On se dit tous critiques à l’égard des médias et pourtant nous plongeons tous dans la psychose qu’ils créent avec une bande de statistiques peu étayées. Le plus souvent le journaliste dit d’un air ravi qu’elles proviennent d’une étude « très sérieuse », ou menée par une « très sérieuse revue américaine ». Cela ressemble plus, à force, à un poncif journalistique qu’à une précision assurant de la véracité des données. Je ne parierais pas que tous ces journalistes ont vérifié par eux-mêmes le sérieux de la revue en question, et il suffit sans doute que cette dernière se dise très sérieuse, ou que le premier journal à avoir relayé son étude l’ait dite très sérieuse, pour que tout le monde la considère comme telle.
D’ailleurs une étude, sans doute « très sérieuse » elle aussi, a avancé aux États-Unis l’idée d’une obésité passive : être ami avec un obèse rendrait plus tolérant à l’égard de sa maladie et pousserait par conséquent à avoir des pratiques alimentaires pouvant favoriser sa propre obésité. Après s’être satisfait d’avoir résolu le problème du tabagisme passif en interdisant même la cigarette dans certaines habitations, on trouve donc une nouvelle maladie passive pour effrayer, à nouveau, tout le monde. Et surtout pour désocialiser, plus encore qu’ils ne le sont, les gros. Ma chère et tendre me disait l’autre jour qu’aux États-Unis un instituteur a été viré car, étant obèse, il donnait le mauvais exemple à ses élèves. Aujourd’hui cela nous révolte mais qui sait si demain, nous ne serons pas nous aussi suffisamment anesthésiés pour accepter le même genre de dérives en France ? Il suffira que les médias nous disent que nous sommes menacés par l’obésité si nous fréquentons des gros, et nous leur interdirons définitivement de sortir de chez eux au nom de la santé publique.
En France, tous ceux qui ont vu Bowling for Columbine de Michael Moore (un mauvais exemple) ont bien saisi que les médias nous font faire n’importe quoi simplement en nous faisant peur, et pourtant nombre d’entre-nous gobent précisément tout ce que les médias disent pour nous faire peur. Les mecs de banlieue, les joueurs de jeux vidéo, les gothiques et les joueurs de jeux de rôle doivent me comprendre, eux qui ont sans cesse été montrés comme des dégénérés prêts à tuer n’importe quel passant honnête.
En excitant nos peurs, et plus particulièrement notre peur de ne pas vivre jusqu’à 120 ans juste à cause d’un fumeur égoïste, l’Etat fait en sorte que nous cautionnions n’importe quelle mesure dictatoriale dite « de santé publique ». Les problèmes ne se résolvent plus par la discussion ou par le lien social qui devrait nous unir, mais plutôt par une bonne législation.
Dans les pages Rebonds du Libération du 1e janvier, Jean-Pierre Jeudy, sociologue au CNRS et écrivain, fait « le constat d’une disparition ostensible ou sournoise des libertés, au nom d’une optimisation de la gestion de la société. Pareille disparition est bien organisée puisqu’elle doit être rendue acceptable publiquement par la prise de conscience de chacun : les libertés que nous connaissons nous conduisent à notre perte. La déstructuration de notre société viendrait autant d’un excès de tolérance à l’égard des insoumis que du flottement des libertés qui menacent notre survie collective. Accepter les interdictions, la ségrégation par la contrôle, c’est en quelque sorte se protéger soi-même des penchants que nous avons à abuser de tout ce qui nous détruit. Le raisonnement moral est clair : le nouvel ordre sanitaire, fondant sa légitimité sur une économie toujours plus saine de la gestion de la santé, s’impose comme un bienfait pour tous. »
« L’économie de la santé publique justifie un contrôle de plus en plus coercitif de la vie privée, le corps appartient de moins en moins à chaque individu qui se voit obliger de le considérer comme une marchandise dont il a la responsabilité. Ainsi se multiplient des conseils diététiques, sanitaires, biologiques qui sont destinés à devenir des normes applicables. »
« Nul ne peut ignorer que, derrière l’interdiction de fumer dans l’espace public, se cache une véritable stratégie de l’interdit. C’est tout de même un test fondamental pour voir jusqu’où une communauté peut se résigner à accepter les règles imposées pour sa survie. »
De plus en plus, j’ai l’impression d’entendre un peu partout qu’il faut prendre les choses en main parce que les gens sont trop bêtes. Évidemment, celui qui dit ça, moi compris, n’est jamais un gens, il est autre chose, il est au-dessus. Les gens sont crétins donc il faut les traiter comme des imbéciles, c’est la rhétorique qui justifie qu’on interdise tout, qu’on fixe des peines de plancher ou qu’on réclame le retour de la peine de mort pour les pédophiles. Pourtant c’est en traitant les gens comme des imbéciles qu’on les pousse à se comporter comme des crétins. Et que l’on se donne du même coup la légitimité pour imposer des lois à la con.
