Medias
Je veux évoquer avec vous une notion que je trouve traitée d’une façon particulièrement intéressante dans l’univers médiatique : la notion d’idées reçues.
Avez-vous remarqué que les journalistes adorent aller contre les idées reçues ? Dès qu’une étude sort, surtout en ce qui concerne les questions de santé, vous pouvez vous attendre à entendre deux choses dans la bouche de Pujadas : primo, cette étude est très sérieuse où a été publiée dans une très sérieuse revue (et je ne doute pas que Pujadas ait vérifié par lui-même le sérieux de cette étude), et secundo elle va à l’encontre des idées reçues. C’est ce point précis qui m’intéresse.
Car qui nous abreuve d’idées reçues à longueur de journée si ce ne sont les médias eux-mêmes ? Si nous voulons prendre un exemple concret, la circulation circulaire de l’information a montré récemment l’intérêt que portaient les journalistes à une étude montrant qu’en fait, contrairement aux idées reçues, boire un litre d’eau par jour n’est pas aussi bénéfique pour la santé qu’on pouvait le croire. Mais qui nous répète depuis des années que si nous ne buvons pas notre litre quotidien nous risquons de crever comme des malpropres ? Les mêmes qui nous disent aujourd’hui qu’en fait ce litre quotidien ne sert à rien. Ainsi, les journalistes, après nous avoir enseigné un cliché, le détruisent en nous accusant d’y croire. Il en va de même avec le verre de pinard qu’il nous a d’abord été conseillé de boire chaque jour si on voulait que notre cœur marche bien, puis déconseillé de boire si on ne voulait pas prendre le risque de faire un infarctus.
Ainsi, lorsque Pujadas s’émerveille devant une étude parce qu’elle démonte nos idées reçues, il oublie que ces idées ont d’abord été les siennes.
Les sommets de mauvaise foi sont atteints lorsque le même Pujadas (je n’en ai pas plus après lui qu’après les autres mais ce soir c’est lui qui me vient à l’esprit) nous annonce, avec ce sourire un peu béat qui fait sa marque de fabrique, qu’un sondage vient contredire les idées reçues. Admettons qu’un sondage exprime vraiment ce que pensent les Français d’un sujet. (Ici, nous touchons sans doute à ce qui relève du surnaturel mais admettons-le tout de même.) Et admettons maintenant que les idées reçues soient, comme les définit le petit Robert, qui n’est pas le plus con de mes amis, « l’ensemble des opinions d’un individu ou d’un groupe social en un domaine ». Qu’en découle-t-il ? Qu’un sondage allant contre les idées reçues montre que les Français pensent le contraire de ce que pensent les Français ; ou autrement dit que les Français disposent de cette fabuleuse faculté consistant à n’être pas d’accord avec eux-mêmes — alors que seule Nadine Morano semblait en être dotée.
Il y a tant à dire au sujet des sondages que je préfère m’arrêter et vous conseiller la lecture d’un ouvrage de Patrick Champagne intitulé Faire l’Opinion.
Je conclurai donc en copiant/collant bêtement la quatrième de couverture de cet ouvrage aussi irréfutable qu’un éléphant :
On assiste dans les régimes démocratiques à une différenciation croissante du champ politique et au développement de nouvelles catégories d'agents commentateurs politiques, politologues, sondeurs, spécialistes en communication, etc., qui, avec leurs intérêts propres, participent désormais directement au jeu politique. On considère généralement que les moyens modernes de communication (la télévision, notamment), qui informent de mieux en mieux les citoyens, ainsi que les technologies importées des sciences sociales (comme les enquêtes d'opinion), qui permettent de mieux connaître la volonté populaire, constituent autant de progrès pour la démocratie. L'analyse sociologique de la pratique des sondages d'opinion, des débats politiques à la télévision et des manifestations de rue montre qu'en fait, s'il y a progrès, c'est surtout dans la sophistication croissante des echnologies sociales visant à faire croire que l'on donne la parole au peuple. Paradoxalement, en effet, le champ politique tend à se refermer sur lui-même, le jeu politique étant de plus en plus une affaire de spécialistes qui, à travers notamment les sondages, prétendent faire parler le peuple, mais le font en réalité à la manière du ventriloque qui prête sa voix à ses marionnettes. L'idéal démocratique est sans doute moins menacé aujourd'hui par le totalitarisme que par une sorte de démagogie savante d'autant plus dangereuse qu'elle a formellement toutes les apparences de la démocratie.
Et c’est ainsi que quelque chose dans ce royaume est pourri.

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posted the 04/28/2008 at 10:20 PM by
franz