Après les vacances vient la rentrée, c’est aussi bête à dire qu’après la pluie vient le beau temps, ca vole aux environs du même niveau.
A vrai dire la rentrée télévisuelle je m’en fous un peu, surtout que revoilà dans TV Magazine les chroniques d’Isabelle Morini-Bosc, le genre de fille qui m’énerve un peu. Je ne sais pas vraiment ce qu’elle dit dans son petit billet d’humeur, pour être franc ça fait un moment que j’ai cessé de penser au fond de son propos tellement sa forme m’obsède. Il y a une manie chez Morini-Bosc que je trouve insupportable et qui me ferait presque déchirer mon TV Magazine si je n’étais pas retenu par l’envie de lire, deux pages plus loin, l’interview vérité de Claire Chazal réexpliquant qu’elle ne voit pas son joker des vacances comme une concurrente ou une future remplçante mais juste comme une-grande-professionnelle-qu’elle-respecte-à-fond. La manie de Morini-Bosc, je viens juste de vous en donner un aperçu : cela consiste à mettre des tirets un peu partout pour montrer-qu’on-est-ironique-par-rapport-à-ce-dont-on-cause. C’est du même niveau que les guillemets et c’est peut-être plus accablant encore car les guillemets n’ont que deux occurrences, une au début et une à la fin, alors que les tirets se trouvent être à peu près au même nombre que celui de mots qu’ils séparent, de telle sorte qu’exploités sur une phrase complète ils affolent la vision et font imploser le cerveau. Enfin de toute façon Morini-Bosc en use aussi, des guillemets, à tel point qu’au final son billet d’humeur ne ressemble plus à grand chose. Voici un résultat possible de son écriture néfaste :
« MarcO » a fait sa grande rentrée sur M6 avec les « pipoles »-qui-ont-une-actu-débordante dans son émission « T’empêches-tout-le-monde-de-dormir-et-tu-poses-des-questions-choc ».
Si vous lisez TV Magazine, et j’espère que c’est le cas, je vous exhorte à jeter un œil à ces billets d’humeur pour constater que chaque semaine Isabelle Morini-Bosc use de sa technique-des-tirets à trois reprises, comme un quota.
Enfin bref.
Il y a des choses que j’aime à la télévision, et je ne m’estimerais pas tout à fait honnête si je ne les évoquais pas ici alors que régulièrement je vous fais part de ce qui m’énerve.
Hier France 3 avait décidé de consacrer sa soirée à l’impertinence, avec pour commencer une émission sobrement intitulée L’Impertinence à la télévision, à 20h50. Malgré tout le bien que j’ai pu entendre de Hondelatte par un pote qui a travaillé à ses côtés pour la matinale de RTL, je craignais sincèrement que son émission ne soit qu’une émission de plus sur le sujet, une émission du même niveau, en gros, que ces sempiternelles glorifications d’humoristes pas si drôles ni provocateurs que l’ont fait passer pour des poils à gratter. Il y en a même qui l’ont été, impertinents, par exemple il y a Coluche mais hélas le pauvre a été institutionnalisé au point qu’aujourd’hui l’impertinence serait plutôt de le critiquer. En outre ce sont toujours les mêmes sketches qu’on nous passe, les mêmes blagues tellement entendues qu’elles se sont vidé d’elles-mêmes, et après la présentatrice de l’émission revient à l’écran, faussement rigolarde, et dit ahlala il osait tout quand même, hein Didier Gustin — et Didier Gustin, qui fréquente toutes les émissions voulant rendre hommage à des humoristes, ou des comiques comme ils disent plus souvent (mais personnellement je n’aime pas ce terme, comique), dit ah bah oui aujourd’hui on ne pourrait plus faire passer ça à la télé hein.
Pourtant ça passe presque quotidiennement à la télé, ces machins-là, ça passe toujours et immuablement c’est accompagné de cette longue plainte sur le fait que les humoristes ne peuvent plus faire des choses aussi impertinentes qu’avant. En chœur tout le monde se plaint de cette situation, le présentateur qui pourtant n’aura jamais le courage de passer des choses vraiment provocatrices et préfèrera remarquer que les autres ne le font pas, comme les humoristes qui trouvent ici une excuse à leur manque de talent (pourquoi on ne fait plus de choses aussi rebelles aujourd’hui ? parce qu’on ne peut plus ! mais là il faut plutôt comprendre qu’ils ne savent simplement pas le faire). L’impertinence censée démonter son propre système, la télévision l’a brillamment récupérée pour la mettre à son service et en a ainsi fait une autre technique d’audimat. Il se passe des choses extraordinaires à la télé puisque parfois des gens s’y montrent pour en dire du mal.