Je peux régulièrement entendre des non-fumeurs qui disent tant mieux pour la loi, car ils en avaient marre de subir. Mais depuis combien de temps avaient-ils le sentiment de subir ? Le matraquage autour du tabagisme passif a débuté il y a cinq ans, comment en cinq ans aurait-on pu faire évoluer les comportements des fumeurs ? Il aurait fallu installer dans les bars de petites pancartes sur les tables, avertissant les fumeurs que leur fumée était susceptible de déranger leurs proches voisins et qu’il valait mieux leur demander s’ils n’étaient pas importunés. Il aurait fallu créer les conditions d’un dialogue entre fumeurs et non-fumeurs mais on a préféré victimiser les uns et culpabiliser les autres. Aujourd’hui le fumeur apparaît aux yeux de beaucoup comme au pire un terrible assassin tuant au nom de son égoïste, et au mieux un malade mental tellement faible qu’il s’est rendu dépendant d’un poison dont il voudrait bien se débarrasser.
Il n’y a pas de fumeur heureux, nous disent les médias et le gouvernement. Tous veulent arrêter et nous allons les y aider, car nous savons que c’est ce qu’ils veulent au fond d’eux. Nous allons par exemple leur imposer un triplement du prix du tabac sur quinze ans, parce que c’est ce qu’il leur faut. Voilà leur réflexion. Donc moi, un jour arrivé à la tête de l’Etat, je décide qu’il est bon que les Français mangent moins de pain car le pain fait grossir, et pour parvenir à une réduction de la consommation je triple le prix de la baguette. C’est dur de se voir imposé de payer toujours plus pour un truc que l’on consomme innocemment. Mais je vous vois venir, il n’y a pas de consommation innocente de la cigarette, allez-vous me dire. Il y en a parfois qui justifient les appels sans cesse répétés à l’arrêt de la clope par le prix du paquet, comme si ce dernier était fixé par le Saint-Esprit. Mais ce ne sont pas les fumeurs qui exigent que le paquet coûte sans cesse plus cher. Nous subissons ces hausses arbitraires, décidées sans penser aux gens qui sont déjà dans la dèche et qui fument juste par plaisir. Se masturber semblait sans doute moins grave aux yeux de l’Eglise pendant l’inquisition, que fumer aujourd’hui aux yeux de toute la société.
Et puis il y a le fameux exemple des pays voisins. Car quand d’autres pays font quelque chose, la France se doit de suivre. C’est peut-être ça l’exception française dont nous nous réclamons : faire comme les autres et se demander pourquoi nous ne sommes plus très originaux. En plus ça marche ailleurs, donc ça doit marcher chez nous. Car la question ne se pose même pas, lorsqu’on regarde à l’étranger, de voir si les lois appliquées ailleurs sont fondamentalement bonnes ou mauvaises. La question est de savoir si ça marche, et si ça marche il faut le faire chez nous. Ca marche ! titrait d’ailleurs triomphalement Aujourd’hui en France avant-hier, avec le talent de pouvoir dire au bout d’une journée que le décret était un succès sans même savoir ce qui faisait son succès. Personne ne veut payer 70 € d’amende, ni se faire jeter de son café habituel, donc tu penses bien que ça marche. Qui oserait contrevenir à la loi ? Même ceux qui, au fond d’eux-mêmes, sont complètement en rogne contre cette politique, respectent la loi. Je me prends pour exemple.
La France fait comme les autres, sauf quand les autres ont l’intelligence de ne pas être trop violents. Admettons qu’il soit légitime d’interdire la cigarette dans les cafés. Est-il légitime, en revanche, de l’interdire dans les bars à chicha ? Le Canada et l’Allemagne, qui ont fait passer une loi similaire, ont au moins eu la décence de ne pas assassiner ces commerces où, comme me le confirmait mercredi un de leurs propriétaires, personne parmi la clientèle ne comprend que l’interdiction s’applique également à eux. Ce sont des endroits où les gens viennent précisément fumer, ce sont par définition des fumoirs, et à la manière de Christine Lagarde conseillant au Français de prendre le vélo plutôt que la voiture, à la manière de la reine Marie-Antoinette conseillant aux Français de manger de la brioche puisqu’ils n’ont plus de pain, on conseille aux narguilés de changer de profession. C’est comme si on demandait à un boulanger de devenir boucher, me disait le propriétaire dont je parlais plus haut. Ou comme si on disait aux cinémas de ne plus diffuser de films mais de continuer à vendre des popcorns, pour reprendre les propos d’un autre patron de bar à chicha, qui pour sa part demande 60 000 € d’indemnités à l’Etat pour sa fermeture.
