C’est une sorte de lance-pierre évolué, un petit manche, une ficelle et une petite boule de plastique, on fait tourner la boule, on appuie sur un bouton et hop elle se décroche et siffle dans les airs. C’est avec ça, cette sorte de lancer de poids portatif que j’ai du mal à décrire, que s’amuse Paul, allongé sur le lit, pendant que ses deux cousins jouent aux jeux vidéo sous le regard de son frère et de leur grand-mère. Les cinq se trouvent dans une grande chambre de la maison de campagne familiale, quatre lits, une tapisserie un peu moisie, des tapis quinquagénaires, une fenêtre qui, si elle n’était pas fermée, s’ouvrirait sur un long jardin en pente entouré de champs. Il fait sombre dans la pièce, seule une lampe de chevet vient compléter la lumière de la télévision posée dans un coin.
Paul joue avec son lance-pierres en attendant son tour de prendre la manette, même à 20 ans on peut s’amuser avec des trucs tout cons et il en est la preuve. Il fait tourner la petite boule le plus vite possible et attend le bon moment pour la libérer, tiens justement ça semble être le bon moment, hop il appuie sur le bouton et sent le projectile s’envoler. Ca fait un bruit sourd et puis rien.
J'irai le rechercher plus tard, se dit-il en tournant ses yeux vers l’écran pour voir ce que font ses cousins. Mais il lui semble qu’il manque quelqu’un, et au moment de se dire ça il se rend compte que la grand-mère de ses cousins, qui se tenait derrière eux, a disparu. Il interroge tout le monde, tiens Richard et Nicolas votre grand-mère a disparu, elle vous a dit où elle allait ? Les autres s’étonnent, ah bon grand-mère est partie ? Guillaume, le frère de Paul, semble tout aussi surpris de cette évaporation soudaine. Personne ne l’a vue ni entendue partir, elle était là et puis pouf elle a disparu, étonnant. Mais enfin.
Alors Paul, voyant que ses cousins ne semblent pas proches de la fin de leur partie, se met en quête de sa petite boule pour reprendre son jeu. Il fait le tour de la pièce à sa recherche, fouille dans les coins et recoins sans succès puis se résout à retourner sur le lit où tout le monde se tient, à l’exception évidemment de la grand-mère disparue. Mais au moment de remonter sur le matelas il distingue au sol un relief dans la pénombre. Il s’accroupit à côté et remarque que la chose a l’aspect d’un corps humain. Il reconnaît la robe de la vieille femme, mince alors si ça se trouve la grand-mère s’est évanouie. Il se penche pour lui demander à l’oreille si elle va bien mais se rend brusquement compte qu’il n’y a pas d’oreille à laquelle d’adresser. Par réflexe Paul s’éloigne et voit ainsi très clairement qu’au-dessus du cou de la grand-mère il n’y a plus de tête, plus rien du tout, tout juste un filet de sang qui s’écoule sur le beau tapis.
Evidemment c’est la panique, à ce moment Paul ne peut réprimer une exclamation horrifiée qui attire l’attention des autres sur son abominable découverte. Richard et Guillaume découvrent leur grand-mère décapitée, décapitée sans qu’ils le sachent alors qu’elle se trouvait à moins d’un mètre derrière eux, c’est tout de même quelque chose qui mérite un peu de surprise. Richard et Paul font sortir leurs jeunes frères tout en sachant que ces derniers sont de toute façon déjà marqués à vie. On se demande ce qui a bien pu se passer pour que la grand-mère perde la tête comme ça, à l’insu de tout le monde. Près de la porte Paul retrouve sa petite boule et sa ficelle, ça ne le rassure pas mais bon pourquoi s’en priver ? Tiens mais c'est humide, en y regardant de plus près la ficelle est couverte de sang, en fait il y a même des petits morceaux de chair qui y sont attachés et qui pendouillent un peu. Paul comprend alors l’effroyable vérité : le meurtrier c’est moi ! Lorsqu’il a envoyé sa boule tout à l’heure, la ficelle a tranché net le cou de la grand-mère, c’est la seule explication. Le voilà avec une mort sur la conscience, et pas n’importe quelle mort, celle de la grand-mère de ses cousins, ses pauvres cousins qui l’aimaient tant.
Pendant que ces pensées secouaient son esprit bouillant, Richard est sorti. Paul se retrouve tout seul avec sa victime, enfin le corps de sa victime, tiens mais au fait où est sa tête ? Il se met à chercher un peu mais ne peut réprimer sa peur de trouver cette tête, d’être en face d’un regard révulsé par la terreur. Il préfère sortir et aller prévenir le reste de la famille qui mange joyeusement.
Papa ! Maman ! Je viens de tuer la grand-mère de Richard et Nicolas ! Paul accoure dans le jardin mais il constate que tout le monde est déjà debout et certainement au fait du drame. On va dans la chambre pour constater les dégâts, effectivement la grand-mère gît là sans sa tête, d’ailleurs est-ce vraiment la grand-mère dans toute son intégrité sans sa tête ? Non, d’où l’importance véritable de retrouver le chef de la morte. On se met tous à chercher, Paul aussi parce qu’il se sent coupable mais il ne pousse pas trop loin ses investigations, il ne veut pas croiser le regard de la grand-mère, il sait que ce dernier sera accusateur. C’est pourtant lui qui la trouve, la tête, en fait c’est bête parce qu’elle était sous le lit près du corps. Il la distingue nettement mais refuse d’aller y toucher, d’autres se chargeront de la ramasser.
Une fois dehors Paul demande à son père qu’est-ce que je risque pour homicide involontaire ? La question se pose parce qu’indéniablement il a bien tué la grand-mère de ses cousins et est prêt à payer pour ça, même s’il ne veut pas aller en prison. Mais je ne me souviens pas de ce que son père lui répond.
Plus tard, une fois l’événement passé de quelques heures, il repasse dans la chambre du drame. Sur le rebord de la fenêtre se tient la tête de la grand-mère, empaillée et maquillée. Elle a les yeux fermés et l’air sévère, elle ressemble à de la pierre. D’un doigt tremblant Paul touche sa joue froide et dure et lui demande de l’excuser, je ne l’ai pas fait exprès, je ne voulais vraiment pas vous savez, voilà ce qu’il lui dit les larmes aux yeux.
Mais je ne sais plus si la tête de la grand-mère réagit à ses supplications.

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posted the 06/17/2007 at 11:01 PM by
franz