La télévision, je l’aime pour la classe avec laquelle elle se lave de toute accusation, toujours discrètement, sans cérémonie et sans explications, simplement en reportant la faute sur d’autres ou en se donnant des vertus morales.

Par exemple les émissions de télé-cobaye, on ne peut pas être contre si on est un tant soit peu ouvert. Secret/Loft Story, L’île de la tentation ? Des concepts résolument modernes ! Il faut être resté coincé au Trouzième siècle pour ne pas aimer, il n’y a qu’Hitler qui aurait été contre ce genre d’émission. Meilleur encore est l’exemple de la Ferme ou Sortez moi de là je suis une célébrité, programmes qui, non contents d’avoir ajouté une bonne dose de people, font de la charité. Ici on n’a vraiment pas peur de faire du caca et de demander aux gens d’envoyer des SMS surtaxés puisqu’après les participants versent leurs gains à une association d’aide aux enfants orphelins ou aux chiens estropiés, mais fallait pas voyons, oh c’est tellement généreux de votre part. Et puis n’oublions pas les émissions de coaching, comment éduquer ses gosses avec Super Nanny, comment éduquer ses parents avec la publicité, comment se protéger contres les cambriolages, comment être propre chez soi, comment être un bon coiffeur, comment décorer sa maison, comment maigrir. Il manque juste l’émission pour me dire comment préparer des pâtes et je serai paré pour le M6 way of life.

Enfin les plus classe dans l’affaire ce sont les JT. Ils m’étonnent toujours. Hier par exemple, François Laborde aborde le sujet de Clichy dans le 93. Forcément vous avez déjà entendu parler de ce lieu soumis aux pires violences, cette zone de non-droit où personne n’ose sortir après 22 heures et où l’on voue les 205 aux flammes dans des offices ritualisés menés par des jeunes à casquette. Depuis novembre 2005 la télévision nous parle de ce département comme d’un pays étranger. D’ailleurs lorsque Le Pen a dit qu’il irait y faire sa première visite à l’étranger une fois élu, il provoquait plus en disant qu’il serait élu qu’en assimilant les banlieues à l’étranger — car ceci, la télévision le fait depuis bien longtemps. Donc depuis novembre 2005 Clichy c’est le coin ou que c’est qu’il faut pas mettre les panards, à en croire les JT.

Mais hier Françoise Laborde, au 20 heures de France 2, aborde le sujet autrement. Maintenant on va montrer qu’en fait Clichy c’est super génial, s’est-on dit à la rédaction de France 2, dis Marcel tu vas faire un sujet pour montrer comme les gens sont solidaires et gentils là-bas, non pas de souci tu n’as pas besoin de passeport. Pour ma part je ne dis pas, ça part d’une bonne intention de casser l’image qu’on a soi-même créée, d’ailleurs ils l’ont déjà fait ne serait-ce que pour caser le jeu de mots Clichy sans Clichés, que j’ai entendu et lu au moins 7 fois.

Sauf que pour Françoise Laborde et France 2 la terrible réputation que se traîne Clichy depuis novembre 2005 n’est absolument pas due à la télévision, ah ça non. Au reste Françoise dénonce les vrais coupables dans son introduction, vous pouvez aller voir le journal sur france2.fr : la Seine Saint-Denis, le 9-3, a mauvaise réputation nous dit-elle, vu de l’extérieur on imagine ce département confronté à toutes sortes de violences. (Là je dis oui, grâce à tout votre travail oui, en effet on l’imagine facilement comme ça ce département.) C’est, reprend-elle, l’image qu’en donnent, volontiers d’ailleurs… Je me permets d’interrompre parce que là le mot que j’attends c’est évidemment médias, même si c’est un terme générique qui dénonce tout et n’importe quoi, on peut bel et bien dire que certains médias donnent volontiers cette image au 9-3. Mais pour Françoise non, il ne s’agit pas de ça. Alors qui fait cette réputation ? Certains rappeurs, nous dit-elle ! Eh oui, après tout si la banlieue a si mauvaise réputation c’est d’abord la faute de ceux qui en viennent, ils feraient mieux de chanter le bonheur d’y vivre. Je trouve tout de même ça très fortiche de la part de France 2 : non seulement on brise l’image que l’on s’acharne soi-même à donner de Clichy mais en plus on parvient à mettre sur le dos des rappeurs la responsabilité de cette réputation. C’est vraiment très fort. Donc France 2, comme les autres, n’a rien fait et n’y est pour rien si on a l’impression que c’est le foutoir là-bas. Et après voilà, on montre gentiment comment les gens sont contents à Clichy, avec sous-entendue continûment l’idée que tout de même c’est la zone. En gros malgré la galère et les jeunes à problèmes on est content dans le 9-3, voilà le message du reportage, outre que Clichy est un véritable zoo où l’on vient chercher un sujet quand on n’a pas d’idée. A Clichy c’est aussi bien de parler d’un mec heureux que d’un mec malheureux, vu que les deux révèlent beaucoup de choses sur la banlieue. Bientôt il faudra faire Clichy-Story, comme ça on suivra en direct la vie de ses habitants.


Enfin en matière d’auto-lavage de mains avec dénonciation des vrais fautifs, la téloche n’en est pas à son coup d’essai, elle l’a déjà fait. Par exemple, prenons l’affaire d’Outreau. Le juge Burgaud, en voilà un qui tombe à pic dites-moi. Car il est entièrement responsable, le saligaud, des salissures commises aux accusés/victimes de cette affaire de pédophilie. La machine médiatique, capable de ravager le nom et l’image d’une personne en deux jours sur la seule base d’une mise en examen et au détriment de la présomption d’innocence, elle, n’y est pour rien. C’est vraiment facile pour les JT, une fois que les gens sont innocentés on le dit et immédiatement on trouve les responsables de tout ce pataquès : la justice qui dysfonctionne, un jeune juge incompétent. Nous les médias ? On a fait notre travail et on le fait encore en rétablissant la vérité et en montrant les vrais coupables, alors ne venez pas nous emmerder. Et voilà la télévision lavée de tout soupçon, et peu importe si, trop content d’avoir eu sous la main une gigantesque affaire de pédophilie incestueuse propre à scandaliser tout le monde et à faire de l’audimat, on n’a pas réfléchi deux secondes par soi-même. De toute façon c’était la parole des enfants et d’habitude les enfants disent la vérité, c’est la pub qui nous le rappelle tout le temps.


Enfin bon, tant vont les journalistes à Clichy, qu’en la fin ils s’y brisent.