Bon, un compte-rendu du concert de Lou Reed a-t-il une réelle utilité ? Pour vous possiblement pas, pour moi oui parce qu’il me permettra de matérialiser mon ressenti et de frimer.
Comment dire ? C’était beau, c’était ma foi très beau. Enfin de toute façon c’eût pu être moche que cela n’y eût rien changeassassié. Je voyais Lou Reed, il était là tout près et voilà à peu près l’essentiel de ce que j’attendais.
(Loulou félicite toute sa clique après le concert. Je posterai plus tard les photos prises par mon amoureuse.)
Il paraît qu’il y avait Marianne Faithfull dans la salle. En tout cas il y avait Philippe Manœuvre déguisé en lui-même — lunettes noires et veste de cuir — et Raphaël, vous savez le chanteur niaiseux faussement poète. En fait ça n’était pas très étonnant vu qu’il avait déjà cité dans une émission — et ça m’avait choqué — Lou Reed parmi ses influences. J’espère qu’il n’a pas été traumatisé le pauvre, parce que Berlin, que Loulou nous rejouait en intégrale et dans l’ordre, c’est un album malsain, vraiment très malsain. Aujourd’hui il choque moins mais n’a pas perdu de sa puissance : entre les sarcasmes du narrateur lorsque sa copine lui dit que ça n’est pas très drôle qu’il la batte et sa satisfaction maintenant que les gosses ont été emmenés à la Ddass (merde comment ça s’écrit ce truc, comme ça hein je crois), le Lou s’est arraché pour nous servir du vrai mauvais goût très méchant. Très méchante aussi sa conclusion lorsqu’il évoque le suicide de sa femme, par ouverture des veines, dans le lit où ils ont conçu leurs enfants : finalement il n’est pas triste du tout que ça se finisse ainsi. Sacré Loulou.
Tout ça joué dans une ambiance parfois religieuse, parfois bon enfant même lorsqu’on entendait en fond, sur The Kids, les pleurs des gosses susdits qui réclament leur maman alors qu’on les emmène à la Ddass. La musique était gratifiée des mimiques de Lou qui essuyait de fausses larmes en citant les plaintes de Caroline, l’héroïne martyre du disque (battue, dépossédée de ses enfants et suicidée, rappelons-le) et qui nous poussait des petits Hou et des grands cris, je ne pensais pas qu’il en serait encore capable.
Moi en tout cas je me suis marré tout le temps vu que Reed nous servait un vrai petit numéro, il ne nous a même pas dit bonsoir et j’aurais été déçu qu’il le fasse. Et puis il est mignon quand il s’applique pour nous servir un de ces solos — soli si vous préférez — poussifs dont il a le secret. Il est là, la langue dehors, concentré sur ce qu’il fait — une note toutes les trois secondes — mais il dégage une puissance incroyable, il a un énorme son de guitare ce con. Et puis à côté de lui il y avait Steve Hunter, le miraculeux guitariste de l’album originel et du live Rock n Roll Animal (tous deux datés de 1973), habillé n’importe comment, enfin comme un skateur (le type en bleu sur la photo), mais qui équilibrait Lou avec une guitare légère et survoltée et prodigieuse.
Le décor, conçu par Julian Schnabel, était superbe et le film projeté en fond passait merveilleusement bien, il n’y avait pas à le regarder et il n’attirait jamais trop l’attention mais ses images, lorsqu’on y jetait un œil, exprimaient bien le ressenti des chansons.
Mais le must en fait, c’était les rappels — qui n’en étaient pas vraiment parce qu’après avoir bouclé Berlin en une heure, Lou devait revenir avec d’autres petites choses. Alors il nous a servi du bonheur en barres, Sweet Jane, Satellite of Love et Walk On The Wild Side, de vrais cadeaux pour Steve Hunter qui les avait déjà joués sur Rock n Roll Animal. Il a conclu avec Rock Minuet, que certains ont pris pour un inédit mais ceux-là n’ont pas dû bien écouter Ecstasy, son magnifique album de 2000, parce que Rock Minuet s’y trouvait déjà. Et là Hunter nous a offert un vrai morceau de Jazz avec sa guitare.
Voir Lou Reed en vrai c’est quelque chose tout de même. Je le regardais et j’étais complètement submergé, en voyant cet homme revenu de loin, lorsque je repensais à ses quarante années de carrière et à tous les genres qu’il a traversés — et lorsqu’il nous tournait le dos je pensais plutôt à tout ce qui l’a peut-être traversé. Lou Reed c’est trop énorme pour qu’on réalise bien ce à quoi on a affaire : je voyais ses bras et je me demandais combien de litres d’héroïne y avaient circulé, je voyais ses mains et je pensais à tout ce qu’elles avaient pu toucher, et je le voyais, lui, et je me remémorais toutes ses époques, de sa gueule de gentil scout mignon sur la pochette du troisième Velvet à son visage très sage d’aujourd’hui, en passant par sa période gothique de 72, et sa période blonde peroxydée à l’allure d’un phasme avec des signes nazis tracés au dessus des oreilles. Lou Reed c’est mille hommes dans un seul corps et c’est une anthologie du rock qui se tient debout devant nous et qui chante d’une voix râpeuse qui nous pénètre profondément.
En tout cas j’espère pour nous que Raphaël a bien compris, en voyant ce concert, qu’il devait arrêter la musique. C’était d’ailleurs jouissif parce qu’au début je l’ai vu débarquer dans l’allée près des premiers rangs, on aurait dit qu’il cherchait les places et, n’en ayant pas trouvé, il a du aller s’installer là où il avait été fixé qu’il serait, c’est-à-dire loin derrière. Et en remontant il regardait partout comme pour voir si on le repérait sauf que personne ne faisait gaffe à lui. Mais quand on attend Lou Reed on a toutes les raisons de n’en avoir rien à faire de Raphaël.
Allez, on finit avec un petit extrait du concert, y en a plein sur Youtube si vous en voulez mais là le son est pas mal et c’est un solo de Steve Hunter sur Sweet Jane et ça fait plaisir :