Enfin hier, en tout cas, l’émission de Hondelatte m’a très agréablement surpris. Franchement, c’était du très bon boulot. Plutôt qu’un florilège d’images déjà vues milles fois, on a eu droit à des images vues une dizaine de fois ou pas du tout, et des images de gens dont on ne parle plus et qui pourtant furent impertinents. On a également eu droit à des entretiens qui, plutôt que de mythifier bêtement l’humour et l’impertinence comme le font habituellement les programmes de ce genre, les mettaient en perspective par la bouche même de ceux qui les ont pratiqués : ainsi Alain Chabat expliquait-il très modestement que l’impertinence partait généralement d’accidents et qu’elle n’était le plus souvent pas voulue. Il touchait, je pense, le cœur du problème qui touche les humoristes actuels : trop soucieux d’être impertinents ils manquent de l’être en tentant de reprendre, comme une recette, ce qui a fait l’impertinence de leurs aînés. L’impertinence a sans doute une grande part d’inconscience, et l’inconscience est tout ce qui fait défaut à ceux qui se réclament de l’impertinence aujourd’hui.
Et puis surtout on a entendu parler de gens toujours oubliés mais jamais égalés, et ma plus grande joie à ce sujet est d’avoir vu des extraits télévisuels de Pierre Desproges, qui réside au plus haut des cieux. Ce n’étaient pas ses passages les plus impertinents mais l’idée même de lui donner une telle place dans cette émission était impertinente car, allez comprendre pourquoi, Desproges semble faire peur à toutes les émissions consacrées à l’humour évoquées plus haut. Il est systématiquement contourné, il est soigneusement passé sous silence alors que si cet homme est celui qui m’a fait le plus rire de toute ma vie, il a du en faire rire d’autres ou bien je ne suis pas humain. Bien que j’aie la prétention d’avoir tout lu, tout entendu et presque tout vu de lui j’ai eu la bonne surprise de découvrir un extrait d’une émission à laquelle il avait participé et que je n’avais jamais vue. Même Coluche et Gainsbourg furent bien traité puisque, miracle, ils ne nous ont passé ni le sketch de l’autostoppeur, ni celui des lessives OMO, ni Gainsbarre traitant Catherine Ringet de pute, non, ils ont passé des choses vraiment drôles et rares même si inévitablement ils ont également rappelé à notre mémoire les plus grandes heures de Droit de Réponse — mais je ne me lasse pas encore de ces archives-là. Et à la fin ils ont même parlé de Boris Vian et d’autres choses pas si drôles, Dim Dam Dom ou Juliette Gréco, histoire de dire que l’impertinence n’est pas qu’humoristique mais qu’elle n’est impertinente que dans un contexte précis.
