Vu que j’ai été assez actif ces derniers temps je me sens obligé, à la veille d’une absence qui durera quatre jours, de prévenir. Précaution sans doute futile car, comme toujours, il serait prétentieux de penser que je pourrais vous manquer jusqu’à dimanche, en réalité il y a si peu de chances pour que vous pensiez à moi ne serait-ce qu’une fois — ce dont je ne tiendrai rigueur à personne puisque, réciproquement, je ne penserai certainement ni à vous ni aux sites que j’aime fréquenter pendant ces quelques dizaines d’heures que j’ai la flemme de compter — que l’entreprise même d’écrire un article pour vous faire savoir ce petit séjour à Paris m’apparaît ridicule.
En fait, pour que ce billet ait une quelconque valeur, ces mots, que j’ai pourtant soigneusement sélectionnés comme les plus belles pommes d’un verger, ne peuvent pas se suffire — tiens il y a un e à la fin de suffire, je l’ignorais et merci Word, en plus un vrai dictionnaire confirme l’hypothèse avancée par le logiciel de traitement de texte, merveilleuse coordination des connaissances orthographiques de ces deux outils, qui ne laisse pas la moindre chance à une faute, aussi minime soit-elle, de passer — ces mots si soigneusement sélectionnés, donc, ne pourraient se suffire à eux-mêmes.
C’est la raison pour laquelle je vous propose les mots suivants, ils sont d’Oscar Wilde et en plus ils sont intelligents. Tiens d’ailleurs, puisque mon amoureuse et moi comptons retourner au Père Lachaise à un moment de ces quatre jours, je repasserai peut-être devant le tombeau d’Oscar et, pourquoi pas, j’y apposerai un doux baiser. Si ça se trouve ça l’excitera, le bougre. Et puis tant qu’à faire, si Wilde mérite un bisou, j’irai carrément faire l’amour à la sépulture de Desproges. Et c’est avec une maline jouissance que j’ignorerai la tombe de Chopin, qui fait face à celle de Pierre et qui attire évidemment toutes les attentions. Quand à Jim Morrison, je m’appuierai sur les épaules des hippies zombifiés qui pleurent quotidiennement sur les barrières de fer encerclant sa tombe, et je compatirai le plus sérieusement du monde, sans étouffer le moindre sourire.
Ces mots d’Oscar Wilde, Oscar Wilde lui-même les a mis dans l’ordre qui les rend constitutifs de phrases intelligibles. C’est dire leur valeur. Toutefois je reconnais l’amoindrissement de cette dernière, leur valeur, suite au filtrage d’une traduction pourtant nécessaire si l’on désire les rendre accessibles à tous, même aux plus cons — qui sont d’ailleurs susceptibles d’en avoir plus besoin que les autres.
Oscar étant mort depuis une bonne centaine d’années au moins, ses textes sont libres de droits et je me permets donc de les piller comme un vulgaire faussaire.
En plus ce qu’il disait en préface du Portrait de Dorian Gray, puisque c’est de cela qu’il s’agit, trouve un paquet de résonnances aujourd’hui, où l’heure est à la moralisation de l’art, films interdits de cigarette et de sexe, jeux vidéo interdits de violence, livres interdits de pédophilie. Sacré, sacré Oscar. Au reste sa fameuse sentence, le meilleur moyen de résister à la tentation c’est d’y céder, tiréed’ailleurs de Dorian Gray et pas exprimée de cette manière dans le roman (le meilleur moyen de se débarrasser de la tentation c’est d’y céder, explique Lord Henry, et c’est plus subtil), trône aujourd’hui en exergue du générique de l’Île de la Tentation, ce magnifique programme de télé-réalité estival que nous propose encore TF1 cette année. Car TF1 a tout compris à l’amoralité que prônait notre dandy anglais.
