Aujourd’hui, je viens de l’apprendre, c’est la journée des gauchers. J’aurais dû supposer plus tôt que ce genre d’événement existait ; après tout si on fait la journée sans tabac ou la journée de la politesse au volant, il n’y a pas de raison que la gauchitude, qui n’est d’ailleurs pas un combat moins noble que les deux précités, n’ait pas sa journée propre. Cette journée au thème guère plus intelligent que celui de toute autre journée sera l’occasion pour moi de m’offusquer des atteintes faites à la minorité gauchère, et ceci sans faire intervenir la moindre blague politique parce que c’est trop facile.
Il y a un type qui a parfaitement établi mon état d’esprit, c’est Desproges, je ne sais pas si lui-même était gaucher ou s’il voulait juste faire un mot — je pense qu’il pourrait se faire passer pour gaucher ou n’importe quel autre handicapé du moment que ça lui permet de faire son intéressant — et peu importe : comme lui je ne me définirai non pas comme un gaucher contrarié, mais comme un gaucher contrariant. Et comme lui j’ajouterai même que c’est plus fort que moi, j’emmerde les droitiers. La raison en est simple : les droitiers m’emmerdent. Sous prétexte qu’ils constituent une infime majorité d’environ 88% de la population, ce qui n’est vraiment pas grand-chose, ils ont conçu le monde à leur image, les ciseaux, les briquets, les machine à composter les tickets de métro, les distributeurs de billets, les voitures, les manettes de jeu, les souris d’ordinateur, le salut par serrage de main, les livres et même l’écriture — comble de l’irrespect. Avec l’Eglise ils ont oppressé la population gauchère en lui attribuant, avant même l’invention des tests de paternité, une ascendance diabolique. Ils ont tapé sur les doigts des gauchers pour ensuite leur prouver que de leur main maudite ils ne pouvaient rien tirer.
Amis lecteurs, ennemis droitiers, connaissez-vous seulement les souffrances quotidiennes d’un gaucher ? Voici comment cela peut se résumer, et je prendrai bien soin d’éviter toutes les idées communes courant sur les gauchers.
Lorsqu’une demi-heure est passée de cinq heures, le gaucher se lève car il est matinal et dort peu, rapport aux souffrances sociales de la gauchitude et à sa soif inépuisable de travail — puisque le gaucher, c’est connu, est plus intelligent et moins feignant que le droitier. Immédiatement le système des objets fait barrage au bon déroulement de sa journée, car pour ouvrir sa bouteille d’eau (ou même de whisky, puisque parfois le gaucher devient alcoolique sous la pression sociale) il doit, comme c’est le cas dès lors qu’un système de vissage/dévissage est installé quelque part, tourner le bouchon vers la gauche. Euh non, vers la droite, pardon. Or s’il a acquit ce réflexe c’est au terme de 18 ans d’efforts, après avoir incessamment tenté d’ouvrir toute bouteille et de dévisser tout boulon en commençant par tourner vers la gauche. Mais non content d’être parvenu, après avoir perdu dix secondes en réflexions et en fulminements, à se servir de l’eau, le gaucher veut ouvrir un paquet de café tout neuf. Pour cela des ciseaux peuvent lui être nécessaire mais las ! trop souvent les ciseaux, dès qu’ils se trouvent empoignés par une main gauche, se mettent dans va savoir quelle position et, au lieu de gentiment découper le paquet comme cela est attendu de leur statut social, ils le plient et s’enveloppent dedans, comme une souris tombant dans un vulgaire piège. Alors le gaucher parvient, au prix de ses dents, à ouvrir le sachet et à se préparer un café mais la tasse se fait auteure d’une nouvelle déconvenue. Arborant sur son flanc trois jeunes filles montrant leur derrière et dont la culotte apparaît lorsqu’on verse une boisson chaude, la tasse permet à celui qui la boit de profiter du spectacle uniquement s’il tient l’anse de la main droite — car en la tenant de la main gauche, il ne voit pas trois jolis derrières alignés mais une ennuyeuse surface blanche. Ainsi le gaucher est-il privé de cette si jolie vue.
