J’aime bien vous faire des petits comptes-rendus des concerts auxquels j’assiste, je trouve ça marrant à rédiger. En conséquence de quoi je vous rends compte ici-même et maintenant de celui que Patti Smith a donné à Lyon vendredi dernier, 29 juin.
Attendez, je vous cherche une photo d’elle.
[img] http://www.postmodern.com/~fi/pattipics/images/_horses.jpg[/img]
Une pose, une chemise, un style.
Lou Reed et Patti Smith à six jours d’intervalle, ça fait une semaine plutôt chargée en légendes du rock mais enfin il faut en profiter, ça risque de ne pas durer.
Patti jouait au théâtre romain de Fourvières. Et là je tiens à dire aux Lyonnais que d’abord, pour ce que j’ai pu en voir ils ont une vile géniale, et qu’ensuite ils commettraient une erreur en ne profitant de ce festival des Nuits de Fourvières qui s’étale sur tout le mois de juillet. Patti Smith le 29 juin, Lou Reed avant-hier, Arcade Fire je ne sais plus quand, Gad Elmaleh, Antony & The Johnsons bien que ça ait été annulé, M et Sean Lennon, vraiment je crois qu’il faut être un vrai branleur pour habiter Lyon et ne rien voir de tout ce qui y passe cet été.
En plus le théâtre romain de Fourvières c’est un cadre somptueux, à mon avis même un concert de Lorie pourrait y être chouette.
Mais voyez plutôt, voyez donc comme c’est beau :
Alors vous imaginez bien, assister au concert d’une antique rockeuse dans un lieu chargé d’émotions romaines, oh ces pouces qui pointaient cruellement vers le bas, ces mains qui se glissaient sous les toges, et ces autres mains qui caressaient la douce cuisse de Jupiter, oh ça devient très excitant tout ça, assister à ce genre de concert disais-je, ça vous retourne.
Patti Smith m’a littéralement botté le cul, je crois que je peux le dire. D’elle je ne connais pas grand-chose, tout juste ce que mon amoureuse m’en a fait découvrir — c’est grâce à elle que je connais Patti —, Horses, son majestueux premier album daté de 1975, celui qui a révélé sa puissance et qui la place plus haut que tant d’autres dans cet univers si masculin, Twelve, sa dernière œuvre, faites de reprises parfois incroyables, enfin ce genre de choses. Je ne connais pas son âge, je suppose qu’elle va sur ses soixante mais je n’en sais pas grand-chose, je sais que sa carrière musicale a fait comme la mer, une marée haute une marée basse, je sais qu’elle adore (ou du moins elle adorait) les Stones, jusqu’à dire que voir Mick Jagger sur scène était la chose qui l’avait faite le plus mouiller, je sais qu’elle a un avis sur Lou Reed (« Je ne comprends pas qu’un homme aussi désagréable puisse faire d’aussi belles chansons », en gros je crois que c’était ce qu’elle en disait) et maintenant, depuis le 29 juin dernier, je sais que c’est une incroyable bête de scène, une véritable bombe, donnez lui trois musiciens obéissant à la classique configuration guitariste-bassiste-batteur et de sa voix grave, majestueuse et bouleversante elle vous fait tomber le mur de Berlin.
Patti, elle a tout explosé : pas seulement ses propres chansons, Free Money ou Gloria par exemple, ça c’est trop facile pour elle. Elle a aussi sublimé les chansons d’autres qu’elle : sur son dernier album, Twelve, elle reprend les Stones, Dylan, Tears For Fear, Nirvana — Smells Like Teen Spirit au banjo, faut oser —, les Doors, et là elle nous les a ressorties. Moi Nirvana je ne comprends pas la passion folle autour de ce groupe, je me dis toujours que si Kurt Cobain n’avait pas mourru si vite ce groupe se serait peut-être fait oublier, on ne l’aurait pas mystifié comme ça, on ne hurlerait pas tant au génie. Smells Like Teen Spirit, oui, bonne chanson, j’aime bien pour être franc. Mais là mon Dieu, quand c’est Patti Smith qui décide de la reprendre devant nous c’est autre chose, je vous le dis.
Et puis sur la fin, au premier rappel, elle m’a tué cette conne. Elle nous a raconté qu’à Lyon elle s’était baladée, elle avait nourri les oiseaux et qu’elle avait passé une superbe journée, rien que de très banal, le genre de machin qu’elle doit raconter dans toutes les villes où elle passe. Mais l’astuce c’est que ce petit speech constituait la meilleure intro possible à la reprise d’une des plus belles chansons du monde, une reprise un peu inattendue puisqu’elle n’est pas sur Twelve. Le bassiste s’est mis au piano et il a commencé des notes qui sonnaient d’un air connu, très connu et peut-être même trop. Au début j’ai eu du mal à y croire mais après tout ça n’avait rien d’improbable, en se baladant sur le site de Patti on peut entendre, déjà, une reprise de cette chanson. Et puis, alors que ça y était, nous comprenions mon amoureuse et moi ce qu’elle allait nous faire subir, elle a commencé, just a perfect day, feed animals in the zoo, et puis oh it’s such a perfect day, I’m glad I spent it with you, et évidemment tout ceci nous était adressé, ces paroles que j’avais tant entendue de la bouche de Lou Reed sur l’album Transformer prenaient une autre dimension, ne voulaient plus du tout dire la même chose, cette chanson qui dit à la fois tout le bonheur et toute la tristesse imaginables était complètement transformée mais pas tant dans la forme que dans le fond, transformée par sa diabolique interprète et par son contexte, transformée par ma manière de l’entendre.
J’ai abandonné une bonne grosse larme à ma joue, c’était plus fort que moi mais ça n’était pas une larme comme celles que cette même chanson me faisait pleurer alors que Loulou la chantait de sa voix éraillée, c’était tout autre chose, un truc assez indescriptible.
Sacrée Patti tu es donc, aujourd’hui, l’une des trois seules personnes qui m’ont fait pleurer (ou presque) en concert, il y a eu Radiohead l’année dernière, une transe complète sur Fake Plastic Trees, il y a eu une petite larmiche à Lou Reed, pour ce que représente le fait d’avoir ce bonhomme devant soi, pour la décoiffante arrivée de Lady Day et pour la puissance de Sad Song et des solos de Steve Hunter, et puis il y a eu toi.
Sacrée Patti, grosse dégueulasse qui a craché pendant tout le concert, femme incroyable au potentiel érotique intact, anti-Lou Reed qui dit bonjour au-revoir et merci, s’assoit parfois sur le bord de la scène ou descend carrément dans le public, et a fait lever la moitié de l’amphithéâtre rien qu’avec son interprétation de Gloria, dji-el-oh-aw-hay-hey a-t-elle gueulé jusqu’à nous faire craindre que sa voix ne s’échoue définitivement.
Sacrée Patti, reviens vite.
A venir : un compte-rendu du dimanche 1er juillet aux Eurockéennes.