Poursuites // Michel cherche l'âme soeur
Si vous avez manqué le début : Le 25 septembre 2007, Michel doit rencontrer l’âme sœur, c’est le 81212 qui l’a dit. Alors il se dit le matin qu’il a toute la journée pour chercher et que si le soir il n’a rien trouvé, il ira dans un bar branché. Il va dans un bar banché. Y trouvera-t-il la femme tant attendue ?
3.
A 22 heures Michel pénétrait dans un café branché, le Lounge. Dans la journée, il ne s’était en fait rien passé. Aux baraques à frites, pas une fille intéressante — sans doute, Alexandra du forum avait voulu se moquer délibérément de lui —, dans le bus, rien de plus qu’une vieille assise face à lui. Au reste, l’outrance de l’attention qu’il portait au moindre détail l’amena pendant une seconde à se demander si cette vieille n’était pas en réalité son âme sœur. D’ailleurs elle semblait le dévisager avec envie. Il voulut même l’aborder, histoire d’être sûr de n’avoir pas loupé son coup, mais son projet avorta lorsqu’elle s’évanouit. (Une heure plus tard elle était morte, mais c’est une autre histoire.) De toute façon ça ne devait pas être elle, pensa-t-il ; et il est vrai que si son âme sœur devait lui donner des enfants, une femme de 80 ans n’aurait pas pu faire l’affaire. Plus tard, il fut aussi attiré par une enfant de 8 ans mais eut l’heureux réflexe de se dire qu’elle était peut-être trop jeune pour lui.
Donc au moment présent il entrait dans le Lounge, après quoi il s’installa au bar et commanda une vodka car, comme tout le monde, il estimait qu’il s’agissait de l’alcool le plus classe. C’était la boisson qui le rendait ivre en deux verres mais dont il disait ensuite, auprès de ses amis, que même après en avoir ingurgité une bouteille cul sec il ne ressentait jamais le moindre effet. A l’instant présent, sa vue se brouillait déjà, et il avait à peine bu la moitié de ses 4 centilitres. Ceci fut, pour Michel, le signal qu’il pouvait se mettre en chasse sans craindre le ridicule — tout en sachant qu’il n’y échapperait probablement pas.
Je n’ai pas très envie de décrire les deux heures qui suivirent, en tous les cas pour ce que j’en ai vu Michel se fit rembarrer violemment par sept fois au moins. Il se passait à chaque fois la même chose : c’est-à-dire qu’il approchait d’une table et sortait, à la fille qui lui plaisait le plus, ma chère vous êtes mon âme sœur. Interloquée, la fille lui répondait qu’elle ne comprenait pas très bien ce qu’il voulait dire, tout en laissant ses yeux révéler qu’elle trouvait l’approche positivement intrigante. Alors Michel se lançait, il allumait une cigarette s’asseyait croisait les jambes passait la main dans ses cheveux et expliquait tout à fait comme il faut que deux semaines plus tôt il avait appris que ce jour, le 25 septembre 2007, serait celui de sa rencontre avec la femme de sa vie. J’en suis certain, c’est un service de médiums par SMS dont j’ai vu la publicité à la télévision qui me l’a dit, ajoutait-il pour se donner l’air sérieux. La fille lui demandait quel était ce service et il lui donnait le numéro, 81212, en lui proposant carrément de faire le test à son tour pour constater que son jour à elle était également le 25 septembre. Toutes le faisaient, ce qui était déjà très gentil de leur part, et avaient divers pronostics, le 32 août 2010, dans trois semaines, dans six mois, sans doute jamais, c’est déjà fait. A ce moment toutes se mettaient en colère et faisaient fuir Michel en le traitant de con, ce qu’il trouvait peu mérité, eu égard à sa gentillesse.
Il arriva un moment — et ce moment devait arriver — où Michel se trouva quelque peu désemparé. Après quatre vodkas et sept tentatives il devait se rendre à l’évidence : tout ceci n’était qu’un échec. Les médiums s’étaient sans doute trompé, peut-être d’un jour seulement mais tout de même, comment pourrait-il leur faire confiance à nouveau ? Il leur enverrait un SMS (il avait leur numéro, 81212) pour leur faire part de sa déception et très certainement, parce qu’ils étaient des gens honnêtes, ils s’excuseraient et lui rembourseraient la prestation. A ce stade c’était ce sur quoi Michel comptait. Vous voyez comme il pouvait être résigné. Après avoir cru, pendant toutes les heures des douze derniers jours, que cette date serait celle de son bonheur, il acquerrait la conviction qu’il ne s’agirait que de celle de son malheur.