L’impertinence ne l’est que dans un contexte, c’est ce que prouvait la suite de la soirée sur FR3. Après Hondelatte venait Taddeï et sa quasi-quotidienne Ce soir (ou jamais !), que je tiens pour la plus grande émission du moment et peut-être depuis que je regarde la télévision. Ce soir (ou jamais !) n’est pas impertinente au sens où ses participants tiennent des propos provocateurs, elle l’est simplement au sens où elle a fait le choix de prendre le contrepied de tout ce qui se pratique en télévision. L’avantage de Ce Soir (ou jamais) est de pouvoir, presque chaque jour, être comparée à un autre talk-show sur une autre chaîne, le mardi à Fogiel et le jeudi à Cauet par exemple. L’exercice du zapping dans ces moments-là est utile pour bien comprendre la grandeur de Ce Soir (ou jamais !), que j’appellerai désormais CSOJ ! je tiens à garder le point d’exclamation ! Hier soir par exemple nous pouvions voir chez Marc-Olivier Fogiel un grand débat sur la télé-réalité, l’idée semblait être en gros que la Nouvelle Star fait des vrais artistes tandis que la Star Ac pas. De toute façon peu importe le fond, l’essentiel est dans la forme. Les ingrédients de T’empêches tout le monde de dormir, et ceux de n’importe quel talk-show (Salut les Terriens, la méthode Cauet, On n’est pas couché ce que vous voulez) sont pour commencer un public crétin qui applaudit à n’importe quelle phrase (Amel Bent dit qu’en banlieue il y a des gens gentils ? Applaudissez bon sang) ou bien crie hou à n’importe quelle autre, qui se lève pour n’importe qui et s’émeut de n’importe quoi, ensuite un animateur star passé maître dans l’art de couper la parole et de poser des questions dont il connaît les réponses (certains ne posent même pas de question, par exemple Fogiel le plus souvent se contente de lire un extrait d’interview récupérée dans Ici Paris et demande à la personne concernée ce qu’elle en pense, exemple : alors-han vousavezdéclaréenseptemb’dernier pourmoil’amourc’esttoutcequicompte jenepourraipasvivresans *respiration, Fogiel a tout de même des besoins vitaux, puis reprise* alorsvousêtessentimental-han ?) et enfin des invités conviés à s’engueuler sur un sujet particulier pour qu’à la fin on puisse conclure par un bon vieux personne n’a tort, personne n’a raison, ça prouve la complexité du débat. Ah ben c’est sûr qu’en faisant parler des incompétents on ne risque pas de le faire avancer, le débat. Si le talk-show est en direct vous pouvez souvent envoyer des SMS à 50 centimes qui ne serviront à rien à l’antenne puisque personne ne rebondira dessus et tant mieux puisque de toute manière vous ne vous serez pas emmerdé à développer un argument valable sur votre mobile.
Maintenant que nous avons recadré les talk-shows habituels venons-en à celui de Taddeï, qui se caractérise donc pas le contraire des autres, par exemple des invités dont on ne vend pas incessamment les produits et qui viennent discuter tranquillement de sujets intéressants. Si Taddeï se fait remarquer c’est par sa discrétion, car jamais il ne coupe qui que ce soit sauf s’il s’agit de la fin du temps imparti — souvent j’aimerais que l’émission se poursuive jusqu’à trois heures du matin — et surtout il pose des questions simples, claires appelant des réponses construites. Il lance la balle et tout le monde se la passe sous le regard d’un public muet qui boit des coups en papotant comme s’il se foutait simplement de ce qui se passe sous ses yeux.
Ce soir (ou jamais !) est un paradis télévisuel devant lequel j’aime parfois m’endormir à moitié en sentant que j’ai gagné quelque chose à fixer mon écran pendant une heure, par exemple une vision plus nette de ce qu’il y a de dérangeant dans le pouvoir qui nous dirige depuis le 16 mai dernier, tout à fait loin des habituelles critiques que l’on peut entendre un peu partout et qui, souvent, font seulement état d’une peur de ne plus être autorisées un jour. Ce soir (ou jamais !) est un moment de bonheur pur que je savoure toujours comme si c’était le dernier même s’il semblerait que France3 a décidé de soutenir cette émission en dépit d’une certaine confidentialité.
Il ne manque qu’une chose à Ce soir (ou jamais !) : des cigarettes. Si Taddeï fumait, si son public fumait, si ses invités fumaient, tout cela paraîtrait si vivant que l’émulation intellectuelle qui naît de cette émission grandirait encore mieux dans mon esprit. Hélas la législation veut que l’on ne fume pas à l’écran, histoire de n’inciter personne et il est vrai que sans doute si l’on se remettait à fumer à la télévision nous nous trouverions avec 20% de fumeurs en plus.
Bref, je vous supplie de regarder cette émission, Ce soir (ou jamais !), du lundi au jeudi avant et après le Soir 3 (donc 22h55 puis 23h30) qui est un monument télévisuel, un miracle cathodique, une émission vraiment impertinente donc plus pertinente que toute autre, une chevillette sur laquelle il n’y a qu’à tirer pour que choisse la bobinette, et quel verbe à la con que le verbe choir, si quelqu’un connaît son subjonctif présent il est prié de me le faire savoir.
Oh, et au fait j'ai fini de publier mon machin sur Lou Reed et la littérature, c'est ici :
http://franz.blogs.nouvelobs.com/lou_reed_et_la_litterature/