Gal, Caz ou Rag, je n’ai pas réussi à lire précisément ce qui pouvait être écrit à la bombe sur le 4x4 que j’ai vu tout à l’heure dans la rue. C’était un gros Mercedes noir immatriculé luxembourgeois, une plutôt belle voiture même si je n’ai que des goûts très limités en la matière. Il en imposait le bougre mais le graffiti dont il était affligé sur le flanc arrière le rendait fatalement moins agréable à l’œil ; il faut dire que c’était écrit gros avec une couleur argentée, le truc immanquable qui gâche tout quoi. Cela dit ça n’avait pas l’air de vouloir signifier grand-chose ce truc tagué, c’est dommage parce que quitte à agresser un 4x4 autant en profiter pour faire passer un message écolo ou anticapitaliste au lieu de chier un étron de mot qui ne veut rien dire.

Car il ne fait aucun doute que la raison de cette violence résidait dans la nature même de cette voiture, un 4x4. Pouah. Les véhicules à quatre roues motrices, vous avez dû le constater, sont depuis deux ans la cible favorite des écolos médiatiques. C’est sans nul doute leur faute si nos centres-villes sont étouffants de gaz et si nos enfants développent des infections pulmonaires. Comme pour chaque débat de société portant sur la santé publique, il faut des coupables si l’on veut se décharger la conscience et les propriétaires de 4x4 tombent à point nommé. Il est prouvé que leur véhicule pollue plus qu’un véhicule normal, donc pourquoi se poser des questions ? Sans compter que le 4x4 est une bagnole de riche, donc d’un graffiti deux coups, non seulement on agresse le tank du pollueur mais en plus on détériore le gros matos du richard. Sûr qu’on n’ira pas détériorer une vieille 106 scabreuse.

D’ailleurs peut-être que le type — remarquez comme j’exclus d’entrée de jeu l’idée qu’une femme puisse être coupable de cette dégradation — qui a courageusement détruit l’esthétique flamboyante du Mercedes de tout à l’heure roule dans une 205 Diesel deux fois plus polluante mais qu’il l’ignore. Le combat écologique aujourd’hui c’est une belle chose tout de même. On ne peut rien faire contre les multinationales chinoises, on ne peut rien faire contre les paysans qui consomment plus d’eau que tout le monde pour arroser leur maïs, alors attaquons-nous au 4x4 du coin ! C’est tellement plus facile.

Si au moins on y avait mis le feu à ce 4x4, on pourrait reprendre le philosophe Jean Baudrillard qui estimait lors des émeutes de 2005 qu’on devrait se réjouir à chaque fois qu’une voiture brûle. C’est vrai, quitte à être gaucho, autant se satisfaire de toute atteinte au système capitaliste. Mais là ce n’est même pas jouissif, le sale nanti luxembourgeois — puisque les Luxembourgeois sont riches — à qui appartient ce Mercedes ira le faire repeindre chez quelqu’un et continuera de polluer comme chacun de nous mais pis que tout ! il aura en payant son garagiste réintroduit de l’argent dans le système ultralibéral que nous haïssons tous. Crénom, on ne pourra donc jamais sortir de cette merde mais au moins c’est un bon concept, l’anti contre le nanti.

Et puis bon c’est rebelle de faire un graffiti sur un 4x4, ça c’est une action militante contre laquelle personne ne pourra aller. Euhé ben quoi ? Je lutte contre la pollution répliquera l’agresseur téméraire si d’aventure on vient lui reprocher son geste. Evidemment, une fois que les 4x4 auront disparu, on en sentira immédiatement les effets sur le climat, certainement il y aura à nouveau de la neige en hiver et nos vieux seront moins nombreux à mourir l’été. Peut-être même qu’on inversera finalement la tendance, à coup sûr on pourra faire de la luge dès le mois de septembre.

J’aime ces rebelles qui ont le courage de leurs revendications, j’aime voir leur travail artistique sur les murs de ma fac où, avec tout leur amour de la haine — pour reprendre une expression de Finkielkraut qui est moins souvent le con qu’on croit —, ils inscrivent des messages intellectuels subversifs comme les idées sont des armes, ne restons pas désarmé(e)s face à ce monde — ils pensent même aux femmes, comme c’est mignon —. J’aime les entendre critiquer Bush en pensant prendre une position engagée et décalée, j’adore les voir insulter les CRS et écrire Sarkosy c’est la ditacture.

Je leur détériorerais bien la gueule à coup de graffitis tiens ; sur leur front derrière lequel se dissimule un cerveau mou comme les sourcils de notre nouveau Président je clamerai hargneusement des choses comme Zarg, Bloups ou Chleps, pour donner autant de sens à mon message qu’en a donné au sien l’auteur du Gal, Caz ou Rag dont au sujet duquel je causais au début de ce billet. Ils verront, ces alter-conformistes qui s’ignorent, ce que ça fait d’être traités comme ceux que, par racisme social, ils ont pris pour cible. Comme il suffit, à leurs yeux, de dire qu’une chose est capitaliste pour qu’elle s’en trouve immédiatement dévalorisée, je me contenterai du terme communistes pour les insulter.

Je conclurai en reprenant cette idée d’amour de la haine et en citant Finkie, je ne sais pas à qui il pense mais ça s’applique à mes rebelles antipollution tout comme aux tabacophobes tenants de la désormais consacrée santé publique : « C'est la politique non pas comme amour du monde mais comme amour de la haine. Il ne s'agit pas, dans cette perspective, de faire du monde un séjour humain, il s'agit d'éradiquer le mal en démasquant les méchants. »

Car tant va la cruche à l’eau, qu’en la fin elle se brise.