Un soir d’été, à l’heure où retombent les odeurs des plantes, Thomas Chicag se dit que c’était marre. Il était temps qu’il quitte cette famille sans vie et cet appartement étouffant pour faire sa propre expérience de la vie ; qu’enfin le monde réel lui soit connu.
Il chargea donc un sac à dos du strict nécessaire, se chaussa, revêtit une veste légère, et se mit en route vers l’inconnu.
Le cœur léger il marcha longtemps dans des rues endormies bordées d’arbres rassurants. Avec sa casquette il se sentait beau, et avec sa cigarette il se sentait prêt à tout affronter. De son lecteur mp3 il écoutait The Funeral d’Arcade Fire — il aurait pu quitter sa chambre, se disait-il, uniquement pour marcher en écoutant leur musique.
Sans avoir bien déterminé sa destination, sans savoir même où il dormirait sans argent, Thomas se rendit compte qu’il se dirigeait vers la campagne, et qu’il s’était engagé dans les bois. Normalement la pleine lune aurait dû être là pour le guider à travers les arbres, mais ça n’était visiblement pas son jour ; et il devait avancer à tâtons dans les branchages — car toute idée de demi-tour était impensable pour la bonne tenue de sa dignité.
Mais au bout d’une marche qui avait vu se finir l’album d’Arcade Fire et s’entamer Coney Island Baby de Lou Reed, Thomas, miné par la fatigue, ne put plus y tenir et s’affala au pied d’un arbre, où il sombra dans un sommeil évidemment profond.
Tôt le matin la lumière aigue du soleil, le vent caressant son nez et sifflant dans les branches flottantes, l’humidité, le chant des oiseaux et un paquet de fourmis ayant pénétré dans son slip le réveillèrent en douceur. Thomas se remit en route après s’être secoué en tous sens et après avoir mangé un gâteau sec humide, seul petit déjeuner qu’il pouvait s’autoriser en ces temps incertains.
Il marcha plusieurs heures encore, contemplant la beauté de la nature et grattant comme il pouvait ses jambes lacérées par les ronces. Il suivait un chemin qui semblait avoir été tracé pour lui et, juste avant une descente un peu raide s’accouda au tronc d’un arbre. A ce moment il sentit sur son crâne une chose un peu humide, semblait-il de forme sphérique. Avec sa main gauche il agrippa la chose en question, dont la texture était véritablement visqueuse et froide. Sentant une résistance, d’un coup sec il tira dessus ; et amena sous ses yeux horrifiés, dans la paume de sa main, un œil humain à l’iris bleu.
Immédiatement il lâcha la bille ; et, paniqué par ce qu’il venait de voir, de tenir et de serrer aussi fort que la main d’un ami, courut aussi vite qu’il le lui était possible dans la descente qui poursuivait son chemin. Au terme de celle-ci il s’engouffra sans réfléchir dans une sorte de tunnel étroit encerclé d’arbres. Dans le noir de ce tunnel où ne filtraient que quelques rais de lumière, il sentit sur son visage des toiles d’araignée se déchirer, à ses pieds des serpents s’enlacer, dans son ventre des cafards s’engouffrer, et dans sa bouche hurlant de peur des lombrics serpenter avant de glisser le long de sa gorge étouffée, jusqu’au fond de son estomac.
Il ferma les yeux de toutes ses forces, craignant sans raison aucune qu’un frelon ne vienne y planter son dard ou qu’une chauve-souris n’y plante ses crocs pour les sucer. Bille de flipper bondissant d’une paroi à l’autre du tunnel, s’écorchant sur toutes les branches, il sentit enfin après quelques minutes l’air frais emplir ses narines. Il continua de courir pour être le plus loin possible de cette grotte maudite avant d’ouvrir les yeux ; mais lorsque finalement il les ouvrit il sentit ses pieds quitter le sol et ses jambes s’agiter dans le vide. Un regard vers le bas confirma l’impression désagréable qu’il avait d’avoir quitté le sol, et à peine avait-il eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait et de voir sa courte vie défiler devant ses yeux, qu’il s’était déjà aplati comme une crêpe au bas d’une falaise après une chute de 150 mètres, et que les insectes prenaient possession de son cadavre encore chaud tandis que les oiseaux chantaient le bonheur de vivre en harmonie avec mère Nature.
C’est la chute de mon histoire.

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publié le 04/04/2007 à 22:28 par
franz