Poursuites // Michel cherche l'âme soeur
Si vous avez manqué le début : 25 septembre 2007. Michel devait rencontrer l’âme sœur. C’est le 81212 qui le lui avait dit. Mais pour le moment, d’âme sœur que nenni. 23h56. Tout est fini.
4. Fin de l'histoire
Se disant qu’il en aurait besoin avant de se résigner à oublier son rêve, et niant le ridicule qui naissait de cette attitude, Michel recommanda un verre de vodka. A ce moment un homme vint s’asseoir à côté de lui, qui commanda un verre de vin blanc. C’était un type qui pouvait avoir 25 ans, et que toute personne de bon goût aurait trouvé beau. Même Michel s’en fit la réflexion : il lui sembla que si au moins il avait pu ressembler un peu plus à son voisin de zinc, l’âme sœur serait apparue plus vite. Enfin cet homme était peut-être beau, mais il n’en avait pas moins l’air triste. Et comme Michel ne rayonnait pas de bonheur non plus, il voulut entamer la discussion avec lui. Il lui demanda donc du feu, que l’autre lui accorda volontiers, et Michel fit la remarque qu’ils fumaient tous deux les mêmes cigarettes, des Camel. Il y a peut-être deux millions de personnes qui fument des Camel en France, autant dire qu’on en croise à tous les coins de rue, mais là Michel avait besoin de se trouver un point commun avec l’autre. Ce dernier ne réagit d’ailleurs pas à ce que Michel avait dit, et il en vint du coup à relancer la conversation plutôt que de la laisser se flétrir comme un vieux fruit pourri dégoulinant, visqueux, farci de champignons et de larves (mangez des pommes).
Michel se fit la réflexion suivante et vous remarquerez que, bien que venant de lui, elle n’est pas si bête, comme quoi des fois hein : ce que se dit Michel, c’est que cet autre homme ne pouvait venir dans ce bar avec son air triste et son désir de vin que parce qu’il se trouvait en plein désarroi sentimental. Comme lui ! Arguant pour lui-même de cette solidarité dans l’épreuve, il ne se sentit plus retenu par quoi que ce soit et lança immédiatement une discussion sur le sujet. L’autre s’appelait Marc, il avait en effet 25 ans et je n’ai aucune idée de comment il occupait sa vie mais il avait des beaux yeux. Lui aussi se sentait un peu seul, et lui aussi était venu ici pour tenter de trouver quelqu’un mais hélas, ô rage ô désespoir, il n’avait trouvé personne qui correspondît à ses goûts. Michel expliqua que pour lui c’était pareil : il avait l’impression que pas une seule âme ne lui était destinée, et c’était terrible. Longuement les deux hommes discutèrent, de leurs goûts culturels d’abord (divergents mais pas incompatibles), d’idées politiques (convergentes mais incompatibles) ensuite et, assez vite, aidés par la régularité avec laquelle ils absorbaient les multiples boissons qu’ils commandaient, se mirent à rire de bon cœur en se faisant des blagues qu’un homme sobre ne peut pas comprendre.
A deux heures ils furent mis dehors, fermeture oblige. Chienne de vie. Mais voilà qu’ils titubèrent ensemble au milieu de la rue, s’esclaffant de n’importe quel réverbère croisé ou de leur manque d’équilibre lorsqu’il s’agissait de marcher le long de la bordure du trottoir. Un cap fut franchi lorsqu’en raison de son nez camus ils moquèrent un policier. Ce dernier, ne trouvant pas la chose très gentille, appela des compères qui conduisirent Marc et Michel au poste. Par manque de place on les mit dans la même cellule : s’y trouvaient une couchette, un lavabo, des chiottes et puis voilà. Mais eux s’en fichaient, c’était à peine s’ils savaient où ils étaient. Il s’assirent côte à côte sur la couchette, dos contre le mur, et poursuivirent leur conversation. Michel sentait avec Marc une vraie communion. C’est ce qui l’amena à lui demander carrément ce qui, dans sa vie amoureuse, n’allait pas. Marc lui raconta tout, une amie aimante mais pas passionnante, la peur de s’emprisonner dans une relation pas tout à fait excitante, le besoin subit, inattendu, de revenir au célibat par peur d’étouffer, même pas pour se faire plein de nanas mais juste pour se sentir libre. Il était venu au café, expliqua-t-il, pour éprouver son attirance envers les femmes, car il s’inquiétait de ne plus pouvoir ressentir quelque attirance que ce soit pour une autre.
Michel fut très attentif à cette histoire, vraiment il la suivit tout à fait passionnément et, sans doute parce que ça le touchait, il prit la main de Marc dans la sienne. Les deux hommes restèrent ainsi pendant une bonne heure, sans parler mais toujours se tenant la main. Arriva alors un moment où tous deux furent pris de fatigue et où il fallut dormir. Bien que non intentionnellement, Michel s’assoupit très vite et, après quelques minutes de nonchalance, sa tête pencha pour se déposer sur l’épaule de son voisin. Il se laissa envelopper pour de bon par les bras de Morphée et par ceux de Marc. Puis en rêve il put sentir, qui lui caressèrent la nuque quelques minutes durant, des doigts fins et une respiration chaleureuse.
Le dimanche 7 octobre au soir, Michel informa les membres du forum que tout cela, cette affaire de SMS, n’était pas du pipeau. Voici son message :
Il faut que je vous donne des nouvelles de mon histoire, car c'est fabueleux ce qui m'est arrivé.
Le 25 septembre, le soir, j'étais dans un café, je pensais que tout était fini, et j'ai rencontré Marc. On s'est bourrés la gueule et on a été en cellule de dégrisement, et là il s'est passé quelque chose entre nous, quelque chose de vraiment extraordinaire.
Aujourd'hui on se voit tous les jours, on s'aime et on est heureux.
A un moment j'ai pensé que vous aviez peut-être raison, qu'en fait c'était de l'arnaque, mais en fait la prédiction était vraie ! C'est juste que je m'attendais à une femme et en fait c'est un homme que j'aime.
Les réactions des membres du forum suivent à cette adresse :
http://www.forumfr.com/sujet124517-post53-comment-rencontrer-l-ame-soeur.html
Un an plus tard, Michel envoyait le mot cocu par SMS au 81212. Il voulait en avoir le cœur net et comme il le soupçonnait, Marc le trompait. Mais ça n’a rien d’étonnant si l’on n’oublie jamais la chose suivante : en tirant sur la chevillette, la bobinette choit.