Il se trouvait donc là, au bar, et scrutait amèrement l’heure en la voyant s’échapper à petit feu, comme une pelote de laine dont on tire le bout. A 23h15 il était clair que tout était foutu. Une fille s’installa alors sur le tabouret jouxtant le sien. Michel la dévisagea et la trouva bien fichue, et elle semblait n’avoir pas choisi cette place au hasard puisqu’elle manifestait visiblement de l’intérêt pour lui, en tout cas c’était ce que l’on pouvait comprendre de sa manière de le regarder. D’ailleurs tiens, elle entama la conversation en lui demandant une cigarette, qu’il lui offrit plaisamment. Elle avança qu’avec l’impossibilité future de fumer dans les bars, elle ne savait pas si ses soirées seraient aussi drôles qu’avant, ce à quoi Michel répondit de toute façon on n’a pas le choix, réplique certes peu brillante mais qui dut plaire puisqu’immédiatement la fille, à qui je donnerais 22 ans, embraya : oui oui, c’est vrai, c’est d’ailleurs ça qui est scandaleux, tu vois, moi je trouve ça dégueulasse de priver les gens de cette liberté mais bon en même temps je comprends les non-fumeurs, c’est vrai que le tabagisme passif c’est horrible, ça tue plein de gens en plus. La conversation roula un moment autour de ce sujet, avec le niveau intellectuel que vous aurez pu constater, puis on fit les présentations, moi c’est Michel et moi c’est Anne, j’ai 22 ans oh ben tiens moi aussi (qu’est-ce que je disais plus haut), qu’est-ce que tu fais les études tout ça moi je veux devenir commissaire et moi je suis une licence d’Histoire, ah oui c’est intéressant ça. Enfin vous voyez, ça avait l’air de marcher pour ces deux là.
Anne sembla prise de passion pour Michel, chose difficilement concevable il est vrai. Elle le regardait avec attention, riait dès que possible et en vint assez vite à poser sa main sur son bras. C’est d’ailleurs à ce moment précis que Michel ressentit comme une gêne. Il lui était tout à fait possible de poursuivre avec cette fille, à 23h40 nous étions même encore le 25 septembre 2007, mais lorsqu’il sentit cette main sur son bras quelque chose lui apparut, qui semblait ne pas tourner rond. Il n’avait pas senti son cœur tomber au fond de l’estomac lorsqu’il l’avait vue, pas plus qu’il n’avait eu la moindre boule en gorge ou le plus petit des tremblements. Il la trouvait intelligente et talentueuse, et elle avait également pour elle une apparence physique qu’il n’avait cessé d’admirer durant toute leur discussion mais il lui manquait quelque chose. Une chose qui eût placé ton visage dans un écrin blotti au fond de mon cœur, aurait pu lui dire Michel qui se voulait parfois poète. Il lui fallut quelques minutes pour accepter l’idée qu’il ne voulait pas d’elle pour concevoir ses enfants et organiser son enterrement. Alors, une fois acquise la conscience de ce qu’Anne ne pouvait pas être l’âme sœur, sans quoi il l’aurait d’ailleurs tout de suite su, Michel la congédia sans s’embarrasser d’un minimum de classe : je crois que je préfère qu’on en reste là, annonça-t-il sans préambule. Evidemment Anne ne comprit pas et le lui fit savoir. Pourquoi ? lui demanda-t-elle un peu effrayée.
Alors Michel : Eh bien vois-tu, je ne sais pas si j’ai vraiment envie de me marier avec toi, d’avoir des enfants tout ça, tu vois.
Anne : Je ne comprends toujours pas.
Michel : Ce n’est pas ce que tu crois. Moi aussi je cherche l’âme sœur, d’ailleurs nous la cherchons tous en ce bas monde, cela je le sais bien. Et je sais aussi que le 81212 t’a annoncé qu’aujourd’hui était le jour de ta rencontre avec elle.
Anne : Qui ça, elle ?
Michel : Ben l’âme sœur.
Anne : Gné ?
Michel : Oui, je sais que c’est difficile à accepter, ça l’est pour moi aussi tu sais. J’ai failli croire que nous étions faits l’un pour l’autre moi aussi, et je sais comme tu souffres d’apprendre qu’en réalité ma femme et ma vie sont ailleurs. Mais il faut que tu me comprennes, je ne suis pas prêt à te suivre dans une telle entreprise.
Anne : Mais quelle entreprise ?
Michel : Ben vivre ensemble, trouver un appartement, des boulots, s’occuper ensemble de nos vieux et de nos gosses, se marier, tout ça quoi.
Anne : Mais je n’ai jamais demandé ça, on buvait juste un coup en discutant et je te trouvais sympa, c’est tout.
Michel : Ca c’est l’apparence mais au fond de toi, je le sais, tu désires plus de moi. Tu vois en moi l’idéal masculin dont tu rêves depuis ta plus tendre enfance. Je le suis peut-être mais toi tu n’es pas la femme dont je rêve. Mon cœur devrait déjà avoir tenté d’ouvrir ta poitrine pour rejoindre le tien, si nous étions destinés.
Anne : Mais j’ai jamais dit qu’on était destinés.
Michel : Non, mais tu l’as pensé. Même si tu ne le sais pas.
Anne : Ah tu commences à m’emmerder, t’es complètement jeté.
Michel : Tu vois, nous commençons à nous engueuler et ça c’est ce que tu cherchais. Tu voulais me démontrer que nous formons déjà un vrai couple.
Anne : Alors divorçons.
Michel : Comme tu voudras. Je voulais juste que tu ne souffres pas trop.
Anne : (rien)
Anne avait déjà tourné les talons et sortait du bar en laissant à Michel la note de son Martini, ultime vengeance d’une femme au cœur brisé. Il était 23h56 et tout semblait fini. A nouveau la vie sentimentale de Michel planait au niveau zéro, c’est-à-dire qu’elle s’écorchait le ventre sur les difficultés de la réalité, aurait-il dit dans un de ses accès métaphoriques.
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