Mais puisque les exemples ailleurs sont si probants, nous n’avons qu’à faire comme aux Etats-Unis, où non-seulement il est possible, comme en Europe, de refuser un emploi à un fumeur, mais où il est également possible pour un patron de faire des tests afin de savoir si ses employés fument chez eux, et de les virer s’il trouve de la nicotine dans leur sang. Alors allons-y, prenons contre le tabac des mesures que nous n’avons même pas eu l’idée de prendre contre les drogues.
Je préfère éviter d’employer l’habituel argument de défense qui consiste à se demander pourquoi l’Etat n’interdit pas purement et simplement le tabac. Vu comme les choses sont parties, il pourrait peut-être le faire. De même, j’évite de mettre sur la table les 45 000 morts de l’alcool, il y a des tarés qui réclameraient également son interdiction.
En revanche je n’hésite pas à saluer la force des gens contents du décret antitabac qui disent qu’ils pourront enfin retourner dans les bars. Car il faut de la force pour marcher dans la rue pendant 20 minutes sans être embêté par le bruit des bagnoles et des klaxons et des travaux publics, ni par l’odeur des gaz d’échappement. Mais il suffira que les médias sortent une armada de reportages sur les risques de la pollution pour notre santé, pour qu’on réclame l’interdiction des bagnoles en centre-ville. Pour l’instant, heureusement, il n’y a que les propriétaires de 4x4 qui sont montrés du doigt. Comme d’habitude, on est allé chercher la minorité qui pollue soi-disant plus que tout le reste du monde réuni, ce qui permet donc au reste du monde réunit de ne pas se poser de questions sur ses propres pratiques.
Il va sans dire qu’une décision comme ce décret en entraînera d’autres. En allant fumer sur le trottoir, les fumeurs pollueront le sol avec des mégots qu’ils préfèreront éviter de mettre à la poubelle de peur d’y foutre le feu, et ils feront du bruit la nuit. Ce sera l’occasion de faire passer un décret, approuvé selon un sondage par tout le monde, interdisant la cigarette dans la rue. Alors les fumeurs fumeront chez eux, plutôt à leur fenêtre pour éviter de pourrir complètement leur appartement mais quelques voisins du dessus se plaindront de sentir les volutes remonter jusqu’à leurs fenêtres. La cigarette sera donc interdite chez soi à la fenêtre. Puis elle sera interdite chez soi, même toutes fenêtres fermées, car la fumée traverse même les murs (argument utilisé aux États-Unis pour interdire la clope dans certaines habitations, sans que soit posée la question de la qualité des habitations elles-mêmes si même de la fumée peut traverser leurs murs).
Alors on se satisfera que les ventes de tabac aient baissé de 95% et on dira que les campagnes de prévention ont fonctionné, que les gens se sont responsabilisés et ont enfin compris l’ampleur des risques qu’ils encouraient en allumant une cigarette.
Mais à l’avenir, le risque de la cigarette ne sera plus de choper un cancer. Il sera d’être exclu, dénoncé à la police, enjoint à payer des amendes.
Car à l’avenir, il faudra être vivant, mais pas trop. Enfin rien ne sert de courir, il faut partir à point.
posted the 01/05/2008 at 09:32 PM by
franz
Pour information, je suis non-fumeur (ca ne change rien au fond mais je le précise quand même) et complétement d'accord avec toi et toutes ces stigmatisations généré par les médias..c'est vraiment de la 'télé-poubelle brain-washing'.
La seule question du moment est de savoir qui seront les prochains stigmatisés? on a déjà les sans papiers, étranger en situation irrégulière, l'immigration honteuse que cite Mr. Brice Hortefeux brulant de pouvoir réaliser 'du chiffre'. Je me demande quelle sera la prochaine loi porté l'encontre de personnes nuissant à la santé publique
En attendant ton prochain article, une très bonne année à toi pleine de réusite ainsi que un de tes articles prochainement j'espere !
J'suis totalement d'accord avec tout ça. L'interdiction de fumer dans les lieux publiques, ce n'est que pure hypocrisie. Dans un lieu vraiment fermé, comme une discothèque, ça passe encore, parce que meme moi, en tant que fumeur, ça devenait irrespirable au bout d'un moment (et surtout ça faisait mal aux yeux...) Mais ailleurs, c'est de la connerie. Et je pensais que les terrasses des café allaient etre épargnées... Bah meme pas. C'est naze.