A part ça ? Eh bien à part ça, j'ai assisté à un conflit vraiment très primitif, où s'opposaient deux camps, les sarkozystes et les antis. Vraiment, je crois qu'à 10 ans on est plus évolué que tous ces gens-là.
D'un côté qu'avons-nous donc ? Des militants de l'UMP, essentiellement âgés de cinquante ans et plus, qui prouvent que vraiment, non, le ridicule ne tue pas : avec le t-shirt dimanche tout devient possible, la casquette Sarkozy, et l'autocollant du même Sarkozy posé — mais à moitié décollé — sur le t-shirt, ces-gens ne craignent pas la redondance sarkozyste. Il y en avait même un, petit vieux tassé à lunettes, du genre à avoir un cheveu sur la langue, qui avait un ballon de baudruche noué autour du poignet. Il faisait un peu panneau publicitaire vivant, et semblait ne pas trop savoir ce qu'il avait à faire là — même si un léger sourire un peu débile parcourait son visage.
De l'autre côté, on trouve des opposants, qui a priori se définissent à l'extrême-gauche, puisqu'ils entonnent l'Internationale pour attaquer leurs adversaires. (Je n'ai d'ailleurs jamais compris comment on pouvait critiquer la mondialisation et chanter l'Internationale.) Alors évidemment ils correspondent à tous les clichés de l'étudiant de lettres branleur. C'est pas moi qui l'invente : à leur tête, il y a carrément le type qui l'année dernière, lors du conflit contre le CPE menait tambour-battant les assemblées générales et appelait — comble de l'engagement — à poursuivre le blocage de la fac, même après que le contrat première embauche fut pendu sur la place publique. Derrière lui, des chevelus/barbus au look suffisamment étudié pour donner l'apparence de ne l'avoir pas été.
D'un côté comme de l'autre donc, on fait vivre les clichés — qui ont souvent bon dos en même temps qu'ils ont raison —, avec d'une part des vieux et de l'autre des jeunes, tous réunis par le fait d'avoir décidé de se montrer cons — quand même ils ne le montreraient pas pareillement. Un conflit générationnel de base comme il y en a toujours eus, une démonstration qu'entre 20 et 60 ans on n'évolue pas forcément tant que ça. Peut-être, on passe de la gauche à la droite, mais finalement on ne se comporte pas différemment.
Les deux équipes ont d'ailleurs partagé quelques opinions, bien à leur insu : par exemple, elles étaient d'accord pour dire que l'adversaire était antidémocratique — en omettant qu'ils se gueulaient tous ça sur la place publique à 18h30, sans que personne n'intervienne bien que les policiers fussent présent. A propos, les pauvres flics n'ont pas manqué d'être immédiatement associés par les jeunes belligérants de gauche à Nicolas Sarkozy, qui certainement les avait mandatés pour taper sur l'opposition — accusations auxquelles les agents ne réagissaient pas. Je tiens d'ailleurs à signaler qu'à aucun moment l'un d'eux n'est intervenu pour maîtriser quelqu'un ou en arrêter un autre. Ils se sont contentés de marquer une ligne de démarcation — qui fatalement ne favorisait pas le débat, mais il me semble utopiste de penser qu'il aurait eu lieu sans leur présence, bien au contraire —, et la seule fois à ma connaissance qu'ils ont un peu remis en place une personne un peu trop emportée, c'était une vieille de l'UMP — mais à part ça ils étaient contre les jeunes, il paraît. Au reste j'ai discuté deux secondes avec un d'entre eux, qui m'a semblé être juste un mec normal un peu blasé par son boulot.
Voyons maintenant les arguments des uns et des autres : l'opposant avec qui j'ai parlé a justifié le Sarko facho par l'idée du candidat d'imposer un service minimum en temps de grève et de faire des référendums réguliers au sein de l'entreprise pendant le conflit (vachement antidémocratique ! ), mais aussi parce qu'il mettra des amis capitalistes au pouvoir et pour ses propos sur la génétique. Les antisarkos étaient très fiers des slogans qu'ils hurlaient à tue-tête : Sarko, Sarko, ça recommence — là, si j'ai bien saisi le jeu de mots, le sens en revanche m'échappe, et je ne vois pas en quoi ça va contre Sarkozy — ; Sarko facho évidemment ; mais aussi Pétain, reviens, t'as oublié ton chien. Celui-ci était certes le meilleur d'un point de vue esthétique ; — malheureusement il a fortement déplu à un militant UMP qui avait l'air un peu con, ne m'a pas regardé dans les yeux une seule fois pendant qu'il me parlait, et m'a fait chier cinq bonnes minutes, mais dont le grand-père était résistant. Un autre sympathisant, qui pour sa part semblait juste normal, m'a dit qu'il comprenait qu'on n'aime pas Sarkozy mais qu'il trouvait un peu exagéré de le traiter de fasciste — cela dit ça le faisait plus rire qu'autre chose.
Dans le camp des antis, on fait monter la sauce : l'un d'eux, se croyant courageux, défie la police et la foule et le monde entier en faisant une sortie devant les flics et en criant j'ai jamais vu autant de merdes alignées. On s'esclaffe et on sautille parmi les petits soldats de l'antisarkozysme. En face la consigne est de mépriser ces petits nuls. N'empêche que le constat est là : ils ont réussi à faire capoter la fête.
