Poursuites // Michel cherche l'âme soeur
Si vous avez loupé le début : par un système de SMS, Michel a pu apprendre la date de sa rencontre avec l'âme soeur. Va-t-il la trouver ?
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Le matin qui suivit avait en bouche un goût étrange, je pense que l’on pourrait reprendre la phrase de Radiohead et dire que le 13 septembre, à onze heures, Michel se réveilla en suçant un citron. On pourrait même poursuivre la paraphrase : il y avait deux couleurs dans sa tête, une rouge radieuse provoquée par sa joie d’avoir enfin pu déterminer la date où il rencontrerait sa femme, mais aussi une grisonnante due à ses incertitudes. Lorsqu’il alluma la télévision pour accompagner ses Chocapic, son malheur l’amena sur France 2 et les Z’Amours. Il ne voulait surtout pas entendre parler de mariages et d’amour, cette idée l’angoissait et il ne voulait pas en venir à redouter de rencontrer l’âme sœur. C’est pourquoi d’un geste sec il passa sur la Une où il put se régaler du Destin de Lisa, les affres d’une jeune fille plutôt laide aux prises avec des difficultés sentimentales. Il s’en régala d’autant mieux qu’il put se dire qu’à coup sûr son identification complète à ce personnage allait cesser très vite. Et du coup ça y était, il était tout requinqué Michel. Il devrait éviter les images de couples mais jubilerait devant tout célibataire malheureux.
Les jours passèrent et furent tous cyclothymiques, faits d’heures tristes et de minutes joyeuses. Michel avait repris les cours et même s’il n’avait pas jusqu’alors repéré dans sa promotion une fille avec laquelle il se sentît susceptible de fonder une famille, il ne désespérait pas que l’une de celles pour lesquelles il ressentait une certaine attirance se révèle la femme tant attendue. Après tout c’était possible. Il était même envisageable qu’il craquât, au détour d’un croisement de pupilles, pour une à laquelle il n’avait jusqu’alors prêté aucune attention. Oui, c’était possible aussi après tout. Pourtant cela ne se produisit pas. Bien sûr il y eut quelques vertiges du cœur, quelques regards appuyés et quelques mots échangés, mais rien de bien concret. Michel ne se trouvait pas laid et souvent il se sentait en mesure de séduire telle fille vue en tel endroit. Malgré cela il n’en avait pas encore fait la preuve, de cette mesure, quoiqu’il eût argué qu’il attendait d’être certain qu’une femme attirante ne soit pas uniquement un orifice pour son sexe mais aussi, et c’était ce qui comptait, un ventre et des seins pour ses enfants, des mains pour son dos, une voix pour ses oreilles, un souffle pour sa nuque, des lèvres pour les siennes.
Quoiqu’il en fût ce ne serait sans doute pas à la faculté qu’il trouverait cette femme, ce qui l’amena à décider de ne pas se rendre en cours le 25 septembre, ceci afin d’optimiser le temps en menant des recherches dans les lieux les plus probables. Et en attendant il tenterait de vivre normalement, sans laisser transparaître l’excitation qu’il ressentait à la pensée de cet événement exceptionnel.
Pendant plusieurs jours Michel brûla donc d’impatience, et puis un matin, à sept heures, il se réveilla et nous étions le 25 septembre 2007. Il fallait bien que ça finisse par arriver. En descendant les escaliers pour se rendre dans la cuisine il s’arrêta un instant, espéra dans un souffle que l’âme sœur l’y attendît, ce qui lui aurait permis de l’emmener immédiatement dans son lit et de se rendormir contre elle, puis pénétra dans la pièce et n’y trouva que sa mère. En théorie son Œdipe était dépassé depuis fort longtemps, et sa génitrice ne lui apparut donc pas comme une âme sœur potentielle, ce qui faillit le décevoir avant qu’il se reprenne en songeant que toute la journée lui appartenait.
Oui, elle lui appartenait et de toutes les manières à huit heures trente il serait prêt, à huit heures trente-trois il monterait dans le bus et à huit heures trente-cinq peut-être, une jolie fille s’assiérait face à lui en le dévisageant d’un sourire fin. Si cela n’arrivait pas, il se rendrait dans un bar à étudiants avec à la main un magazine de voitures, pas seulement pour séduire via cet accessoire viril mais aussi pour se divertir en attendant une rencontre. Et si cette dernière devait toutefois ne pas advenir, eh bien il irait en cours, sans quoi la journée paraîtrait bien longue. Mais à midi, c’était certain, il irait à une des deux baraques à frites qu’il avait repérées et en repartirait bras dessus bras dessous avec sa femme. Néanmoins il ne fallait pas exclure que ceci ne se produisît point, et le cas échéant il irait manger le soir à l’autre baraque à frites. Quant à l’après-midi, il le passerait dans les lieux de ses occupations culturelles préférées puisque son âme sœur devait, pour tenir son statut, aimer les mêmes choses que lui. Et si à vingt-deux heures rien ne s’était produit il foncerait dans un bar de nuit pour y passer la soirée et pourquoi pas la nuit, vu qu’à ses yeux le 25 septembre durait jusqu’à ce qu’il se couche et dorme, marquant ainsi le passage au jour suivant. Il n’y avait donc rien qui empêchait le 25 septembre de s’achever en réalité le 27.
Une telle organisation ne laissait assurément aucune chance au sort de laisser, entre ses doigts, filer l’objet qui occupait constamment ses pensées depuis 10 jours comme le nouvel album de Radiohead occupera les miennes pendant les 9 jours à venir.
Mais je vous en dirai plus à ce sujet, très bientôt.
A suivre