée sans tabac, dont je tirerai les conséquences en décrétant que pour ma part il s'agira d'une journée sans médias.

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posted the 05/29/2008 at 10:10 PM by
franz
heureusement je n'allume quasi plus ma télé, si ce n'est pour regarder la chaine planete
superbe article comme d'han