Sauf que chez TF1, l’amoralité ne sert pas de matériau pour l’art, elle sert de matériau pour la bouse. Oh oui, l’Île de la Tentation, au-delà de toutes considérations éthiques, qui n’ont d’ailleurs peut-être pas lieu d’être, c’est vraiment une émission merdique, il faut bien le dire. On peut regarder cette émission comme on le désire, on en arrive nécessairement à cette irrévocable conclusion : c’est pourri. Et ce pourraient être les Bisounours filmés nageant dans le bonheur que ça n’y changerait rien, car n’importe quel programme, filmé, réalisé et monté comme ça, serait nul. C’est une émission qui secoue du caca et se roule dedans avec plaisir, un peu comme le font parfois les couples qui y participent, vraiment des fois on se demande comment ils en sont arrivés là : on les voit avant la séparation qui pleurent à chaudes larmes et disent je ne veux pas être ici, mais oui mais bande de cons personne ne vous a demandé de venir, vous pouviez rester chez vous et demeurer de simples spectateurs. D’ailleurs on pouvait sérieusement se demander s’il n’y en avait pas qui étaient là sur la décision d’un seul membre du couple, un des deux qui aurait soumis cette idée géniale de participer à une émission de bas-étage pour quitter l’autre en beauté, en couchant avec quinze mecs ou quinze gonzesses avant de mettre fin à la relation. Mais ça serait surtout un vrai bon plan pour des amis célibataires, un homme et une femme pourraient se présenter en se faisant passer pour un couple et, de cette manière s’offrir, chacun de son côté, du bon temps sans la souffrance sentimentale que cause la vision de l’autre en train de tripoter les nénés d’une fille aussi bête qu’un homme.
Enfin bref, je vous laisse avec Oscar.
A lundi.
(Au fait, les gamers qui condamnent par avance Manhunt 2, et vous êtes nombreux, c'est à votre attention, tout particulièrement, que je diffuse ces paroles.)
L’artiste est le créateur de belles choses.
Révéler l’art et dissimuler l’artiste, tel est le but de l’art.
Le critique est celui qui peut traduire en une autre manière ou en une autre matière les impressions que créent sur lui les belles choses.
La forme autobiographique est la forme de critique la plus haute, mais aussi la plus basse.
Ceux qui trouvent à de belles choses des significations laides sont corrompus sans être séduisants. C’est là une faute.
Ceux qui trouvent à de belles choses des significations belles sont les gens cultivés. D’eux on ne doit pas désespérer.
Ceux pour qui les belles choses ne signifient que Beauté sont les élus.
Il n’existe pas un livre moral ou un livre immoral. Un livre et bien écrit ou mal écrit, un point, c’est tout.
La haine du XIXe siècle pour le réalisme, c’est la rage de Caliban découvrant son visage dans un miroir.
La haine du XIXe siècle pour le romantisme, c’est la rage de Caliban ne découvrant pas son visage dans un miroir.
La vie morale de l’homme constitue une matière sur laquelle travaille l’artiste, mais la moralité, pour l’art, réside dans l’usage parfait d’un médium imparfait. Aucun artiste ne désire prouver quoi que ce soit. Même des choses vraies peuvent être prouvées.
Nul artiste n’a de sympathies éthiques. Chez un artiste, toute sympathie éthique est un maniérisme impardonnable.
Nul artiste n’est jamais morbide. L’artiste peut tout exprimer.
Pensée et langage constituent pour l’artiste des instruments de son art.
Vice et vertu constituent pour l’artiste des matériaux de son art.
Du point de vue de la forme, le paradigme de tous les arts est celui du musicien. Du point de vue du sentiment, c’est le métier du comédien.
Tout art est à la fois surface et symbole.
Ceux qui plongent sous la surface le font à leurs risques et périls.
Ceux qui déchiffrent les symboles le font à leurs risques et périls.
C’est le spectateur, et non la vie, que reflète en réalité l’art.
La diversité des opinions suscitées par une œuvre d’art prouve que l’œuvre est neuve, complexe et d’importance vitale.
Quand les critiques ne sont pas d’accord entre eux, l’artiste est en accord avec lui-même.
On peut pardonner à un homme d’avoir réalisé une chose utile dès l’instant qu’il ne l’admire pas. La seule excuse à la réalisation d’une chose inutile, c’est qu’on l’admire intensément.
Tout art est inutile.
Oui Oscar. Et toute cruche, à force d’aller à l’eau, en la fin immanquablement se brise.

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posted the 07/11/2007 at 11:34 PM by
franz