Jean-Claude Brialy, laissez-moi vous dire merci. Merci d’être mort hier, vous avez permis dans une certaine mesure d’éclipser aujourd’hui l’affolante journée sans tabac. Il est dit que vous êtes mort non pas d’une maladie courte et rigolote comme disait Monsieur Pierre Desproges, mais d’une longue maladie, ce qui le plus souvent signifie un cancer mais évitons de prononcer le mot, il est impudique et pourrait nous contaminer à travers l’écran. Heureusement vous n’avez pas dû mourir d’un cancer du poumon, car croyez que ce décès eût été récupéré par les tabacophobes pour nous mettre, une fois encore, en garde contre les dangers de la cigarette, regardez Jean-Claude Brialy, il en est mort, tous ces discours-là.
La journée anti-tabac, je la hais comme toutes les journées, journée de la femme, de l’enfant, de la politesse au volant, des voisins, fête des pères, des mères etc, bref toutes ces journées qui vous demandent de vous appliquer pendant 24 heures sur un détail de votre existence pour mieux l’oublier les 364 autres jours. Tout ça pour quoi ? Attirer l’attention des médias, le temps d’une auto-révolution de la planète seulement, sur une chose précise qui devrait aller mieux. A chaque jour son marronnier prévu de longue date, qui après avoir sommeillé depuis un an au fond d’un tiroir est ressorti en une pour « informer, éduquer, responsabiliser » le citoyen que je suis.
Car le citoyen moderne, par définition est un con. Il ne sait pas que trop de sucre et trop d’alcool ne sont pas bons, il ne sait pas que le tabac est un fléau, qu’il faut être poli en voiture ou avec ses voisins. Mais le meilleur moyen de faire de ses citoyens des abrutis, pour un pays, n’est-il pas précisément de les traiter comme des abrutis ? Je suis toujours étonné lorsque j’entends mais les gens sont bêtes, il faut tout leur dire. Donc en l’occurrence ce serait aux médias de faire de la propagande pour nous éduquer. C’est vrai, après tout les gens sont tellement bêtes qu’ils gobent tout ce qu’on leur dit à la télévision.
Connaissez-vous quelqu’un qui ne doute jamais de ce que lui disent les médias ? La défiance à l’égard des journalistes est générale et pourtant on se croit toujours seul à avoir un esprit critique. Il y a un sondage qui m’a interpellé, un sondage tout con, où deux questions étaient posées à des téléspectateurs des Guignols de l’info : premièrement, pensez-vous que les Guignols influencent le vote des téléspectateurs ? Ici 80% des sondés ont répondu oui. Secondement, les Guignols influencent-ils votre vote ? Là 90% des sondés ont répondu non.
Ce qui me semble vrai concernant les médias, et c’est Stuart Hall, un chercheur anglais, qui l’a avancé, c’est que nous réagissons de trois manières face à ce qui nous est dit : si le discours va dans le sens de ce que nous pensons il nous confirme dans la justesse de notre avis, s’il va à l’encontre de l’opinion que nous nous sommes déjà forgée nous nous y opposons, et enfin à mi-chemin nous n’en sélectionnons que quelques éléments.
Plus influentes que les médias sont d’ailleurs nos propres fréquentations. Selon Lazarsfeld, un Américain qui a étudié la réception des messages médiatiques dans les années 50, la société est déjà structurée quand un message l’atteint, ce qui nous renvoie aux différentes réactions possibles du récepteur. Par la suite ce même récepteur, suivant la lecture qu’il aura faite du message, le transmettra (ou pas) à ses connaissances, et suivant son influence personnelle sur ses interlocuteurs (amis, famille, collègues etc) il sera bien plus à même de les convaincre.
Donc il faudrait voir à se calmer un peu sur la critique des médias, ça n’est plus très rebelle l’attitude critique vis-à-vis de la télévision.
A propos de rebellitude, un mec m’a beaucoup fait rire aujourd’hui, c’est Brian Molko. Le chanteur de Placebo a intenté un procès à Voici pour atteinte à son image, ce qui jusque là semble normal puisque le magazine a publié une photo de la star en train de pousser la poussette de Bébé le Molko — qui à n’en pas douter est né avec une voix de moustique rutilant et du mascara dans tous les cils. Sauf que la raison précise de ce procès est extraordinaire : il s’agit pour l’avatar moderne du Lou Reed de Transformer de réparer cette « atteinte à son image de marginal ». Car papa Brian poussant un landau ne veut pas qu’on le voit autrement que comme un néogothique suicidaire, rapport à son image de marque vous voyez. En clair il affirme haut et fort qu’être rebelle, c’est avant tout une affaire de posture. Eh bien pour être franc je ne m’opposerai pas à ce constat, car aujourd’hui en effet être rebelle, ou en tout cas être considéré comme tel, c’est bien pour commencer une affaire de marketing. Car les choses changent et les médias eux-mêmes s’autocritiquent en glorifiant tout artiste allant contre « l’aseptisation médiatique ». Ce qui finalement contribue à créer une nouvelle forme d’aseptisation, des critères de rebellitude quoi : critiquer Bush, la religion, le pouvoir, avoir une sexualité débridée et toucher à la drogue, ou bien tout simplement être Coluche qui n’a plus de subversif que le qualificatif puisque personne aujourd’hui n’irait le critiquer.
C’est malheureusement tout le paradoxe du rebelle : en se plaçant contre le système pour se faire connaître, il impose une fois connu une nouvelle norme. Le vrai rebelle finalement, ça serait celui qui jamais ne rencontre le succès, qui fait toujours tout pour ne pas se faire connaître ou pour ruiner sa carrière médiatique mais malheureusement celui-ci risquerait aussi d’attirer l’attention sur lui, à force de faire le mariole.
Car comme la cruche, tant va le rebelle à l’eau qu’en la fin il nous les brise.

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posted the 05/31/2007 at 10:21 PM by
franz