Cette joyeuse récréation dure une heure, durée au bout de laquelle chacun rentre chez soi. A ce moment, de vrais dialogues enfin semblent se créer : des vieilles demandent à des jeunes est-ce qu'on a vraiment l'air de fascistes ? et leur rappellent que le fascisme, eux, ils ne l'ont pas connu. Il faut bien avouer qu'il est très à la mode aujourd'hui de traiter celui avec qui on n'est pas d'accord de fasciste : c'est l'insulte suprême et ça garantit l'opprobre générale contre lui.
Le fascisme ? Si, bien sur que si on sait ce que c'est, on l'a appris à l'école, c'est comme le nazisme, tout pareil. Nous on est intelligents et cultivés ; partout nous sommes capables de déceler le premier résidu de fascisme et d'y coller l'étiquette correspondante. Nous sommes des petits employés de supermarché qui ét(h)iquetons les idées pour mieux les dénigrer. Et puis pour nous exprimer nous devons être concis : Sarko facho, c'est plus rapide et percutant que Sarko teneur de propos dangereux sur la génétique, forcément. Nous critiquons sa campagne ne reposant que sur l'image mais veillons bien à nous donner celle de gentils démocrates avisés — et à lui donner celle d'Hitler. Cela étant dit, je suis impressionné par l'opposition que Sarkozy suscite contre lui. Ses affiches sont systématiquement arrachées ou détériorées par des moustaches hitlériennes et des cornes de diable, un privilège qui jusqu'alors était réservé à Le Pen et De Villiers. S'il est élu, je pense non seulement que nous aurons cinq années difficiles, mais surtout deux mois insupportables, avec émeutes et tout le toutim. Et je peux compter sur les plus activistes de ma fac pour bloquer celle-ci pendant les examens.
Que Sarkozy soit un vrai con, personnellement je ne le remets pas en question ; — ce que je remets en question c'est la manière de procéder de ces antis, ceux qui hurlent Sarko facho. Car franchement, qui est sorti gagnant de cette manifestation ridicule jeudi dernier ? Evidemment personne : ni l'UMP qui, en faisant sa fanfare avec distribution de t-shirts et de tracts n'est certainement pas apparu autrement qu'un parti prosélyte, ni ses opposants qui se sont juste faits passer pour des jeunes crétins faussement révolutionnaires prônant des systèmes communistes dictatoriaux — ils vous diront que ça n'est pas ce qu'ils sont, mais j'en ai vu un ce jeudi qui a soutenu que la Corée du Nord c'était un chouette pays.
A la fin, quand tout le monde s'est dispersé, je discute avec des UMP pour leur demander le bilan qu'ils tirent de tout ça ; une dame m'explique qu'elle est navrée, que quand elle distribuait des tracts on lui a parfois frappé la main — j'ai jamais frappé la main de quelqu'un avec qui je n'étais pas d'accord, me dit-elle — et puis arrive un type cheveux long en queue de cheval et petite barbe, accompagné de sa monture cyclesque, qui dit à la dame qu'il l'a vue le prendre en photo, et qui lui rappelle qu'elle n'en a pas le droit. Elle confirme qu'elle l'a bien pris en photo ; ce sur quoi le type pas content décide d'aller se plaindre aux policiers. Se rendant certainement compte qu'en agissant ainsi il ne serait pas véritablement en accord avec sa rébellion antiautoritaire, il décide de régler le problème lui-même en crachant dans le tas — j'évite de peu les éclaboussures, et c'est heureux : je n'ai pas échappé à la salive de Morano pour prendre celle de l'autre type.
Ainsi se conclut cet événement où chacun aura pu affirmer sa fierté d'être plus bête que celui avec qui il n'est pas d'accord, et où chacun aura pu utiliser la liberté d'expression d'une part pour dire qu'on l'en empêche, et d'autre part pour la gâcher.
Que les opposants à Sarkozy aient réussi à convaincre ceux d'en face qu'ils allaient voter pour un facho, je ne mettrai pas un centime dessus ; et un centime, c'est la somme que je ne mettrai pas non plus pour parier que l'UMP a gagné des votants ce soir-là.
Cette bande de joyeux lurons m'a, je l'avoue, donné bien du plaisir ; mais surtout elle a donné raison à Desproges : lorsque l'on additionne des intelligences, celles-ci se divisent proportionnellement à leur nombre.
Et c'est ainsi que la cruche, tant elle a voulu aller à l'eau, finit par se briser.

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posted the 04/22/2007 at 10:41 PM by
franz
j'aime bien le jeu de mot avec le verbe ét(h)iqueter
moi personnellement si je pouvais voter, ca serais un vote blanc, parce que y en aucun qui vaut mieux que l'autre dans ces éléctions, et les types qui ont vraiment de bonne idée ne sont pas assez connu ou pas assez de frais pour faire une bonne campagne éléctorale, donc personne ne votent pour eux, du grand n'importe quoi, pour finir on se retrouve toujour avec une gauche et une droite en train de se mailler dessus, sans savoir qui choisir tellement sont autant con l'un que l'autre, voila pourquoi moi je voterai blanc
(je rapelle que je vis en suisse, j'ai la nationalité française, et italienne, donc je pourrai venir voter, mais me déplacer en france pour ca non merci, lol)
enfin bref, vivement ton prochain article!