Je ne sais pas comment je me suis organisé mais malgré le blocage de la fac — et le déblocage conséquent de mon temps — je suis en retard dans mon travail. C’est la raison pour laquelle je ne publie rien de neuf depuis plus d’une semaine. Je n’ai même plus le temps de chercher des idées. Je tenais à le dire.
Et je me refuse à parler de décret anti-tabac, bien que ça revienne dans l’actualité avec la manifestation des buralistes d’avant-hier. J’en ai trop parlé, j’ai dit tout ce que je pouvais, et tout ce que je n’ai pas pu dire, quelqu’un d’autre l’a dit à ma place sur son blog, dont l’adresse traîne quelque part sur cette page puisque j’en fais une publicité permanente.
Je reviens juste deux secondes sur la glorification des usagers en temps de grève, qui m’apparaît comme le phénomène le plus intéressant de ces deux dernières semaines. Je ne veux pas me prendre pour le respectable Roland Barthes mais je crois qu’on peut parler d’une véritable mythologie de l’usager, offerte sur un plateau par les JT. Je vous préviens immédiatement que je redis pas mal de choses déjà dites dans l'article précédent.
L’usager est une victime, bien sûr ; il est un otage dont on se complaît à rappeler les souffrances ou à vanter les mérites. L’usager souffre parce qu’il se lève plus tôt que d’habitude (et d’habitude il se lève déjà bien tôt) à cause de gens qui voudraient ne pas se lever trop tôt trop longtemps. L’usager se plaint peu, il est très tolérant mais parfois, pour le bonheur de la caméra, il explose et frappe une poubelle en pleurant, ce qui nous émeut presque autant que le regard triste des enfants africains qui meurent de faim. L’usager est un martyre de la fainéantise d’une minorité égoïste : certains ont même fondé des associations visant à le défendre. Une femme, représentante d’une de ces associations, vient sur un plateau de télévision et fait la liste des catastrophes encourues par l’usager un jour de grève. Admettons par exemple que l’usager parvienne à se rendre au travail : eh bien s’il est en retard, son patron a toutes les chances de le virer. Et s’il ne parvient pas à se rendre au travail, je ne vous en parle même pas. En temps de CPE, on se plaint que les chefs puissent licencier leurs salariés sans justification, et en temps de grève on admet qu’ils aient le droit de mettre quelqu’un à la porte pour une raison à la con, sans que personne n’y puisse rien faire. Autre exemple, tout aussi tragique : la mère de famille qui amène ses enfants à la garderie et qui part ensuite, sans savoir si elle rentrera le soir. Soyez forts mes enfants, leur chuchote-t-elle en les serrant dans ses bras, maman ne rentrera peut-être pas ce soir. Sa voix tremble, les larmes montent ; maman pourquoi tu pleures ? interroge sa progéniture ; je pleure parce que je suis heureuse, leur répond-elle pour ne pas les inquiéter, même si au fond de son âme battante elle sait qu’une page se tourne sans doute en ce moment.
On pourra ainsi estimer que la grève est responsable de la mort d’environ mille usagers par jour, dont 430 sont des suicides par allongement en travers de la voie ferrée. On pourra parler de génocide organisé.
Plus sérieusement, on parlera évidemment des conséquences de la grève sur l’environnement : pour aller travailler malgré tout, les usagers ont dû prendre leur véhicule, et avec tout ceci on a pu enregistrer une multiplication par deux des émissions de CO2. A cette heure-ci la banquise a sans doute complètement disparu rien qu’à cause de la grève, leur grève, et au loin nous pouvons voir, en attardant un peu notre regard, la patte du dernier ours blanc s’agiter au dessus de l’eau dans un mouvement frénétique qui ne laisse que trop bien imaginer la douleur du plantigrade à la fourrure blanche comme la pureté lorsqu’il laisse échapper son dernier souffle dans une eau dont la température est montée jusqu’à 15 °C dans l’espace de ces deux dernières semaines. Et cet ours blanc, eh bien c’est l’usager que l’on noie dans l’océan d’intolérance et d’égoïsme des cheminots.
Donc l’usager souffre mais comme tout héros moderne qui se respecte, il garde la tête haute. Il persiste à vouloir travailler, produire du capital, sans se poser de question, sans prendre garde à ceux qui voudraient l’en empêcher. Notre premier ministre lui-même a félicité l’usager pour sa force tempétueuse et la démonstration qu’il a faite de sa volonté de travailler plus, toujours plus. D’ailleurs, tous les jours l’usager est encouragé par tout JT qui se respecte, JP Pernault rappelant par exemple que lui, au moins, va bosser jusqu’à 65 ans sans se plaindre. L’usager résiste jusqu’à la mort — Guy Môquet était bien évidemment un usager. Tandis que le cheminot est un collaborateur communiste — Guy Môquet n’était bien évidemment pas communiste. Le cheminot est un collaborateur, et comment pourrait-on dire le contraire alors qu’il a bien fallu des cheminots approuvant le nazisme pour conduire les trains qui convoyaient toutes les victimes de la solution finale vers les camps. L’usager se verra sans doute remettre, dans les jours qui viennent, la légion d’honneur par Nicolas Sarkozy en personne, après que ce dernier aura mis fin à la terrible prise d’otages qui secoue la France actuellement en venant négocier — en personne ! — avec les human bombs cégétistes la libération individuelle de chaque usager.
Et lorsque Sarkozy aura tiré la chevillette, nous verrons tous choir la bobinette cheminote.
Pour compléter mes propos, un lien vers un article de Libération très intéressant :
http://www.liberation.fr/actualite/ecrans/291977.FR.php
Voilà des gens qui prennent un pays en otage pour préserver un acquis puant et rétrograde qui n'a plus lieu d'être depuis déjà plusieurs dizaines d'années, qui sabotent les voies de chemin de fer au péril de la vie des usagers, qui font s'effondrer un peu plus encore l'économie d'un pays qui ne cesse de chuter, et on leur trouve encore des excuses !
Un bon coup de pied au cul, voilà tout ce qu'ils méritent ! Et pendant qu'on y est on leur refera le cerveau il est tout ramlolli par les discours d'arlette, olivier et marie-georges, les momies de la politique française !