C’est pourquoi, accablé par tant de haine diffuse, il veut allumer une cigarette mais horreur que constate-t-il, il en va de son briquet comme de sa tasse et, s’il tient à actionner le silex de la main gauche, il se privera immanquablement du dessin que seuls les droitiers peuvent voir, lequel représente un chien qui en sodomise un autre avec ce sous-titre, Sex Dogs & Rock’n’Roll.
Par la suite le gaucher, pas très loin de la dépression nerveuse, doit aller au travail et pour cela, il doit prendre le métro. D’abord il retire de l’argent et affronte la difficulté d’enfiler sa carte bleue d’une main droite alors qu’il serait bien plus assuré s’il le faisait de sa main gauche. Mais cette épreuve n’est rien en comparaison de celle du compostage de ticket de métro, épreuve dans laquelle le gaucher, aux prises avec une machine qui adresse une minuscule fente à sa main droite, doit viser avec encore plus de précision que lorsqu’il enfilait sa carte bleue, tout en faisant face à l’impatience de ceux qui le suivent.
Et lorsqu’au travail le gaucher écrit avec un stylo plume, il doit s’assurer que son encre sèche plus vite qu’il n’écrit, sans quoi la manche de sa chemise blanche trempera dans les derniers mots calligraphiés et les étalera sur toute la largeur de la page. Ou bien il doit installer sa feuille dans une position quasi-horizontale et se donner l’air aussi ridicule que s’il utilisait un buvard, ce qui est une autre solution handicapante.
Au vu de tous les embêtements susdécrits, qui ne sont d’ailleurs qu’un nombre infime parmi tous les embêtements vécus par le gaucher, il n’est pas étonnant que ce dernier meure plus jeune, d’infarctus, de fatigue généralisée, de cancer du poumon, d’accident domestique ou d’alcoolisme, que le droitier. Il peut même arriver que le gaucher se suicide, ou du moins tente de le faire — en donnant ainsi raison à Nicolas Sarkozy pour qui le suicide est génétique, et la démonstration suivante le prouve immanquablement dans le cas du gaucher : la gaucherie est génétique, le suicide gaucher est presque inévitable, donc le suicide est génétique—. Fort heureusement, lorsqu’il tente de se suicider, le gaucher n’est plus confronté à la difficulté de sa situation : il est aussi facile de viser le cœur que l’on tienne son revolver de la main gauche ou de la main droite, on peut trancher les veines de n’importe quel bras pour se vider, et on parvient toujours à ouvrir une fenêtre pour s’envoyer à travers elle.
Mais amis gauchers, ne trouvez-vous tout de même pas cette situation intolérable ? Ensemble, nous pouvons renverser cette dictature droitière, j’en suis certain. Car si les droitiers sont plus nombreux, ils sont également populaciers — alors que nous incarnons une certaine élite. Combien de cerveaux géniaux étaient gauchers, de Vinci à Hendrix, de Jules César à Rafaël Nadal ? Tout 88% qu’ils sont, ils ne pourront jamais résister au 12% que nous représentons et qui sommes certains du bien-fondé de notre désir de conquête mondiale. Couchons ensemble pour maximiser la proportion de gauchers dans la génération suivante, et écrasons les droitiers dans tous les domaines fondamentaux, politique, art, publicité et Scrabble. A terme les droitiers se suicideront comme nous avons tous pensé le faire, et nous serons majoritaires — et alors nous façonnerons le monde à notre image en plus d’avoir éliminé le problème de la surpopulation.
Gauchers de tous pays, unissez-vous, prenez-vous par la main, car voici la lutte finale.

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publié le 13/08/2007 à 20:11 par
franz